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Dijon, Auditorium, 9 octobre 2015, par Eusebius ——

Le défi des Dissonances ou La mer toujours recommencée1

Les Dissonances. Photographie © Gilles Abegg.

Après Paris (La Philharmonie) et Sarrebrück, et avant Le Havre, Dijon accueille Les Dissonnances, où l'ensemble est en résidence, pour souffler ses dix bougies. La belle aventure se poursuit avec un défi singulier, un rêve fou2 : La Mer, de Debussy. Prouesse technique et musicale : les vents par 3, sinon les 4 cors, 3 timbales et percussion, 2 harpes et des cordes surabondantes, souvent divisées, non seulement l'orchestre est impressionnant, mais la partition ne l'est pas moins. Comment, sans chef, rendre cette fluidité scintillante, ce mystère lumineux, cette puissance enivrante sans jamais tomber dans un prétendu impressionnisme où l'imprécision, le flou autorisent trop souvent des aventures contestables ? Il revient à Hans-Peter Hofmann, pour une fois premier violon solo, d'animer magistralement l'ensemble. Comment ne pas être fasciné par la mise en place, précise, rigoureuse, par les équilibres et les phrasés subtils ? La fusion est achevée, exemplaire.

De l'aube à midi sur la mer, d'une intense vie, nous ravit par ses couleurs, sa transparence. Les violoncelles y sont particulièrement superbes, mais le propos vaut pour tous les pupitres…Les attaques redoutables de cuivres pianissimo et la progression spectaculaire des dix dernières mesures sont admirables. Le frémissement des Jeux de vagues, la lumière, son scintillement, nous fascinent. Le dialogue du vent et de la mer, animé et tumultueux à souhait, se signale par la perfection des traits. Osons le calembour : la mer-veille, hommage à la Bourgogne où Debussy commença l'ouvrage.

David Grimal salue le public après le Caprice roumain d'Enesco. Photographie © D.R.

L'orchestre, enrichi d'un piano, cymbalum symphonique, s'allège pour le Caprice roumain  d'Enesco.  Ce sera l'occasion pour le public de retrouver David Grimal en soliste. Cette page, véritable et ample concerto3, rare au concert comme au disque, est singulière et séduisante. Les unissons qui introduisent le premier mouvement (cordes et basson, violon solo et clarinette) nous plongent d'emblée dans la tradition roumaine. Les soli, très virtuoses, fleurent bon le violon traditionnel et ses techniques caractéristiques. À signaler les qualités du hautbois solo, auquel un épisode fait la part belle. Le deuxième mouvement, tempo di hora, empreint de bonne humeur, permet au violon de dérouler sa mélopée, proche de l'improvisation sur un balancement de danse traditionnelle. Au lento, intense et émouvant succède un molto vivace d'une joie communicative. La partie éblouissante du soliste et la vigueur de l'orchestre soulèvent les acclamations du public. David Grimal lui offre un superbe bis : la Melodia, 3e mouvement de la Sonate pour violon seul de Bartók, émouvante, pure. La salle retient son souffle, un silence recueilli qu'aucune toux ne vient troubler.

La cinquième symphonie de Beethoven, que l'orchestre inscrivit à son répertoire il y a cinq ans, puis enregistra magistralement, conclut ce concert exceptionnel. David Grimal a repris sa place de premier violon solo. L'interprétation est jeune, fougueuse, d'une dynamique peu commune. Les phrasés sont splendides. Jamais la moindre emphase, aucune enflure, on s'en donne à cœur joie, avec un jeu très clair. L'élan ne se dément pas. Les contrastes sont ménagés avec un art consommé. Le finale galvanise le public. On sort enthousiaste, au sens le plus fort.

Couronnement de dix ans d'un projet collectif fondé sur l'engagement, le travail et la passion de chacun, ce concert était retransmis en direct par Radio-Classique, précédé d'interviews de Laurent Joyeux, Brice Pauset et David Grimal.  Heureux auditeurs, donc, mais aussi spectateurs comblés d'un auditorium plein à craquer, car à la perfection de l'interprétation s'ajoutait le régal d'observer l'engagement physique et musical de chacun.

 

Eusebius
10 octobre 2015

  1. Paul Valéry, Le cimetière marin.
  2. La mer est infinie et mes rêves sont fous (G. Fauré, l'Horizon chimérique, poème de Jean de la Ville de Mirmont) ;
  3. laissée inachevée par le compositeur, Cornel Taranu en compléta heureusement l'orchestration.

Les précedents articles d'Eusebius : eusebius@musicologie.org : À Shanghaï, on ne saurait penser à tout…ou les tribulations d'un Français en Chine Trois jours d'Intercontemporain à Shanghaï : Portrait Concert of Beat Furrer. ... Plus sur Eusebius


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