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Antoine-Esprit Blanchard : la révélation d'un sous-maître

Les Passions à Montpellier. Photographie J.J. Ader.

Montpellier, Festival Radio France Montpellier Occitanie, Opéra-Comédie, 25 juillet 2016, par Eusebius

L'histoire est injuste, qui n'a pas retenu Blanchard au nombre des grands. Successeur de Bernier comme sous-maître de la Chapelle royale, Antoine (dit Esprit) Blanchard (1696-1770) s'illustre avec Mondonville comme un des derniers représentants du grand motet versaillais1 après la mort de Delalande, Lalouette et Couperin. C'est ce compositeur méridional qu'a choisi Jean-Marc Andrieu, fondateur et  directeur de l'Orchestre Baroque de Montauban — les Passions — pour marquer le trentième anniversaire de sa formation2. De la quarantaine de grands motets conservés, il nous en offre trois, dont deux réalisés par ses soins, une première mondiale.

L'orchestre est à quatre parties, qui se réduisent à deux violons et basse continue dans les passages les plus intimes. Richement coloré (ce soir, avec les bois par deux — un serpent s'ajoutant aux bassons — deux cors naturels, un positif, cordes et timbales3, l'orchestre sonne de façon sensiblement différente de celui de ses prédécesseurs et contemporains de la Chapelle royale : Blanchard a intégré les pratiques en cours dans la sinfonie. Si les ritournelles des récits et des chœurs en rondeau sont d'un recours fréquent4, le style dramatique de nombreux numéros, particulièrement dans le In exitu Israel, est du plus bel effet. À signaler l'écriture violonistique exigeante et raffinée. L'orchestre s'affranchit souvent de la doublure des chœurs. Aucun numéro ne laisse indifférent. S'il fallait n'en retenir que quelques-uns, ce seraient les chœurs ouvrant et concluant le De profundis5, mais plus encore l'In exitu Israel, œuvre majeure par ses proportions, sa force et sa variété (le tremblement de terre du no 5, l'ample finale, puissant d'une écriture admirable).

Les chœurs, essentiels et nombreux, sont une parfaite réussite. Chacune des interventions est un régal, ponctuelle comme dans les numéros les plus développés. Les Élements, 18 chanteurs sauf erreur, se situent au plus haut niveau, à l'égal des plus réputés. L'homogénéité des pupitres, la qualité d'émission, de projection, le modelé, l'articulation, tout est là. Les polyphonies sont d'un soin rare, toujours transparentes et lisibles, les chœurs homophones grandioses, bien projetés. Un grand bravo aux Éléments !

L'équipe vocale des solistes, aguerrie de longue date à ce répertoire, entretient une complicité de bon aloi avec le chef. Si les premiers récits du Magnificat, redoutables, n'atteignent pas la perfection que nous réserve la suite, celle-ci nous comblera, chacun donnant le meilleur de lui-même. Anne Magouët affectionne ce répertoire et son chant s'épanouit particulièrement au De profundis et dans le dernier motet. Une mention spéciale pour Cécile Dibon-Lafarge, que l'on découvre ce soir, issue du chœur : la voix est sonore, longue et séduisante. Nicoles Geslot, le haute-contre idéal du chant français, à la diction toujours très claire (on se souvient de son incroyable Don Quichotte, de Boismortier, avec Hervé Niquet) donne une belle leçon de style. Outre son timbre et son phrasé, on admire son aisance à passer sans la moindre défaillance d'un registre à l'autre. La qualité d'émission, le soutien de Bruno Boterf, un ancien de l'Ensemble Clément Janequin, sont remarquables, tout comme son intelligibilité. Si Alain Buet ne se cantonne pas dans la musique baroque, il l'illustre avec talent. Tout juste peut-on regretter que le grave manque parfois d'ampleur.

Antoine Esprit Blanchard

La direction de Jean-Marc Andrieu, très engagée, attentive, est remarquable à plus d'un titre. Elle excelle à modeler le son et les équilibres, à imposer les tempi appropriés, mais surtout à donner cet élan, cette énergie vitale qui font que toujours la musique avance, avec naturel. L'élégance, la force, la souplesse, la sensibilité sont au rendez-vous.

Pour leur trente ans, les Passions se hissent au plus haut niveau, parmi les formations baroques d'excellence. Le travail inlassable, humble et passionné que conduit Jean-Marc Andrieu, déjà porteur d'une riche production, connaît ici une véritable consécration. La collaboration régulière de l'excellent choeur de Joël Suhubiette — les Éléments — contribue pour une large part à cette incontestable réussite, stylistiquement aboutie. Un double événement, donc. D'abord par la révélation de deux des trois grands motets du grand Blanchard6, ensuite par l'extraordinaire qualité des interprètes, solistes, chœur et orchestre mobilisés ce soir7.

Eusebius
29 juillet 2016

1. en 1954, Norbert Dufourcq, découvreur et défenseur acharné de la musique française baroque, écrivait dans le Revue de Musicologie : « …Qui s'aviserait de nos jours de ressusciter les grands motets de Philippe Courbois (Quare fremuerunt), Gervais, musicien du Régent, Fr. Pétouille (Confitebor), Guignard, Colin de Blamont (Te Deum), Gomay, L'abbé Gaveau, Madin (Diligam te), L. Lemaire, Chéron, Cordelet, Levasseur, Bethizy (Laudate), Davesne, Lefebvre, Berton, l'abbé Dugué, Desormery, Bonnet ? » Si d'indéniables découvertes ont été réalisées, le chantier reste largement ouvert. Signalé par ailleurs, un colloque interdisciplinaire dont l'ambition est de promouvoir la recherche sur la vie musicale dans les provinces du Sud-Ouest de la France sous l'Ancien Régime, « Musique, culture et identités dans les provinces du Sud-Ouest de la France (XVIIe-XVIIIe siècles », réunira les chercheurs les plus éminents les 5 et 6 octobre à Toulouse.

2. C'est Bruno Boterf, soliste — la taille de ce soir — et professeur réputé, qui avait attiré l'attention de Jean-Marc Andrieu sur l'intérêt des oeuvres de Blanchard.

3. L'apport ponctuel du timbre du serpent est tout à fait bienvenu, bien que disparu en 1762 de la musique du roi. Par contre on est surpris que le timbalier ne se serve pas baguettes de bois dur, dont l'usage était alors le plus répandu.

4. Dès l'« Et exultavit » du Magnificat, la répétition de ces formules orchestrales aux thèmes bien dessinés, réjouit l'auditeur.

5. L'entrée homophone du chœur du De profundis, avec un orchestre superbe, le Requiem aeternam, surprenant, presque joyeux dans sa première partie pour devenir jubilatoire, aux amples polyphonies finales.

6. Anne Blanchard, l'âme du Festival de Beaune, appartiendrait-elle à sa lignée. Les Passions et les Éléments réjouiraient le public de l'Hôtel-Dieu, où ils auraient toute leur place.

7. Le concert est enregistré et diffusé en direct sur France Musique. Un CD sortira en septembre.

 

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bouquetin

Dimanche 31 Juillet, 2016 22:19