Monaco, 22 novembre 2015, par Jean-Luc Vannier ——
Vladimir Spivakov. Photographie © N. Kojoukhovski.
Le premier volet de cette soirée fut d'autant plus un enchantement que la générosité de Vladimir Spivakov l'amena à dédier l'introduction « aux victimes des attentats à Paris » : il exécuta lui-même au violon l'Adagio en sol mineur pour orchestre à cordes dit Adagio d'Albinoni bien qu'il fut composé à la fin de la Seconde Guerre mondiale par Remo Giazzoto à partir de thèmes mélodiques signés Tomaso Albinoni (1671-1751). Exécution d'une rare et poignante sensibilité dont l'ultime note tenue s'éloigne comme l'évanouissement inexorable d'un souffle de vie tout en conservant une trace infinie d'éternité. Sublime. Après une ovation, parmi toutes celles qui ne cesseront de ponctuer ses exécutions, Vladimir Spivakov retrouve sa baguette pour diriger sans partition « Les Virtuoses de Moscou » dans le Divertimento no 3 en fa majeur K 138 de Wolfgang Amadeus Mozart (1772) : le maestro y développe une énergie des plus ciselées dans l'Allegro, nous fait savourer les charmes évanescents de mélodies plus intimistes dans l'Andante et retrouve la célérité dans le Presto. Une sorte de mise en bouche avant les trois mouvements Allegro, Andante, Moderato de la sonate no 3 en do majeur de Gioacchino Rossini où les pupitres des cordes jonglent avec la haute voltige de la rythmicité tout en nous faisant partager les teintes particulièrement ludiques des dernières mesures de la partition. Un engouement identique a salué la Symphonie en re mineur de Luigi Boccherini : cordes à l'unisson — Alexey Lundin premier violon — et en parfaite harmonie avec l'impressionnante gestuelle de Vladimir Spivakov jusqu'à la conclusion de deux pizzicati d'une irréprochable concision. Gestuelle quasi tridimensionnelle de ce « jeune » chef aux soixante-dix printemps dépassés, frais comme un gardon et vif comme l'éclair: il sautille allègrement sur son estrade, étend soudainement les bras en croix ou lance une fulgurante imprécation de la main. Son sport favori, nous indique-t-on, serait la boxe !
Vladimir Spivakov. Photographie © Année de la Russie.
La partie vocale, après un entracte qui dépasse forcément — communauté russe de Monaco oblige — les quinze minutes accordées, nous laissera davantage sur notre faim. Et ce, contrairement à la performance des jeunes voix lyriques russes invitées récemment par l'opéra de Monte-Carlo. Malgré de belles intonations dans le duo de Violetta et d'Alfredo « Parigi, o cara » de La Traviata, le ténor Alexey Neklyudov et la soprano Alina Yarovaya devront beaucoup travailler leurs voix : le premier afin d'accroître et d'harmoniser des capacités de projection qui lui font encore défaut. La seconde pour réduire un vibrato qui, nonobstant son très jeune âge, fige déjà son registre phonique dans celui du « grelot », pas toujours adaptable au répertoire lyrique.
Accompagné par l'ensemble orchestral sous la direction de Vladimir Spivakov, le soliste et accordéoniste Nikita Vlasov a conclu cette mémorable soirée par trois tangos d'Astor Piazzola : Oblivion, Milonga et Ange. Sous l'injonction enthousiaste du public, le maestro russe a dû exécuter un bis en choisissant le célébrissime Libertango du compositeur argentin dans un époustouflant arrangement pour cordes. C'est sous une ovation debout et chargé de multiples bouquets de fleurs que Vladimir Spivakov a quitté une enceinte littéralement envoûtée.
Monaco, le 22 novembre 2015
Jean-Luc Vannier
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Dimanche 1 Janvier, 2023 17:14