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9 juin 2015, Par Jean-Marc Warszawski ——

Les grands centres musicaux dans le monde germanique

centres musicaux dans le monde germanique

Candoni Jean-François, Gauthier Laure (direction), Les grands centres musicaux dans le monde germanique (XVIIe-XIXe siècle) (préface par Christophe Charles). « Musiques, Écritures », Presses de l'Université Paris-Sorbonne, Paris 2014 [494 p. ; ISBN 978-2-8-84050-936-3 ; 32 €]

Ce livre réunit 24 contributions relatives aux activités musicales dans les centres urbains germaniques entre le xviie et le xixe siècle. Il contribue donc aux études germaniques et intéressera bien entendu les lectrices et les lecteurs intéressés par le sujet. Mais son centre dynamique — dans des configurations géopolitiques particulières très diversifiées — interroge ce qui est le cœur de toute civilisation, l'urbanisation. Ces endroits de concentration humaine où les solidarités, le politique, les métiers, y compris les métiers artistiques, sont diversifiés, spécialisés, organisés, ou si on peut dire rationalisés.

Il est un des rares livres contemporains d'histoire, véritablement d'histoire, relatifs à la musique, et dépasse par la démarche qui le motive, la circonscription géographique.

Les auteurs ont bien ici et là le sentiment de réaliser quelque chose, de poser un regard sur le passé qu'on ne connaît pas en « musicologie », et tentent parfois en quelques lignes de définir cet état de fait.

En réalité, il est anormal que la musicologie universitaire ne puisse aborder l'historiographie de manière moderne, mettre en lumière les mouvements de longue durée, les spécificités, plutôt qu'élever des mémoriaux aux grands hommes et à leurs œuvres, chercher des formules alchimiques et confondre description et classification d'archiviste ou de marchand avec « histoire », comme à la grande époque révolue de l'histoire des princes et des batailles1, qui plus est dans la vieille tradition positiviste.

De fait, les notions dites d'histoire de la musique, comme musique baroque, classique, romantique, nationale, sont historiquement des fariboles. La grande école des organistes qui s'étend de Lübeck à Prague en passant par Leipzig n'a pas la même histoire que le classicisme vénitien avec Vivaldi ou versaillais avec les Lully et Rameau. Si on peut admettre un mouvement esthétique dit romantique allemand, cela n'a aucun sens en France. De même nommer « musiques nationales », sans autre procès, le mouvement d'imprégnation populaire et de libération de l'hégémonie culturelle française, italienne, allemande et de l'idéologie courtisane, relève d'une vision historique erronée. C'est un phénomène fondamentalement au centre de ce qu'on appelle à tort romantisme. Il faut de plus se méfier des illusions géopolitiques.

Sous l'ancien régime, les musiciens de cour, avec toute la maisonnée, meubles chiens et chevaux suivent leurs maîtres au gré des unions familiales et des résidences dans les diverses possessions et enclaves. Dans les villes ils sont sous l'influence de la bourgeoisie et de l'Église. Il n'y a pas de génération spontanée, l'art circule au gré de la circulation des musiciens et des goûts des publics.

Il n'y a pas d'histoire de la musique autonome en dehors des mouvements de société et de leurs représentations idéologiques. Les artistes ne sont pas les passeurs d'une histoire qui se déciderait sans eux. C'est donc au plus proche des dynamiques sociales de leur activité qu'il faut aller voir, non pour le plaisir de l'anecdote ou la description d'archive, mais pour établir des spécificités.

Les auteurs de l'ouvrage s'y emploient (mais nous ne suivons pas les suggestions épistémologiques de la préface). D'où le grand intérêt de ce livre qui ouvre des perspectives de compréhension historique quant aux mûrissements musicaux de longue durée (xviie-xviiie siècles) dans le chassé-croisé de l'embourgeoisement urbain et du déclin de l'aristocratie.

Il ne s'agit pas d'une succession du type « histoire de la musique » de telle ou telle ville, mais de problématiques diversifiées, touchant les dynamiques historiques et non pas les monuments des histoires de la musique, que l'on trouvera classées chronologiquement.

Bien sûr, Berlin, Hambourg, Leipzig, Dresde, Munich, sont évoqués à des titres divers, mais le sont aussi des villes moins attendues comme, Brème, Kassel, Strasbourg, Cologne. Il s'agit de concurrence entre villes, souvent de la vie des maisons d'opéras, des jeux d'influence des cours, des municipalités ou association bourgeoise, des pérégrinations de compositeurs de premier plan (Srauss), ou de leur influence, comme Liszt à Weimar2, de l'action de confréries, de centres religieux, de sociétés musicales, de rayonnement.

