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Montpellier, Festival Radio France Montpellier Occitanie, Le Corum, salle Pasteur, 25 juillet 2016, 18 h, par Eusebius ——

Festival Radio France Montpellier : Bach J.-S. et C.P.E., ou Die Kunst der Sonate1

Ophélie GaillardOphélie Gaillard. Photographie © Caroline Doutre.

Le récital que donnent Ophélie Gaillard, Thibault Noally et Nicolas Mazzoleni au violon, avec Francesco Corti au clavecin, de l'ensemble Pulcinella, a pour titre « Dynastie en quatuor ». S'ils sont bien quatre, l'expression est propre à induire en erreur, puisqu'elle suggère la notion de quatuor, à une époque où la sonate en trio est reine2.  Entre Louvain et Fontainebleau (où elle donne des masterclasses au Conservatoire américain) Ophélie Gaillard prend le chemin des écoliers pour Montpellier, et trouve une occasion nouvelle de défendre ses coups de foudre. Si les grands classiques lui sont familiers — Bach demeure son pain quotidien — elle s'est prise de passion pour Carl Philip Emanuel, dont, patiemment, elle enregistre l'œuvre dédiée à son instrument3. Le programme fait alterner sonates en trio et sonates pour viole de gambe, Des quatre attribuées à Johann Sebastian, la première (BWV 1037 en ut majeur) est de Johann Gottlieb Goldberg, ce qui ne la prive d'aucune de ses qualités. Le programme s'achève par la spectaculaire sonate « Sanguineus et Melancholicus » Wq 161 de Carl Phlipp Emanuel.

Francesco CortiFrancesco Corti. Photographie © Caroline Doutre.

Dès l'adagio introductif de la BWV 1037, comme dans l'alla breve, on est de plain-pied dans ce baroque sensible, élégant, aristocratique, sans boursouflures. La conduite des parties, les phrasés sont exemplaires. On pense à la leçon de Gustav Leonhardt et à sa lecture des contrepoints. Le jeu est admirable. Ça vit, ça respire et ça chante toujours, avec une clarté, une lumière et des couleurs rares, un lyrisme contenu. Le largo, nimbé de son voile de mélancolie donne davantage de relief à la gigue, à ses échanges joyeux. La basse continue se distingue par sa dynamique et sa légèreté.

Le splendide instrument dont joue Ophélie Gaillard4 va s'épanouir  dans la sonate suivante (BWV 1027, en sol majeur) que l'on croit redécouvrir. Le jeu est retenu, pudique. La grâce, la distinction sont au rendez-vous. Le discours des deux partenaires s'accorde parfaitement, avec naturel. On retrouve avec ravissement le largo, avant l'allegro moderato, frais, voire espiègle, respirant toujours la bonne humeur.

Nicolas MazzoleniNicolas Mazzoleni. Photographie © Caroline Doutre.

La seconde sonate en trio du programme, dont on connaît davantage la version interprétée à l'orgue (BWV 527 en mineur), est ici jouée avec un grand bonheur. Toujours lisible, avec des phrasés admirables, les violons lui donnent  toute une vie que les claviers ne peuvent rendre à ce niveau. La moindre formule prend ici un  relief et un sens singuliers. Le texte est servi avec  art et humilité. Le vivace final, dansant, est empreint d'une joie communicative.

Succède la sonate en majeur (BWV 1028) dont l'approche renouvelle également l'écoute. Toutes les qualités énoncées sont évidemment présentes. Le balancement de la sicilienne (andante) retenu, tendre, et la joie de l'allegro final emportent l'adhésion.

Pour conclure, avant un bis offert à un public conquis5, toute autre est la sonate en trio de Carl Philipp Emanuel. Intitulée Gespräch zwischen Sanguinus und Melancholicus [conversation entre le sanguin et le mélancolique]. Le filleul et successeur de Telemann à Hambourg, tout en conservant le contrepoint cher à son père, va l'enrichir d'une dimension dramatique surprenante6. Le dialogue serré des violons, chacun très caractérisé, les silences abrupts, traduits avec une virtuosité et un sens musical qui forcent l'admiration, aboutissent à une réussite musicale et interprétative exceptionnelle.

Thibault NoallyThibault Noally. Photographie © Caroline Doutre.

L'archet le plus souvent léger, bondissant, animé d'une incroyable dynamique, d'Ophélie Gaillard, son vibrato rare et toujours au service d'une expression juste nous réjouissent. La maîtrise musicale des musiciens de Pulcinella, leur merveilleuse aisance, au point que l'on oublie l'extraordinaire virtuosité, méritent d'être soulignés. Le clavecin, copie d'un instrument de Pascal Taskin, placé en arrière- plan, se montre  discret dans les sonates en trio, mais sa présence à l'égale de celle du violoncelle est appréciée dans les sonates. Un concert mémorable, qui  sera diffusé prochainement par France Musique.

Eusebius (26 juillet 2016)

1. L'art de la sonate.

2. La sonate en trio ne se signale pas par son effectif mais par son écriture, deux parties supérieures et une ligne de basse continue. Elles peuvent ainsi être destinées à un instrument, deux, trois ou davantage. Les notices de programme sont également fallacieuses, citant, pour le père comme pour le fils, les « trios ». Les apprentis musicologues qui les signent ont encore beaucoup à apprendre !

3. Deux CD publiés par Aparté, respectivement sortis en 2014 et 2016.

4. Elle joue d'un superbe Francesco Goffriller (Udine) de 1737, sonore, plein, coloré et chaleureux, sans pique, évidemment.

5. Tout autant que les applaudissements, nourris, la qualité de l'écoute, le silence sont des signes qui ne trompent pas. Le public est plus nombreux que jamais : la salle Pasteur est pleine à craquer, tous les fauteuils sont occupés.

6. On pense ainsi, entre autres, à « Die Israeliten in der Wüste ».


Eusebius, eusebius@musicologie.org, ses derniers articles : Gabriel Tchalik et Deborah Nemtanu : la virtuosité comme on l'aimeSaint-Saëns et Zemlinsky, inégalement servisComme un air de famille, Gabriel et Dania Tchalik, violon et piano. — Plus sur Eusebius.


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