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Dijon, Auditorium, 31 mars 2016, par Eusebius ——

La joie du partage, avec Isabelle Faust et le Mahler Chamber Orchestra

Singulier le Mahler Chamber Orchestra, jouant avec ou sans chef depuis bientôt vingt ans, auquel se joint la soliste pour l'ouverture des Hébrides (la Grotte de Fingal),  singulier ce programme qui associe opportunément Schumann à Mendelssohn, ponctué par la figure tutélaire de Bach, avec Leipzig en filigrane. Pour un programme romantique, d'un romantisme débarrassé des scories beethovéniennes pour l'élégance, le raffinement, la passion, le lyrisme et le sourire, après Aix-en-Provence, Dijon accueille de nouveau ce prestigieux orchestre et Isabelle Faust, que l'on ne présente plus.

L'ouverture des Hébrides, écrite par Mendelssohn après son séjour en Écosse, aurait pu n'être qu'une pièce d'introduction, avec pour premier objectif de « chauffer » l'orchestre. D'emblée, c'est le ravissement, Mendelssohn comme on l'aime, fluide, souple, transparent, nerveux, avec des modelés superbes : une marine animée, presqu'un siècle avant la Mer de Debussy. La petite harmonie est splendide (le tranquillo assai des deux clarinettes est un modèle), les cordes ne le sont pas moins, les trompettes naturelles ont de belles couleurs. La fraîcheur et la vigueur (les appels rythmiques qui circulent, la conduite des formidables crescendos…), les déferlements romantiques avec les embruns iodés, tout est là, comme la joie, communicative, dense, qui sous-tend cette interprétation proprement magistrale1.

Place au quatuor à cordes pour le premier contrepoint de L'art de la fugue. Sans césure, s'enchaîne la Fantaisie pour violon et orchestre de Schumann, belle œuvre qui mérite de figurer plus souvent au programme (à condition de trouver un(e) soliste de la pointure d'Isabelle Faust). L'orchestre est dense, schumannien, sans jamais la moindre lourdeur. Quant au violon de la soliste, il est remarquable, très maîtrisé, d'une virtuosité singulière. Deux nouveaux contrepoints de cet Art de la fugue, confiés cette fois à un octuor à vent et au quatuor à cordes introduisent le premier quatuor de Schumann. La soliste y tient maintenant la partie de premier violon. Sans avoir la séduction des quatuors de Schubert ou de Mendelssohn, c'est une œuvre forte. Le scherzo, ici deuxième mouvement, endiablé et d'une vigueur obsédante, contraste avec l'adagio poignant, d'une profonde tristesse accablée, résignée malgré quelques appels déchirés. Le finale, frémissant, enjoué, fait fréquemment appel aux imitations, au contrepoint et nous ramène à Bach.

Pour être parmi les plus joués, le concerto pour violon de Mendelssohn ne réserve plus de surprise. Le compositeur parle toujours juste : pas d'introduction bavarde  avant l'entrée du violon, ni de coda interminable, prétentieuse et vaine. Tout est exprimé avec concision, d'une  écriture raffinée, transparente par la magie de l'orchestration. Jamais la virtuosité n'y apparaît démonstrative. Ce soir, l'orchestre est très souple, ductile, excellant dans les nuances les plus subtiles. Le dialogue avec les bois, empreint  d'une grande douceur, les transitions, admirables de retenue, tout concourt à faire de cette interprétation un moment de grâce. Isabelle Faust2, physiquement très engagée, conjugue le brillant à l'humilité. Les couleurs, l'articulation, la légèreté de la soliste comme celle de l'orchestre, au besoin incisif et puissant, nous ravissent. C'est un modèle d'élégance et de vie, un second mouvement d'une poésie singulière, avec la jubilation collective du finale.

Le Mahler Chamber OrchestraLe Mahler Chamber Orchestra. Photograhie © Molina Visuals.

Au public enthousiaste, la soliste, rentrant dans le rang, et l'orchestre nous offrent un très beau bis, l'allegretto un poco agitato de la 2e symphonie, « Lobgesang », de Mendelssohn. 

Eusebius
2 avril 2016

1 « Nomadic and free » se présentent les musiciens du Mahler Chamber Orchestra. La joie des musiciens serait-elle liée à leur épanouissement au sein de formations où ils assument toutes les responsabilités ? On pense, évidemment, aux Dissonances de David Grimal, où la direction semble abolie, fruit d'une réflexion collective, comme au Paris Mozart Orchestra de Claire Gibault.

2. Isabelle Faust s'est illustrée dans tout le répertoire violonistique, de Bach à Ligeti. Elle joue le « Sleeping beauty » Stradivarius de 1704 (prêté par une banque allemande).


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