Vollmond. Photographie © DR.
Créée le 11 mai 2006 à Wuppertal par la chorégraphe allemande Pina Bausch, Vollmond (Pleine Lune), présentée samedi 19 décembre à l'invitation du Monaco Dance Forum, nous plonge dans des abîmes de perplexité. Plus encore que son — déjà — énigmatique Laveur de vitres interprété en décembre 2012 sur le Rocher. « Pina Bausch n'aimait pas expliquer ses œuvres », nous informe le programme. « Elle préférait laisser au public la liberté de voir ce qu'il voulait ». Nous interrogeons à l'entracte notre voisin, branché ésotérisme, New Age et autres chakras : « c'est la vie dans toute sa douceur et toute sa violence » nous explique-t-il. Que fait donc ce rocher-météorite sur scène ? Notre commentateur poursuit : « il représente le minéral à côté des autres éléments essentiels comme l'eau ou l'air ». Un autre spectateur se mêle alors de la conversation : « oui, comme cette introduction avec le jeu sonore des bouteilles d'air ». « Pina Bausch avait bien en tête un concept, un fil conducteur », reprend le premier « mais il faut se laisser porter jusqu'au bout par le ressenti pour le découvrir ». Nous ne pouvons qu'acquiescer.
Vollmond. Photographie © Ulli Weiss.
Composée de multiples saynètes dont la dynamique des enchaînements laisse peu de répit au spectateur — et aussi aux danseurs, exténués à l'issue au point de ne pouvoir apprécier l'ovation debout du public —, Vollmond surfe avec génie entre thématiques cosmiques et messages telluriques : les corps des danseurs s'entrechoquent comme autant d'atomes dont la rencontre provoque la libération de particules pour, l'instant d'après, interpréter avec une conviction qui le dispute à l'humour, des scènes banales d'un quotidien auquel nous pouvons tous nous identifier. Au cœur de l'humain, le désir sexuel se manifeste : ici, il prend la forme d'un baiser sur fond de jeu de chaises musicales, là il égratigne la désopilante maladresse masculine à dégrafer un soutien-gorge. D'un éclat de rire qui se transforme en délire hystérique dans la première partie à l'attente anxieuse de la femme se muant en crise de larmes dans la seconde, Pina Bausch, quoi qu'elle en dise, jalonne sa chorégraphie de précieux indices : sinon pour quelles raisons donner un titre à son travail ? Pour quelle autre l'intrigant décor et les costumes de ville, signés respectivement Peter Pabst et et Marion Cito ?
Le parallélisme des formes se manifeste d'ailleurs avec un éclat rafraîchissant dans le final de chaque partie : des trombes d'eau s'abattent sur scène provoquant un déchaînement pulsionnel. Une transe extatique où la pureté de l'élément liquide, dont les projections et les éclaboussures sur le mystérieux rocher ressemblent, sous l'intensité des lumières de Fernando Jacon, à une pluie d'étoiles, libère l'humain de ses entraves terrestres. Souffle vital, explosion primordiale, renaissance : impassibles jusqu'alors, les visages des artistes s'illuminent de plaisir. Le flot délivre, il émancipe. Mais l'onde réunit, elle fusionne : seul moment d'une chorégraphie collective où les gestuelles apparemment désarticulées de l'ouverture se conjuguent dans une harmonie laissant néanmoins à chacun une libre expressivité, la scène ultime devient le bouquet final d'un « feu » d'artifice aquatique. Une célébration aux allures d'antiques bacchanales destinées à diviniser l'eau de pluie. Une eau que nous devrions chérir tant elle se raréfie.
Vollmond. Photographie © Laurent Philippe.
Monaco, le 20 décembre 2015
Jean-Luc Vannier
© musicologie.org
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Lundi 6 Mai, 2024 17:17