Concert dans l'Auditorium de Radio-France en novembre 2014. Photographie : C. Abramowitz / RF.
Il est des concerts rares desquels on sort en pouvant dire « j'y étais ! ». La représentation du 20 février 2016 dans l'Auditorium Debussy à la Maison de la Radio (Paris) fait partie de ces uniques moments intenses ou musique, émotions et vie se confondent. Et pourtant, le parcours du combattant en prémices du concert ne présageait pas un tel bonheur : après avoir tourné interminablement autour de l'édifice rond de dix étages pour trouver enfin l'accès à la porte D, ouvert les manteaux, les sacs, être passés par le sas de contrôle à l'identique de celui des aéroports (en moins minutieux cependant), cherché dans la foule compacte les guichets pour les places, le public peut enfin s'installer dans le récent auditorium — que nous découvrons enfin — de Radio-France qui concurrence (ou complète) celui de la Philharmonie de l'Est parisien. Même désagrément lorsqu'une centaine de personnes à la sortie fera la queue patiemment au vestiaire.
Offrant un grand confort visuel, l'Auditorium Debussy est finement structuré et décoré, les boiseries harmonisées aux armatures de métal noires, les tissus sombres des sièges et le tapis de sol de même couleur amortissant les bruits. La salle de l'Opéra Bastille a déjà offert au public cette recherche de couleurs et de matériaux propice aux bonnes conditions d'écoute musicale en harmonie avec l'aspect de l'orchestre, le bois rappelant la matière et la couleur des instruments à cordes, le métal noir et argenté l'aspect de la famille des bois. Accueillant chacune plusieurs dizaines de spectateurs, les corbeilles (appelées loges) semblent accrochées sur les murs tout autour de la salle, procurant l'impression vertigineuse de pencher en avant, sensation étrange évoquant adroitement la musique en mouvement. (« Inspiré de la Philharmonie de Berlin, qui place la musique au centre, l' Auditorium dispose de 1461 places installées en balcons et réparties tout autour de la scène et des musiciens. Cette architecture unique offre un champ de vision inédit. Le spectateur n'est jamais à plus de 17 mètres de la scène et bénéficie ainsi d'une relation de proximité et d'intimité avec les musiciens ».
Visible de tous, l'orchestre, au centre de la « piste », s'offre à tous les regards, tel un troupeau antique dans les jeux du cirque, au milieu de la « salle de concert exceptionnelle conçue en forme d'arène et dotée d'un orgue monumental ». Reste à choisir si l'on veut le voir de face, de côté ou de dos. Grâce aux quelques rares sièges libres dans l'immense salle, nous avons pu comparer différentes situations géographiques par rapport au chef. Une aimable voisine nous informe que, placé à gauche du chef, le public entend surtout les contrebasses (ici au nombre de huit, surélevées par rapport aux autres musiciens, puisque les instrumentistes jouent sur de hauts sièges, dominant leurs collègues). L'équilibre entre aigus et graves serait donc inexistant pour un quart du public, tournant le dos aux 36 violons et face aux graves (8 contrebasses et 16 violoncelles, dans un orchestre « bois par trois » pour le répertoire romantique).
Testons : vu le prix des places face aux musiciens, on peut supposer que celles-ci sont privilégiées acoustiquement. Mais, comme pour une salle « traditionnelle », nous avons le sentiment que l'avantage est essentiellement visuel, car le son nous semble trop feutré, peut-être par l'effet de mur acoustique du premier balcon surplombant une partie des places d'orchestre. Nonobstant ce détail (la qualité acoustique de la salle fait l'unanimité), le Prélude à l'après-midi d'un Faune de Debussy, avec ses pianissimos subtils et souples crescendos, séduit par sa finesse sonore, la précision la mise en valeur de chaque timbre. Avec une rare suavité, la musique se développe, les solos (flûte, hautbois, clarinette, cor) sont interprétés avec une grande dextérité et une musicalité émouvante.
Daniele Gatti. Photographie © Pablo Faccinetto.
Le Concerto pour violon de Dimitri Chostakovitch, avec Julian Rachlin en soliste, nous déçoit quelque peu.
La seconde partie du concert sera écoutée derrière l'orchestre. Miracle ! Une acoustique comme nous aimons, un son ample et rond même pour le pupitre des violons. De petits paravents de plastique recourbés et transparents sont placés afin de protéger les instrumentistes à cordes des sons trop puissants des cuivres, même les contrebasses sont protégées de leur voisin le tuba. C'est une pratique à répandre dans toutes les salles d'orchestre symphonique et fosses d'opéra.
Flore Estang
20 février 2016
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Mardi 9 Juillet, 2024