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12 avril 2016, par Jean-Marc Warszawski ——

Les conversations avec le néant du Concert étranger

Conversation avec Dieu

Conversation avec Dieu, motets et cantates de Hammerschmidt, Telemann, Bruhns, Scheidt... Le Concert étranger, direction, Itay Jedlin. Ambronay Éditions 2015 (AMY 045).

Enregistré à l'église de Champcueil, du 16 au 19 juin 2015.

À première vue, nos avons pensé que le titre de ce cédé, « Conversations avec Dieu » était une maladresse provoquée par la recherche d'un titre accrocheur afin donner sens à un programme qui propose des pièces à caractère religieux du XVIIe siècle germanique (avec des joyaux comme Ach Gott, warum hast du mein vergessen ? d'Andreas Hammerschmidt à la plage 6).

Mais, il faut se rendre à l'évidence du texte laborieux sur les relations de l'âme et de Dieu qui ouvre le livret : ce disque est destiné aux croyants d'obédience chrétienne. Même si le titre est repris d'un recueil d'Andreas Hammerschmidt, publié en deux parties à Dresden en 1645, le message et là qui est aussi le sujet de la présentation

Cela dit le théologien trouvera peut-être la démarche présomptueuse, voire hérétique, car les chrétiens ne conversent pas avec Dieu, ils lui adressent des prières, qu'ils peuvent élever vers le ciel par des chants. Prudente sur la question qui n'est pas sans ambiguïté, l'Église n'a jamais sacralisé la musique, il y a donc de la marge et de la licence. Mais ce ne sont pas nos oignons.

Le concert étranger est un ensemble vocal et instrumental à géométrie variable, dont les membres apparemment recrutés avec soin (le vivier des excellents musiciens est aujourd'hui fort riche, particulièrement en France). Les parties vocales sont fort belles et bien équilibrées, bien que parfois le soprano soit un peu fluet d'en manque d'harmoniques et de rondeur. Les parties instrumentales sont parfaites, mais dans un dogme sonore convenu (la pavane de Hammerschmidt de la plage 5 n'a pas grand intérêt si ce n'est l'ennui qu'elle peut susciter). L'orgue sonne bien, les registres sont choisis avec goût.

Le prosélytisme affiché de ce disque qui réduit considérablement le public concerné est dommageable, en ce qu'il n'honore pas la cohérence et l'intérêt musical (aussi historique) du programme bien conçu dans son, principe, dont pas un mot n'est écrit dans le livret.

Il concerne des compositeurs et organistes du Nord, de cette région à la géopolitique fluctuante (Saxe, Bohème, villes hanséatiques : Hamburg et Lübeck), centrale nucléaire intellectuelle et artistique de l'Empire germanique.

Heinrich Scheidemann (vers 1595-1663), qui a passé 40 ans de sa vie à la tribune de St Katharinen à Hamburg et Samuel Scheidt (1587-1654), ont été tous deux élèves de Sweelinck à Amsterdam. Scheidt est d'ailleurs le « fondateur » de l'école d'orgue de la région qui fleurira de Lübeck à Prague et culminera avec Bach à Leipzig. Moins connu, Nicolaus Bruhns (1665-1697), à Lübeck, fraie la voie à Buxtehude et n'est pas sans influencer Johann Sebastian Bach. Andreas Hammerschmidt (1611 ou 1612-1675), né en Bohème, est un compositeur prolifique et un organiste renommé qui se fixera à Zittau (ou la commune lui confie des responsabilités administratives), après avoir été au service du conte Rudolf von Bünau à Weesenstein et de la Petrikirche de Freiberg. Johann Rosenmüller (1619-1684) entame une magnifique carrière à Leipzig jusqu'à être le premier assistant du chantre de la Thomaskirche et organiste de la Nikolaikirche, lieux qui resplendiront quelques années plus tard par la présence de Johann Sebastian Bach. Mais en 1655, soupçonné d'homosexualité, il est arrêté avec quelques élèves de la maîtrise. Il s'enfuit, se fixe à Venise où il est tromboniste à la basilique Saint-Marc et compositeur, ce qui a certainement motivé l'introduction dans le programme d'une sinfonia de Monteverdi, le génial maître de chapelle de la basilique, décédé tout de même une quinzaine d'années avant l'arrivée de Rosenmüller.

Il serait dommage de confisquer cet important et beau répertoire au seul usage de la méditation religieuse, qui est contrairement à ce qu'on pourrait prétendre, une déshumanisation au profit de spéculations sur les chimères d'un monde parallèle qui n'a ni les pieds ni le cœur sur terre. La musique ne peut être qu'une conversation entre humains.

Andreas Hammerschmidt, Ach Gott, warum hast du mein vergessen ? pour 4 voix, un instrument et basse continue (extrait des Dialogi, 1645)

Jean-Marc Warszawski
12 avril 2016

1. Telemann, Psaume 6, Ach Herr, straf mich nicht in deinem Zorn (Ps. 6), 2. Scheidemann, Erbarm dich mein, O Herre Gott, choral pour orgue, verset 1, 3. Hammerschmidt, Psaume 51, Erbarm dich mein, O Herre Gott, 4. Scheidemann, Erbarm dich mein, O Herre Gott, choral pour orgue, verset 2., 5. Hammerschmidt, Premiere pavane a 5, 6. Hammerschmidt, Ach Gott, warum hast du mein vergessen ?, 7. Rosenmüller, Sinfonia XI, pour corde extraite des Sonate da camera e sinfonia, 1667, 8. Hammerschmidt, Herr, wie lange willst du mein so gar Vergessen ?, 9. Scheidemann, Praeludium en ré, 10. Hammerschmidt, Ergo sit nulla ratio salutis, 11. Monteverdi, Sinfonia, 12. Scheidt, Ist nicht Ephraim mein teurer Sohn ?, 13. Scheidt, Sept variations pour orgue sur Warum betrübst du dich, mein Herz ?, 14. Bruhns, Cantate Hemmt eure Tränenflut, 15. Hammerschmidt, Inter brachia salvatoris mei.


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