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1er février 2015, par Jean-Marc Warszawski ——

Christine de Suède et la musique

Christine de Suède

Beaussant Philippe, Christine de Suède et la musique. Arthème-Fayard, Paris 2014 [220 p. ; ISBN 978-2-213-64349-6 ; 19,00 €]

Née en 1626, Christine, étonnamment douée, a été élevée comme un prince, à la dure, sous l'autorité d'un théologien,  Johannes Matthiae et sur l‘ordre de son père Gustave II Adolphe, qui meurt en 1632 à la bataille de Lützen. Roi et militaire habile, Gustave II a défait les armées polonaises et impériales au cours de la guerre dite de Trente. Soutenu puis continué dans régence par l'exceptionnel homme d'État Axel Gustavsson Oxenstierna, il a réformé et hissé la Suède au rang de grande monarchie européenne régnant sur la Scandinavie.

Christine est élue reine à l'âge de six ans, siège au Conseil à celui de quatorze ans, accède au règne en 1644, dans sa dix-huitième année. Érudite, savante, parlant de nombreuses langues, y compris orientales, elle s'emploie au rayonnement fastueux et dispendieux de sa cour, initie des collections, s'entoure de savants et de philosophes dont Descartes, fait venir des maîtres à danser et des musiciens français. En politique, elle est (la Suède) avec les puissances protestantes face à l'Empire, signataire du traité séparé de Westphalie à Osnabrück, en 1648, et tente de réduire les prérogatives de la haute aristocratie. Puis, le 5 juin de 1654, tout en gardant son titre de reine, elle abdique, laissant le trône à son cousin Charles-Gustave des Deux-Ponts malgré l'opposition d'Oxenstierna.

Charles-Gustave aurait bien aimé l'épouser, mais elle ne voulait pas, viscéralement, épouser. Tyrannos éprouvée et de métier, elle écrivait qu'elle ne voulait pas tomber sous le joug d'un tyran.  Il n'est pas nécessaire de comprendre.

À peine abdiquée, elle quitte la Suède, se convertit au catholicisme, est accueillie, après plusieurs étapes royales et impériales,  comme un souverain régnant à Rome par le pape où elle s'installe, complotant un temps avec Mazarin pour la couronne de Naples, rêvant depuis Hambourg à celle de Pologne, ou à la mort du cousin œuvrant à  rependre son trône.

Son extraordinaire érudition, sa vaste culture, ses manières brusques, ses réparties tranchantes, ses tenues vestimentaires masculines n'ont pas manqué d'émerveiller, d'intriguer, de scandaliser son temps. Malgré ses mémoires dialoguées avec Dieu en personne, elle reste aujourd'hui une personnalité énigmatique, voire incompréhensible.

Trois cent vingt-cinq années après sa mort, un écrivain français, Philippe Beaussant en tombe amoureux. Parfaitement installé dans le dix-septième, grand connaisseur de sa musique et de ses théâtres, de livrets en arguments, de cour en jardin, de rampe à coulisses, il a fini par croiser Christine. Sans espoir aucun de la marier, il l'a accompagnée assidûment. Pas aux concerts. Selon l'amoureux lui-même, on ne sait pas ce que sa chapelle lui concoctait, selon Scarlatti père, elle aimait par-dessus tout, les madrigaux de Gesualdo.

L'auteur suit donc la reine depuis le ballet qu'elle danse elle-même à la cour de Suède, un ballet-message qui dit clairement, aux courtisans dépités qu'il n'est même pas la peine de penser à un mariage, il la suit à Anvers, Bruxelles (où elle se convertit), Innsbruck, Rome, Fontainebleau … Il voit la reine émerveillée par les spectacles d'opéra qui lui sont donnés et dont, systématiquement elle demande une nouvelle représentation. C'est une reine ruineuse. Il est encore à ses côtés quand elle ouvre le premier théâtre public de Rome, y produit comme on dirait aujourd'hui des reprises. Il applaudit quand elle protège des musiciens (nous applaudissons avec, parce que tout état moderne devrait protéger ses artistes et ses intermittents). Il nous raconte le livret que la reine écrit elle-même.

Philippe Beaussant fait mieux encore, il nous invite à entrer dans les intrigues, à visiter les machineries, à voir les spectacles, bien sûr en noir sur blanc comme un film muet. Et là, le lecteur, s'il en a envie, peut se demander si le spectacle est sur scène ou dans la salle quand la reine y assiste. Si la reine n'est pas un des personnages, ou si la symbolique évoquée par les intrigues n'est pas un miroir.

Essai romancé, amoureux, fleuri des redondances quelque peu hystériques de l'adoration, car on aime répéter ce qui donne plaisir ou étonnement, on veut graver dans la mémoire ces moments précieux, en des images lancinantes intimes. Essai romancé amoureux, intime, quelque peu introspectif, mais fondamentalement historique.

Le plaisir d'écrire de l'auteur n'a d'égal que le plaisir à lire qu'il donne au lecteur. Nous critiquerons tout de même le titre  « Christine de Suède et la musique » qui aurait peut-être dû être « La reine Christine à l'opéra », certes plus primesautier, mais avec toute l'ambiguïté du « à ».

Jean-Marc Warszawski
1er février 2015


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