El Cristal. Photographie © Abel Carmelate.
Avec ou sans Ségolène Royal, Cuba, c'est tendance ! Le Monaco Dance Forum invitait mardi 20 mai salle Garnier de l'Opéra, la compagnie « Danza Contemporenea de Cuba » dans un triple programme : El Cristal du chorégraphe Julio César Iglesias, Reversible d'Annabelle Lopez Ochoa et Mambo 3XXI de George Céspedes. Au travers de ces trois performances, c'est sans aucun doute un hymne à l'exaltation de la jeunesse, à la liberté et, last but not least, à la passion des Cubains pour les charmes de leur île, qui aura été célébré.
Le début d'El Cristal surprend par la créativité originale de cette proposition chorégraphique. Puis, dans un décor ressemblant à l'une de ces discothèques un peu vieillotte mais à la chaleureuse atmosphère, les danseurs se précipitent sur scène dans un flux inextinguible d'évolutions : vélocité extrême mais surtout une superbe scénographie des chocs physiques où chaque corps humain heurte l'autre dans sa course folle en manège pour le rejeter violemment hors du plateau. À l'image d'une lutte incessante pour trouver et garder sa place, voire peut-être, son identité. Sur un fond musical de bruitages rappelant — n'en déplaise aux thuriféraires du castrisme — un déluge de coups de feu, les danseurs sautent, s'élèvent puis s'écroulent dans une infernale répétition. Plus lent, comme dans une symphonie classique, le deuxième tableau de Julio César Iglesias, assisté de Thomas Guilarte et de Chris de Feyter, développe un canevas fondé sur l'insistance et la puissance du regard, oscillant entre monstration du désir et rugosité méfiante, dans le départ et dans la conclusion des mouvements : une constante finalement des trois chorégraphies qui ne laisse de surprendre et sur la signification culturelle de laquelle — substitut d'une parole interdite ? — il conviendrait de réfléchir. Notons également au passage le singulier contraste des corps masculins et féminins qui composent la compagnie cubaine : le souci d'esthétisme travaillé des premiers ne se retrouve pas dans la silhouette des secondes. Priorité, semble-t-il, à l'affichage du masculin. Le rythme convulsif reprend bientôt, marqué par des gestuelles très sportives, des positionnements du corps près ou à même le sol et qui semblent s'inspirer des subtils équilibres de la célèbre Capoeira. De l'interdiction au plaisir, il n'y a qu'un tout petit pas pour conclure, maillots de bain chamarrés, cigarettes au bec et lunettes de soleil sur le nez, par une note ludique et jouissive.
Reversible. Photographie © Company.
Reversible d'Annabelle Lopez Ochoa, assistée de Yoerlis Brunet, amorce un travail nettement plus poétique, étrangement désuet : dans une affirmation de la différence sexuelle, un couple édénique, sorte d'Adam et Eve portés par leurs tribus respectives, émerge de deux corolles pour se rencontrer au centre de la scène. Cercle originel ponctué par une tonalité primitive — « première » comme il sied de dire — des danses qu'accentuent les battements manuellement rythmés des tambours : pulsations du cœur de l'être autant que celles de la terre-mère nourricière. Puis, dans une référence à peine voilée à West Side Story, des hommes à l'attitude machiste et des femmes séductrices se rencontrent avant que des couples formés exécutent, chacun à leur tour, des danses. Un tournoi de haute lutte où nous subjuguent, notamment, l'extraordinaire fluidité des gestuelles et l'ensorcelante lascivité dans le jeu d'entremêlement des membres de Penélope Morejón et d'Iosmaly Ordoñez. La scène finale de cette deuxième chorégraphie où une lumière crue (Fernando Alonso) descend sur scène telle l'incandescence d'un soleil couchant, nous permet sans peine d'imaginer celui qui s'incline quotidiennement à La Havane. Elle rend néanmoins perceptibles les quelques défauts de synchronisation du groupe.
Mambo 3XXI. Photographie © Thomas Ammerpohl.
Une synchronisation, en revanche, impeccablement minutieuse, dans la dernière étude : Mambo 3XXI de George Céspedes, assisté là encore de Yoerlis Brunet, développe avec l'ensemble des danseurs et danseuses sur le plateau, un impressionnant collectif imprégné de géométrisme et de linéarité dans les mouvements. Un peu à l'image de ces pratiques sportives communautaires dans les républiques dites « populaires ». Mais l'homme sera-t-il jamais réductible à ces instructions collégiales ? Déjà, les prestations individuelles ou duelles prennent le pas dans une avalanche, exubérante et débridée, d'activités corporelles des artistes qui arborent un sourire radieux : libération des jougs dictatoriaux, affranchissement des normes, indépendance des esprits et des anatomies — des couples de garçons ou de filles se trémoussent ou dansent amoureusement — dans des costumes aux couleurs éclatantes de la pulsion de vie.
Interprètes : Andrès Ascanio, Arelys Hernandez, Claudia H. Rodriguez, Dayron Romero, Heriberto Meneses, Iosmaly Ordonez, Javier A. Aguilera, Jennifer Tejeda, José A. Elias, Laura Rios, Maikel Pons, Niosbel O. Gonzalez, Norge Cedeno, Penélope Mojeron, Raul Barrero, Thais Suarez, Victor M. Varela, Arlet A. Fernandez, Iliana Solis, Leyna Gonzalez, Anabel Pomar, Danny Rodriguez, Stephanie Hardy.
Monaco, le 21 mai 2016
Jean-Luc Vannier
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Mercredi 14 Août, 2024