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Nanterre, 5 février 2015 —— Jean-Marc Warszawski.

La haine de la musique : toute la musique du monde

Le RER A n'est pas trop une réussite d'architecture urbaine et ne témoigne pas d'un grand souci pour le bien-être des usagers. Si on change à Nanterre-préfecture sans être coutumier du fait, l'intuition est un bon guide. Mais l'arrivée au vieux centre de Nanterre, ses rues commerçantes de gros bourg provincial, tout droit la rue Maurice Thorez, à gauche au Khebab, le restau Thaïlandais encore tout droit puis à droite, enfin la belle Maison de la musique, sont des motivations quoi motivent malgré le vent glacial. Ce soir les horlogers joailliers du son de TM+, sous la direction de Laurent Cuniot (depuis 23 ans cet an), présentent un monodrame pour dix instruments, électronique, et acteur récitant de Daniel d'Adamo, La haine de la musique, sur le célèbre texte de Pascal Quignard, mis en scène par Christian Gangneron. Le spectacle a été donné au festival Musica de Strasbourg, à la Cité de la musique de Paris, il le sera encore à Marseille au printemps. Le grand auditorium est plein.

TM+Nanterre, Maison de la musique, 5 février 2015. La haine de la musique. Salut de fin. Ensemble TM+, Lionel Monier, Daniel d'Adamo, Laurent Cuniot. Photographie © musicologie.org


Plutôt que mise en scène, parlons de mise en espace. Lorsque le public entre… Laissons la surprise aux Marseillais.

La haine de la musique, c'est la haine de ceux qui croient qu'au début il y avait la musique, une musique qui s'empare des corps, aussi dictatoriale que sont les ténèbres de la célèbre caverne allégorique. Il faut donc se libérer de cette musique des ténèbres pour profiter de celle qui est clarté. Au départ, il y a l'évidence des faits contre les propos lénifiants : la musique n'est pas paix et civilisation, elle est aussi guerre et barbarie (on peut comme le firent les nazis, assassiner en musique). Il faut se libérer de la musique pour mieux l'entendre… en passant par le silence. On  doit libérer le silence.

Il reste que Quignard mène son poème dans une magnifique musique des mots, et que résister n'est pas se libérer. Ulysse qu'il appelle à la barre des témoins résiste au chant des sirènes, attaché au mât, par les bras, par les jambes, par le thorax. À chaque faiblesse, ses hommes serrent les cordes plus fort encore.  Ce n'est pas une libération. L'homme libre aurait joint sa voix au concert, ou lui aurait opposé son propre chant. Mais on veut bien imaginer la mer comme une profondeur, non pas comme une étendue, parce qu'elle est aussi une profondeur.

Daniel d'Adamo, né en Argentine, réside en France après être passé par le Conservatoire national supérieur, l'IRCAM, la Villa Médicis de Rome, avec sa musique sur de nombreuses scènes. Malgré ce qui est affirmé, sa musique semble plus jouer l'étendue que la profondeur, le destin des mots que l'ascension des idées. Sa musique est peu, ou très légèrement illustrative (mais parfois avec des effets d'autant plus puissants) du sens sémantique des mots. Elle est plutôt un contrepoint à la poésie formelle des mots, au chant du poème. Comme les mots, les voix se succèdent, se répondent, se taisent aussi, tricotent avec ceux du poème, donnent parfois l'impression d'avoir  du sens, parfois d'être simplement un son ou une ponctuation affermissant le texte. On est dans le contrepoint des mots.

Cette musique qui s'inscrit dans le mouvement élitiste de la table rase est d'une beauté hiératique. Elle ne s'adresse pas au pathos, ni même à l'intellect, mais à l'admiration, comme on peut admirer la statuaire grecque antique. Cela rappelle que nous ne sommes pas que des commentateurs ou des passeurs (ce qui est fort bien de l'être aussi). Nous sommes aussi démiurges, des dieux créateurs.

La statuaire grecque s'impose, pas seulement à cause d'Ulysse, mais parce que tout ici est blanc, l'orchestre aussi jusqu'aux chaussures, projections vidéo obligent, comme c'était le cas avec des groupes rock des années 1970. Cela met en valeur la beauté des instruments.

TM+Lionel Monier, Maison de la musique de Nanterre, 5 févreier 2015. Photographie © musicologie.org.


La scénographie est parfaitement réglée, on n'en attend pas moins avec TM+. De très beaux effets, comme l'explosion ou l'effondrement du rideau, qui n'est pas sans rappeler la fin de Tosca récemment donnée à l'Opéra Bastille. La prestation de Lionel Monier, comédien récitant,  tend au même  perfectionnisme que l'ensemble instrumental, même si tout ne nous parle pas dans la mise en scène, justement entre poésie et trivialité, les deux côtés de la musique.

 Jean-Marc Warszawski
5 février 2015


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Lundi 30 Août, 2021 1:05