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Opéra de Dijon, Auditorium, 14 mars 2015, par Eusebius ——

« Madame Eurydice » reviendra des enfers »1

Eurydice Emmanuelle Haïm en répétition à Lille © DR

Après l'avoir donnée à Lille, Emmanuelle Haïm nous offre cette Descente d'Orphée aux enfers, écrite par Marc-Antoine Charpentier. Si l'œuvre phare de ce concert a suffi à remplir l'Auditorium, la première partie retient toute notre attention. Amor vince ogni cosa [L'amour vient à bout de toutes choses] est une sorte de petit divertissement allégorique qui met en scène deux couples de bergers, ainsi que Pan, qui règle leurs ébats. L'amour, chanté par tous, sort évidemment vainqueur. La vacuité du livret n'interdit pas à Charpentier de dépasser les conventions pour nous réserver de beaux moments, le chœur final en particulier.

Autant, par-delà la langue, le style de cette petite pastorale était italien, autant la sonate à 8, qui suit est très française, annonciatrice de Couperin et de Rameau. Chaque pièce renouvelle la formation instrumentale, permettant à chacun de s'épanouir pleinement. La Sarabande  qui suit le prélude d'ouverture, avec son duo de violes de gambe suggère la filiation à Monsieur de Sainte-Colombe. La succession de la Bourrée, de la Gavotte, de la Gigue et de la Passacaille, pour finir par une remarquable Chaconne nous offre une illustration pertinente de cette musique instrumentale du Grand Siècle, trop souvent sous-estimée par rapport à la production germanique du temps. L'élégance raffinée, empreinte de légèreté et de grâce, mais aussi de gravité, servie par la souplesse rythmique qu'impose Emmanuelle Haïm nous ravit. Des phrasés superbes, l'articulation des flûtes virtuoses, et le théorbe de la grande Monica Pustilnik sont un régal.

C'est pour Mademoiselle de Guise que Charpentier écrivit notre petit opéra en deux actes en 16862. Bien que redécouverte tardivement, La descente d'Orphée aux Enfers, mérite de figurer au panthéon des Orphée, qui, de Monteverdi à Stravinsky, ont le mieux illustré le mythe. Charpentier avait écrit, trois ans auparavant, une cantate sur le même sujet. Après un mémorable Actéon, créé en version scénique en 2013, Emmanuelle Haïm nous en donne une lecture dynamique, colorée à souhait. L'histoire s'arrête à la libération des Enfers d'Eurydice par Pluton, et aux chœurs des Ombres et des Furies regrettant son départ. C'est l'occasion d'apprécier chacun des solistes à travers les airs (Eurydice, Orphée, Apollon, Pluton et Proserpine) mais aussi le trio (Ixion, Tantale, Titie) et les chœurs. Deux sopranos superbes : Elodie Kimmel, qui a beaucoup progressé depuis Actéon, et la grande Katherine Watson ; une Proserpine, Cécile Achille, dont on regrette la brièveté de l'intervention, tant elle est exemplaire ; écrire de Paul Agnew, le premier à défendre cette partition, sous la baguette de William Christie, que sa succession est assurée, n'est pas lui faire injure : Samuel Boden est un Orphée idéal, au chant émouvant, d'une diction modèle. Sa plainte « Ah ! bergers, c'en est fait » et son  « Eurydice n'est plus », au second acte, avec l'accompagnement des trois violes atteignent la perfection. Geoffroy Buffière campe un Pluton impérieux, avec une autorité vocale rare. Quant à Victor Sicard (qui chantait Pan dans la Pastoraletta), son Apollon, d'un timbre chaleureux se signale par la belle conduite de sa ligne.

A son habitude, Emmanuelle Haïm dirige debout derrière ses claviers superposés. Ses mouvements du tronc, de la tête, ses gestes souvent heurtés, avec flexion des genoux, certainement efficaces, nous font penser à l'Olympia des Contes d'Hoffmann. Malgré tout, sa direction toujours attentive nous comble. Chacun se sent concerné et le résultat individuel comme collectif est remarquable. Rêvons un peu : pouvons-nous espérer une version scénique ? Nous serions encore plus comblés.

Eusebius
15 janvier 2013
 

1. D'autant que le livret de l'opéra de Charpentier s'achève avant le retournement fatal. Le titre de la critique est la traduction du message énigmatique qu'Orphée (réécrit par Cocteau), envoûté par son cheval, reçoit de ce dernier : « M… E… R… D… E… ».

2. …Charpentier composait à sa Guise, n'est ce pas ?


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