Selon Xavier Bonnet, rédacteur en chef adjoint de la revue Rolling Stones s'exprimant à Radio France Internationale, le rock aurait été considéré comme satanique à Cuba pendant plusieurs décennies sur « l'île communiste » et la visite de Barack Obama scellerait le retour en grâce des Américains.
Non seulement cet homme n'a aucune culture politique autre que la doxa de ses maîtres, il ne connaît pas grand-chose du sujet. Il est en quelque sorte un commentateur biblique.
Le groupe de rock cubain Tendencia.D'abord, Cuba n'est pas communiste, à ce jour aucun pays n'a connu le communisme, sinon dans la propagande de la guerre froide inspirée d'ailleurs par la haine contre les sans-culottes deb1789 et des Communards parisiens de 1870. Le communisme est une proposition philosophique, un retour moderne idéalisé (une révolution hégélienne) à une forme de solidarité, d'égalitarisme et de partage, qu'on imagine avoir été à l'origine vitale pour la survie de l'humanité, où seraient abolies les oppositions de classes, les inégalités sociales, et donc les contradictions sociétales, entraînant la disparition des frontières, des armées, des tribunaux, de la police, rendus inutiles, et du système marchand financier. Dans la pratique, les révolutionnaires arrivés au pouvoir ont dû être pragmatiques (voire oublieux des principes et des buts comme dans le bloc soviétique), et imaginer des stades théoriques et, d'un point de vue théorique, s'il faut nommer le système économique de Cuba, on ne peut parler que de socialisme. On a aussi avancé le terme, en Europe de l'Est, de « démocratie populaire ». Disons que la politique à Cuba est anti-capitaliste, vise à ce que les gens profitent des fruits de leur travail sans qu'une oligarchie en détourne la plus grande partie.
Cuba n'est donc pas une « île communiste ».
Le groupe rock cubain Hipnosis à La Havane le 18 novembre 2008.Ensuite, ce ne sont pas les Américains qui reviennent en grâce, mais Cuba. C'est bien Obama qui a parlé de lever l'embargo inhumain qui pèse sur Cuba depuis des décennies et de régulariser les relations avec Cuba, qui est devenue un des pays les plus influents d'Amérique latine.
Il y a aussi, pour sourire, que communisme et satanisme sont incompatibles, puisque les communistes, athées militants, ne croient ni au Diable ni à Dieu. Mais peut-être l'expert a-t-il aussi des problèmes de vocabulaire et ne sait pas ce que veut dire « satanique ».
Je signale aussi que « les Cubains » n'ont pas la haine « des Américains » et donc de tout ce qui vient des États-Unis, parce qu'à Cuba, on cultive l'idée de solidarité entre les peuples, et que pour les communistes, ce qui oppose les êtres humains, ce ne sont ni les frontières, ni la couleur de la peau (on devrait y réfléchir aux É.-U.), ni les religions, mais l'exploitation du travail des uns par quelques autres. Les communistes cubains sont donc solidaires de leurs camarades (communistes) américains, et en général du peuple américain qui dans sa grande majorité est exploité.
Le groupe Cubain Akda1, Declaración de libertad.L'idée que l'expert Xavier Bonnet se fait du rock comme musique ambassadrice de la culture américaine est bien simpliste. En fait dès les années 1950, le rock est apparu comme une provocation contre la bonne société, voire comme une scandaleuse dépravation quand Elvis s'est mis à chanter comme les noirs. Le rock blanc variété-country s'est vite acoquiné avec le blues noir. Il a accompagné le mouvement des droits civiques aux É-U. et le mouvement contre la guerre du Vietnam, ce qui ne devait pas déplaire aux dirigeants cubains. Le rock est aussi associé à la libération des mœurs, et en général à la contestation sociale.
Par sa nature contestataire, le rock n'est pas vraiment un problème à Cuba quand il est américain. Par contre, on peut imaginer que le rock cubain, qui existe depuis que le rock existe, ce que Xavier Bonnet ignore, a pu être critiqué (mais jamais interdit) à l'occasion par des dirigeants cubains. On peut aussi imaginer des crispations après la crise des missiles, et qu'alors, adopter des « manières américaines » (?) aurait été adopter des manières d'un État ennemi. On est ici un peu dans le fantasme. Mais les groupes de rocks ont continué à jouer à Cuba, où la jeunesse aujourd'hui se tourne plutôt vers le Hip Hop. [voir ici] [voir ici].
Il faut ajouter que toute l'Amérique latine à une grande culture de rock, liée aux mouvements de libération et d'oppositions aux dictatures, proche des idéaux cubains. Des groupes américains comme Autoslave, Weather Report, Simply Red, ou John McLaughlin, Billy Joel et autres se sont déjà produits à Cuba.
Les Rolling Stones c'est bien pour organiser une opération médiatique mondiale, mais sincèrement, c'est aujourd'hui un rock vieilli et dans ce cas pathétique, une récupération idéologique du passé par un groupe qui n'est pas, tant s'en faut, apte à porter sur ses épaules commercialisées et intégrées l'image générique du rock... Une image des É.-U. en somme, mais pas du rock, ni de la contestation.
Jean-Marc Warszawski
26 mars 2016
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Mercredi 9 Décembre, 2020