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Montpellier, Festival Radio-France Montpellier Roussillon Languedoc, Opéra Le Corum, 21 juillet 2015, par Eusebius ——

Zemlinsky et Mahler réunis

Sarah Connolly et Paul DanielSarah Connolly et Paul Daniel, à la tête de l'Orchestre National Bordeaux-Montpellier. Photographie © Marc Gillot.

Le Festival accueille pour la première fois en trente ans l'Orchestre national Bordeaux-Aquitaine, qui succède ici à l'Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon et à l'Orchestre National de France. Il sera bientôt suivi du Philharmonique de Radio-France et du Sinfonia Varsovia. Abondance rare de biens, qui crée une saine émulation.

Les 6 Gesänge, opus 13, de Zemlinsky, d'après des poèmes de Maeterlinck, seront chantés par la grande Sarah Connolly, que l'on souhaiterait pouvoir écouter plus souvent. Des quinze textes, faussement moyenâgeux1, traduits en allemand, Zemlinsky retient six chansons, dont il réorganise l'ordre pour conférer un sens dramatique cohérent à l'ensemble. Achevées en 1913 dans leur première version pour voix et piano, il les orchestre onze ans plus tard. Faute de pouvoir résumer le sens de chacune2 disons simplement que le Lied central (Lied der Jungfrau) plainte et consolation où l'orchestre chambriste (cordes solos, célesta…) rayonne d'une lumière singulière, commande la structure du cycle. L'orchestration est somptueuse du début à la fin, au point qu'ensuite Mahler pourrait paraître relativement pauvre, ou trivial. Sarah Connolly, à l'autorité vocale naturelle, égale dans tous les registres, avec d'amples graves, un sens dramatique et une diction exemplaires nous émeut profondément. L'orchestre s'y révèle d'une qualité enviable. Modelés admirables, bois délicats, chaleur des cordes, la direction ménage avec soin les équilibres, dynamique, vivante, attentive et précise. Quel bonheur que de (re)découvrir ce cycle rare3 !

L’Orchestre National Bordeaux-Aquitaine L'Orchestre National Bordeaux-Aquitaine à Montpellier. Photographie © Marc Ginot.

Évidemment, le public est venu pour la 5e symphonie de Mahler. La Trauermarsch et l'Adagietto (Mort à Venise) sont dans toutes les oreilles. Épreuve redoutable pour tout orchestre : « La Cinquième est très, très compliquée » écrivait Mahler à Willem Mengelberg, soulignant l'adjectif déjà répété deux fois. Les tempi sont justes, la dynamique extrême, les emportements du « Stürmlich bewegt » parfaitement maîtrisés et conduits avec une autorité rare. La souplesse, la ductilité des enchaînements et des progressions laissent admiratif. Cordes somptueuses, viennoises, petites harmonie et cuivres magnifiques, nous sommes gâtés : les soli, nombreux, sont de très haute tenue (le  cor, la clarinette, cordes soli). Le pupitre des violoncelles a un modelé singulier. Transparence, limpidité, mais aussi envolées paroxystiques, tout le lyrisme et la science orchestrale de Mahler sont servis avec un engagement collectif, on pourrait écrire une communion collective. Le scherzo est proprement jubilatoire, l'adagietto poignant, d'une retenue pudique. La fugue déguisée du finale, dont le sujet est exposé par les violoncelles, avec les interjections des bois, le choral confié aux vents, la profonde cohérence donnée au discours nous ravissent.

Paul Daniel Paul Daniel. Photographie © Marc Ginot.

L'Orchestre National de Bordeaux Aquitaine joue non seulement dans la cour des grands, il sait se hisser au plus haut niveau, cette symphonie de Mahler l'atteste. La direction exemplaire de Paul Daniel, exigeante, rigoureuse, précise, nerveuse, réactive, impulse à l'orchestre une formidable énergie vitale. La musique respire, ample, fragile comme puissante. Les passages les plus chambristes comme les déflagrations telluriques sont sculptés par la gestique du chef : tout  le corps est en mouvement, sans jamais tourner à la démonstration histrionique, aucun geste superflu, chaque musicien doit se sentir personnellement concerné. La perfection est au rendez-vous. A-t-on jamais mieux joué Mahler en France ? Ce n'est pas sûr.

 

Eusebius
21 juillet 2015
© musicologie.org 2019

1. comme ceux du Wunderhorn, ou de Die schöne Maguelone, antérieurs il est vrai.

2. le programme imprimé, bienvenu, comporte le texte allemand et la traduction française de chacune des pièces.

3. enregistré uniquement par Anne-Sofie von Otter, sauf erreur.

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Dimanche 1 Janvier, 2023 15:35