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Ce n'est pas un filon, c'est un gisement ! À la découverte des musiques des Balkans

Dijon, Auditorium, du 1er au 3 avril 2016, par Eusebius ——

Une merveilleuse aventure nous était proposée par l'Opéra de Dijon : une série de cinq concerts, répartis sur trois jours, sous l'intitulé « Un week-end dans les Balkans ». J'ignore l'alchimie subtile qui a présidé à ce miracle permanent, mais force est de reconnaître qu'il s'est passé quelque chose de rare. Au terme du voyage, faisons les comptes : 32 œuvres, de la pièce pour instrument seul au dixtuor, 26 compositeurs représentatifs de toutes les facettes de la création, de Liszt à nos jours, 17 musiciens plus engagés et virtuoses les uns que les autres. Une programmation généreuse et audacieuse qui a proprement captivé un public avide de découvertes, enthousiaste.

L'excellent dosage entre les œuvres brèves et les longues, entre celles de divertissement et les plus ambitieuses, l'extraordinaire diversité des langages très différenciés dans l'espace1 et dans le temps, la variété des échelles mélodiques, des harmonies, des rythmes et des mètres sont un régal, et l'abondance (plus de 9 heures de musique !) n'a jamais conduit à l'indigestion.

À côté de grands noms, Liszt, Bartók, Enesco, Xenakis et Ligeti, combien de découvertes ? Dans l'ordre chronologique, de Lisinski à Milan Mihajlović, Dimitrescu, Moor, Dohnányi, Pejačević, Havenski, Vladigerov, Tajčević, Farkas, Erkin, Papandopoulo, Veress, Saygun, Maric, Zadeja, Petrić, Vladimir Mendelssohn, Tihanyi, Zebeljan, Say et Žuraj2.

Au risque d'être profondément injuste, je ne retiendrai que quelques œuvres qui m'ont marqué davantage que les autres. Une découverte absolue pour commencer : l'ouverture de Porin, du fondateur de l'école musicale croate, Vatroslav Lisinki, qui travailla à Prague dans la première moitié du XIXe siècle L'œuvre est superbe, d'un romantisme authentique, aux couleurs schubertiennes, d'une écriture riche, variée, tout à tour lyrique, fébrile, dansante, avec une fin éblouissante. L'octuor à cordes, aux parties très individualisées, y fait merveille. De Vito Žuraj, le plus jeune, Want to practice (« Musical scene », pour flûte et cor, 2003) où les déplacements, la conversation des musiciens, avec les jeux d'autorité, d'incompréhension, la logorrhée, la séduction sont prétextes à citations savoureuses et à une démonstration virtuose. Pancho Vladigerov est illustré par sa Rhapsodie bulgare (violon et piano, 1922), antérieure à celles de Bartók, dont les qualités sont équivalentes. Une pièce qui mérite la plus large diffusion. D'Ernö Dohnányi, le sextuor pour clarinette, cor, trio à cordes et piano opus 37 est une œuvre puissante, postromantique Mitteleuropa, d'un lyrisme assumé, s'inscrivant dans l'héritage brahmsien. L'écriture en est d'une extrême beauté : de la poésie à l'emportement, à l'ivresse et à la joie débonnaire, c'est un bonheur constant.

La création des Adieux, commande de l'Opéra de Dijon à Milan Mihajlović, compositeur associé, dont cinq œuvres ont été jouées, appelle une mention spéciale. Homonyme de la sonate de Beethoven, dont c'est la référence, cette belle œuvre pour violon et piano, avec l'omniprésence de la tierce mineure, n'appelle que des éloges. Les autres furent Melancholy (pour hautbois, violon, violoncelle et piano, 2014), puis les Notturni (cor, quintette à vent et quintette à cordes, 1983), Eine kleine Trauermusik (flûte, hautbois, clarinette, basson et piano, 1990), qui cite l'adagio du 23e concerto de Mozart, Elegy (violon et piano, 1989) au caractère modal, sur une formule obstinée de balancement.

Milan Mihajlović Milan Mihajlović. Photographie © Bry-Music.

Figure au langage très personnel, reconnaissable entre tous, propos étrange auquel on se familiarise vite, un souffle d'une séduction singulière, le public a chaleureusement ovationné chacune de ses œuvres. Né en 1945, le compositeur serbe, reconnu et joué dans le monde entier3, fait référence à Scriabine. J'y vois aussi une dimension bartokienne, où à partir de cellules en expansion, de quelques notes répétitives, d'intervalles très caractérisés, sur des ostinati renouvelés, parfois motoriques, s'élabore une trame riche, claire et forte. Les citations, aisément identifiables, apportent une référence et un humour bienvenu.

Chacun des interprètes mériterait d'être signalé par ses qualités individuelles de maîtrise, de soliste comme de chambriste. Oliver Triendl, fabuleux pianiste4, Hervé Joulain, corniste d'exception, Matthew Hunt, clarinettiste extraordinaire5, Alja Velkavehr, flûtiste de haut vol… Aucune des cordes ne démérite, et l'engagement individuel et collectif force l'admiration. N'oublions surtout pas David Grimal6, évidemment, mais aussi plusieurs de ses complices des Dissonances.

À peine rentré de cette évasion, l'on s'interroge : à quand le prochain départ, pour quelle destination ?

Eusebius
4 avril 2016

1. Albanie, Bulgarie, Croatie, Grèce, Hongrie, Roumanie, Serbie, Slovénie, République tchèque, Turquie…

2. La Guerre froide et le Rideau de fer, avec le discrédit qui était jeté sur l'Est, désigné comme soumis à Jdanov, ne sont certainement pas étrangers à cette ignorance dommageable.

3. Mais étonnamment fort rarement en France. La qualité et la richesse de son œuvre méritent une diffusion dans notre pays.

4. Aussi connu outre-Rhin comme chambriste que comme soliste, trop peu programmé en France. Fondateur du festival de musique de chambre de Kempten, qui coproduit cette série.

5. On lui doit, entre autres, un Contrastes, de Bartók, proprement exaltant.

6. Que l'on soupçonne d'avoir activement participé à l'élaboration du projet, interprète une demi-douzaine de pièces. Il nous fait découvrir, entre autres, une oeuvre étonnante du jeune Xenakis (1952) : Dhipli Zyia, en duo avec le violoncelle, où sur des rythmes conventionnels se développent des mélodies grecques ou moyen-orientales, qui ne permettent pas de présumer Metastasis ou Pithoprakta.

 

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