Cette ouverture, comme un hors-d'œuvre, appelle des suites sur la circulation des musiciens, leurs réseaux, leur formation, leur perfectionnement souvent en Italie, sur l'établissement des musiciens étrangers, bien sûr italiens, mais aussi français, la longue durée, par exemple à Leipzig qui a de plus vu l'éclosion de prestigieuses fabriques de pianos au milieu du XIXe siècle, la formation du métier indépendant des musiciens, les interactions entre ville, cour et église, à ce titre les trente ans que Haydn passe à Eszterháza est un phénomène qui mérite attention, il est aussi symbolique en ce qu'une fois libéré du service de la cour, le compositeur se dévoile être un commerçant tout à fait avisé, entre ancien et nouveau monde.

Jean-Marc Warszawski
9 juin 2015

1. Les inepties de l'amuseur public Stéphane Bern, rebaptisé historien, ont toutefois un étonnant et agaçant succès.

2. Curieusement, si aujourd'hui la ville de Weimar honore touristiquement Goethe, Schiller et aussi Bach, la présence mémorielle de Liszt est beaucoup plus discrète.

Table des matières

Préface, par Christophe Charle

Introduction, par Jean-François Candoni et Laure Gauthier

L'époque baroque

Élisabeth Rothmund, Dresde et Leipzig au XVIIe siècle ou la cour et la ville : rivales ou complémentaires ?

Laure Gauthier, Mutations de l'espace musical à Hambourg au lendemain de la guerre de Trente Ans. Aux origines du Gänsemarktoper

Beat Föllmi, Musique et construction d'une identité musicale à Strasbourg sous l'influence des tentatives de francisation à partir de 1681

Danielle Brugière-Zeiss, À la recherche d'un mode d'expression esthétique propre : patriciat et musique de scène et pour la scène à Nuremberg au XVIIe siècle

Anne-Claire Magniez, La scène jésuite à l'heure de l'opéra. Évolutions et nouvelles pratiques musicales à Munich (1648-1722)

Pierre Pascal, La spécificité salzbourgeoise dans le dernier tiers du XVIIe siècle. Vers une nouvelle musique instrumentale

Simone Bardazzi, Influences médicéennes à la cour d'Innsbruck, entre commedia dell'arte et organisation musicale. Le rôle des archiduchesses Claudia et Anna

Jean-François Lattarico, Venise à Vienne. Prémices de l'opéra seria à la Cour des Habsbourg (1658-1698)

Jean-Marie Valentin, Vienne et l'opéra impérial. Un système, une symbolique

Émilie Corswarem, Musique et musiciens de Liège en terre d'Empire sous le règne de Ferdinand de Bavière (1612-1651)

L'époque de l'Aufklärung

Ulrich Tadday, Prémices de l'histoire de la musique dans la ville libre hanséatique de Brême

Hans Erich Bödeker, La vie musicale à Kassel, capitale et résidence princière, vers 1800

Sylvie Le Moël, La redistribution de l'espace musical entre la cour et la ville à la fin des Lumières : Mayence et Düsseldorf dans le dernier tiers du XVIIIe siècle

Sylvaine Reb-Gombeaud, La vie musicale à Salzbourg sous le règne du prince-archevêque Colloredo (1772-1803)

Mathieu Schneider, Rat des villes, rat des champs. Le rôle de Berne et Zurich dans la promotion et la diffusion de la culture populaire à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle

Le siècle du romantisme

Arnold Jacobshagen, Cologne, un chantier musical au XIXe siècle

Patrice Veit, Leipzig et le Gewandhaus à l'époque de Felix Mendelssohn-Bartholdy (1835-1847)

Philipp Ther, Autonomie et professionnalisation. L'évolution du théâtre de cour de Dresde (1815-1914)

Bénédicte Gandois, Renouveler le théâtre par un retour à l'Antiquité : « l'hellénomanie » à Berlin au XIXe siècle

Jean-François Candoni, Le développement de la presse musicale à Berlin au début du XIXe siècle. L'exemple de la Berliner allgemeine musikalische Zeitung (1824-1830)

Nicolas Dufetel, « Comment continuer et compléter l'œuvre de Charles Auguste et de Goethe, afin d'assurer à Weimar en Allemagne la place qu'occupe Florence en Italie ? ». La politique culturelle de Liszt et de Carl Alexander à Weimar (1848-1861) ?

Damien Ehrhardt, De la fondation de la Neue Zeitschrift für Musik à la construction de la Neudeutsche Schule. Mutations du champ musical en Allemagne (1834-1859)

Bernard Banoun, Richard Strauss, de Meiningen, Weimar et Munich à Berlin (1885-1898) : une carrière individuelle dans un espace polycentré

Hans-Joachim Hinrichsen, Résidence périphérique et centre culturel. Meiningen entre 1871 et 1918

Contributeurs

Bibliographie sélective

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