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29 décembre 2015, par Srapontin au Paradis ——

Un hiver à Majorque  : œuvres de Chopin interprétées sur un pianino Pleyel de 1838

Un Hiver à Majorque, Frédéric Chopin, 24 Préludes, Nocturnes, Mazurkas, par Aya Okuyama sur un pinino Pleyel de 1838. NoMadMusic 2014 (NMM010)

Enregistré en août 2013 à l'Auditorium du Conservatoire Iannis Xenakis d'Évry

Faisant suite à sa découverte-surprise d'un disque révélant une intéressante interprétation des deux concertos de Chopin sur un pianino et un pianoforte Pleyel, Strapontin est encore étonné de voir que dans sa discothèque, il existait quelques autres disques de la même veine. Ici, il s'agit d'un enregistrement effectué par une pianiste japonaise Aya Okuyama sur un pianino Pleyel de 1838.

Dans les notes techniques de ces deux disques, on remarque le nom de l'accordeur Olivier Fadini, mais rien ne nous informe plus précisément sur le fait qu'il pourrait s'agir du même instrument. Celui utilisé pour ce disque est un pianino bicorde, le modèle construit par « Ignace Pleyel & co. Facteurs du Roi », qui obtint une médaille d'or en 1827 et 1834. Il porte comme numéro de série 6521, est « tablé » en août 1838 et restauré par Olivier Fadini en 2009. La même notice nous informe que le pianino dit « Vertical », comprenant 6 octaves ½, de 1 mètre 14 de hauteur, apparaît vers 1835. Chopin possédait un instrument de ce type à Majorque durant l'hiver 1838-1839, notamment pour terminer la composition des préludes. Son pianino, numéroté 6668, est conservé encore aujourd'hui au Museo Chopin de Valldemossa aux îles Baléares.

Jouer d'un piano ancien demande une technique et un savoir-faire interprétatifs tout à fait autres que ceux exigés par un piano de concert d'aujourd'hui. Les jeux d'Aya Okuyama, pianiste passionnée par ce genre d'instrument (elle est diplômée, outre de piano et de musique de chambre, de pianoforte au CNSMD et au CNR de Paris), évoquent clairement ce savoir-faire. D'une sonorité extrêmement étouffée — que nous avons déjà notée dans notre dernière chronique — elle tire un maximum de caractères, notamment le pianissimo délicat, ou des notes perlées d'ornementations (quel bel exemple qu'Aya Okuyama en donne dans le fameux nocturne en mi♭majeur !). Les amateurs de Chopin retrouveront ici la manière, qui pourrait être proche de celle dont Chopin jouait, relatée selon les témoignages de contemporains. Par ailleurs, le temps de réverbération est extrêmement long, comme si on actionnait constamment la pédale pour amplifier la sonorité ; mais on ne sait si c'est l'effet de la pédale forte ou la caractéristique naturelle de l'instrument, certainement les deux combinés. Peut-être en raison de la fragilité de la mécanique, la pianiste adopte un tempo assez modéré, même pour des morceaux indiqués presto ou molto allegro. Cette interprétation peut donner une idée de ce qu'était le son, non seulement que le compositeur aurait imaginé dans ses inspirations artistiques, mais aussi celui auquel les gens de l'époque étaient habitués. C'est un exercice d'écoute où chacun devrait faire un petit effort pour adapter ses oreilles à un contexte différent qui est devenu le nôtre.

Cette réflexion sur le contexte « historique », ou du moins la proposition de ce qu'il aurait pu être, nous ramène à une autre réflexion : la technologie et les techniques d'enregistrement d'aujourd'hui sont-elles vraiment adaptées pour reproduire un son de ce genre ? Car chaque fois que nous écoutons les enregistrements d'un piano ancien, nous ne pouvons éviter ce  malaise qui viendrait du décalage entre la technologie parfaite qui rend le son pur de l'instrument, et rien d'autre que celui de l'instrument, et ce que suggère l'interprétation sur un tel piano dans son contexte. En effet, il nous semble que les bruits qui se produisaient autour, ceux des doigts qui touchaient le clavier, ceux de vêtements à mesure que les bras du pianiste se déplaçaient, et même du frou-frou de robes des dames qui écoutaient, doivent faire partie de l'interprétation, d'autant que Chopin jouait presque exclusivement pour ses amis dans un cercle fermé… Les moyens techniques actuels sont probablement trop exclusivement concentrés sur le son lui-même, ce qui n'est pas gênant pour le piano moderne, l'enregistrement studio ayant été inventé avec lui, mais ce qui peut empêcher de rendre vie à l'atmosphère ancienne — et pourquoi pas, nostalgique.

C'est avec ces pensées que nous retirons le disque du lecteur.

Strapontin au Paradis
19 décembre 2015
sap@musicologie.org
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1.-24. 24 préludes ; 25-26. Nocturnes opus 9, no 1 et 2 ; 27-28. : Mazurkas opus 17 no 4 et opus 41 no 2 ; Vincenzo Bellini, « Casta Diva », extrait de Norma, Transcription pour pianoforte seul par George Micheuz.


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