2 novembre 2015, Monaco, par Jean-Luc Vannier ——
Murray Perahia. Photographie © D.R.
Au sourire affiché des instrumentistes en préparation, nous pressentions, dimanche 1er novembre à l'auditorium Rainier III, un grand moment musical. Le pianiste et chef d'orchestre Murray Perahia y dirigeait la philharmonie monégasque dans un programme des plus classiques mais dont l'originalité résidait dans cette comparaison entre deux concertos de Ludwig van Beethoven, interprétés par Murray Perahia lui-même: le concerto pour piano no 2 en si bémol majeur, opus19 et le concerto pour piano no 1 en do majeur, opus 15. Entre les deux œuvres, la symphonie no 94 en sol majeur, « La Surprise », de Joseph Haydn.
Les musiciens de l'orchestre philharmonique de Monte-Carlo, certes en formation réduite pour cette exécution où les cordes prédominent, ne nous ont pas trompé : deuxième concerto pour piano suivant la numérotation du catalogue mais premier du point de vue chronologique, le concerto no 2 en si bémol majeur, opus 19 résonne encore de teintes mozartiennes par sa légèreté nourrie d'insouciance. Le rythme soutenu de l'Allegro con brio l'emporte sur les mélodies d'une agréable mais authentique simplicité de l'Adagio, à peine chahuté par un crescendo dont l'exacerbation reste toutefois modérée. Le Rondo Molto allegro du dernier mouvement annonce cette virtuosité comme si Beethoven, après quelques hésitations, s'autorisait à exposer l'étendue de son génie pianistique.
Les quatre mouvements de la symphonie no 94 en sol majeur de Joseph Haydn nous replongent, surtout dans l'Andante, dans cette ambiance de sons presque feutrés, interrompue à la mesure 16 par le claquement de la timbale d'où le curieux nom donné par le compositeur autrichien. Plusieurs variations hautes en couleurs, charmantes et raffinées, finissent par se doter d'un caractère plus affirmé avec les timbres.
L'interprétation du concerto pour piano no 1 en do majeur nous offre un Allegro con brio du premier mouvement très différent du concerto précédent : beethovénien dans l'âme, une introduction royale annonce majestueusement — et longuement comme pour mieux se faire désirer — un jeu pianistique immédiatement virtuose et qui, auréolé de cette annonce orchestrale, ne perd pas de temps pour occuper tout l'espace musical. Après un Largo des plus émouvants par sa délicate intériorité, le Rondo (Allegro scherzando) dit bien l'atmosphère ludique, sinon débridée du dernier mouvement où Ludwig van Beethoven devient plus démonstratif, prolixe dans cet étalage de sentiments prédicteurs d'un romantisme plus échevelé. Entre la première œuvre et la seconde, Beethoven semble s'affranchir d'un mode d'écriture et surtout de pensée musicale : comme si le concerto no 2 — commencé à Bonn avant 1790 — désignait une dédicace empreinte de respectueuse considération au classicisme afin de mieux se destiner, une fois cette dette spirituelle soldée, à s'en extirper dans le concerto no 1 achevé, nous raconte la « petite histoire », en avril 1800.
Ce n'est pas le moindre génie de Murray Perahia de nous avoir permis de saisir, avec autant d'élégance dans la musicalité que de pédagogie dans sa direction, ce franchissement dans l'œuvre de Beethoven : les gestes amples de sa paume ouverte dans les phrasés d'ensemble alternent avec ses poings fermés pour obtenir les accentuations rythmées. « On est allé jusqu'au bout des répétitions » explique, heureux, l'un des musiciens. Paradoxe de cette superbe et exigeante direction orchestrale sans direction formelle : le hochement de têtes des instrumentistes répond à la touche du piano, les nuances des pupitres répliquent aux gradations mystérieusement insufflées par le jeu du soliste. Désencombrée du filtre de la paupière, l'oreille, à l'opposé de l'œil, perçoit et réagit directement à l'univers sonore et aux intentions inhérentes de son auteur. La « pulsation » Murray Perahia remplace le geste et fait battre le cœur de Beethoven. Le nôtre aussi. À tout rompre.
Monaco, le 2 novembre 2015
Jean-Luc Vannier
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Mercredi 17 Avril, 2024 23:41