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Aimez-vous Brahms à Montpellier ? mais lequel ?

aimez_vous brahms ?Sigvards Klavas, Michel Dalberto, , Thomas Enhco, Stephan Genz, Charles Hervet. Photographie © Pablo S. Ruiz.

Montpellier, Festival Radio France Montpellier Région, Le Corum, salle Berlioz, 19 juillet 2016, par3 Eusebius ——

Michel Dalberto n'avait que quatre ans lorsque Françoise Sagan publia le roman dont le titre — provocateur en son temps — allait lancer sa carrière. L'année précédente, en 1958, Louis Malle, à travers la musique de son film « les amants », avait popularisé l'andante du premier sextuor. En dehors du cercle restreint des mélomanes, c'étaient les Danses hongroises, les variations sur un thème de Haydn et quelques œuvres « faciles » qui fondaient alors la renommée du compositeur. Depuis, heureusement, à la faveur d'interprètes engagés, de la diffusion du CD, de France Musique, la question n'a plus lieu d'être posée. C'est le titre que Michel Dalberto a retenu pour cette journée consacrée au compositeur, dont il a composé le programme avec soin.

De quel Brahms est-il question, car le concert-fleuve du soir fait défiler bien des Brahms, parmi lesquels il est parfois malaisé de reconnaitre le nôtre ?

La première sonate pour violoncelle et piano, permet au public de découvrir Charles Herve1. Même si de petits décalages, à la limite du perceptible, se produisent ici et là, traduisant la familiarité récente des interprètes, on est heureux de ce jeu juste, parfaitement maîtrisé, clair, d'une lisibilité permanente, construit avec de belles progressions. Suivent les Vier ernste Gesänge, que l'on a la fâcheuse habitude de traduire par quatre chants « sérieux », alors qu'ici, il est question de gravité. Articulés comme les mouvements d'une symphonie, c'est une méditation sur la mort, le pendant du Requiem allemand en quelque sorte. Dès les premières paroles (car il en va de même des hommes comme des animaux ; comme l'un meurt, meurt aussi l'autre), comment ne pas faire le rapprochement avec le « Denn alles Fleisch, es ist wie Gras » (car toute chair est comme l'herbe) du Deutsches Requiem ? Or la version qu'en donnent Stephan Genz, le grand baryton allemand, et Michel Dalberto fait plus que surprendre : tous deux, proprement habités par l'œuvre, en donnent une version expressionniste,  extravertie, au lyrisme opératique. Les tempi sont rapides, même celui du deuxième, triste, compassé, et l'expressivité extraordinaire du chant comme du piano dérangent. On semble avoir oublié le contexte (Brahms s'attend à la disparition proche de Clara Schumann) et la source luthérienne. La référence est Schütz, pas Wagner, ni Strauss, ni Berg.

À croire que le virus de l'exhibition virtuose gagne : le 24e caprice de Paganini, interprété ici par Amaury Coeytaux, super-soliste à l'Orchestre Philharmonique de Radio-France, mérite d'être inscrit au Guiness des records : l'a-t-on déjà joué de façon aussi rapide ? La pièce est d'une difficulté diabolique, certes, mais  la musique est reléguée au second plan tant la démonstration pyrotechnique est achevée. Michel Dalberto enchaîne tout naturellement les variations de Brahms, contaminées par le même virus. Le jeu est puissant, éblouissant d'une virtuosité dont le pianiste semble se griser.  Sa lecture vise-t-elle à renouveler l'approche, à restituer ou révéler des couleurs jusqu'ici inconnues ? Elle nous réserve, ponctuellement de superbes moments. Mais, la lecture est décapante, corrosive : si la patine, voire la crasse disparaît du tableau, les couleurs fluo et les lumières des leds en altèrent le sens. Il faut écouter sonner les Streicher (facteur autrichien), les Blüthner, les Bechstein et Jörg Demus, ou Katchen, pour s'en convaincre.

Heureusement, il appartient à Thomas Enhco d'être habité par Brahms : au travers de ses magnifiques improvisations sur quelques danses hongroises, nous retrouvons enfin la figure tutélaire, libre, au contrepoint serré, à la rythmique riche, revisitée par un très grand pianiste. Les harmonies originales, enrichies avec discrétion d'accords de passage, sont toujours respectées. L'esprit est là. Soyons assurés que Brahms applaudirait cette approche de sa musique. Le public fait un triomphe, mérité, à Thomas Enhco2.

Brahms s'est bien installé au Corum. Deux choeurs de l'opus 65, puis de larges extraits des Liebesliederwalzer, opus 52, mêlés à quelques-uns des Neue Liebesliederwalzer de l'opus 65 vont ravir le public. Il est vrai que le chœur de la Radio lettone, dirigé par Sigvards Klava, familier du Festival, s'y produit dans un répertoire qui semble écrit pour lui. Thomas Enhco et Michel Dalberto l'accompagnent3. Les pupitres sont très homogènes, et la qualité d'émission rare. Leur conduite est réalisée avec  subtilité et dynamique, fouillant les textes et conférant à cette musique toutes les couleurs requises.

Eusebius
20 juillet 2016

1. jeune et remarquable violoncelliste d'origine bourguignonne dont la réputation de soliste et de chambriste croît de jour en jour.

2. le 8 février 2017, il se produira à Dijon, à l'Auditorium, dans un programme double, de classiques revisités et de jazz, avec trois de ses amis. Thomas Enhco, le dernier fleuron de la grande lignée des Casadesus, est tombé - très jeune – dans la magie du jazz. Comme son frère aîné, David, trompettiste, avec lequel il joue souvent, il se situe au carrefour des cultures, rassemblant ce qui est épars, ce dont notre monde a le plus grand besoin.

3.le terme est ambigu dans la mesure où, fréquemment, c'est ce dernier pianiste qui impose les tempi, non seulement à son partenaire, mais aussi au chef, donc au chœur.

Eusebius, eusebius@musicologie.org, ses derniers articles : Festival de Montpellier : Alla turca ?Contes amoureux du Maghreb à l'Orient, avec Amel Brahim-Djelloul Le secret de Menahem PresslerZoroastre, avant la Flûte… au Festival de Montpellier. — Plus sur Eusebius.

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Samedi 10 Décembre, 2022