L'orchestre de l'université Waseda à la philharmonie de Cologne, 11 mars 2015. Pḧotographie © Jean-Marc Warszawski.
Presque au terme d'une tournée de 12 dates allemandes qui s'achèvera par une 13e française à Paris le 15 mars, au Théâtre des Champs-Élysées, l'orchestre de l'université de Weseda au Japon se produisait hier 11 mars à la philharmonie de Cologne.Cet orchestre de jeunes, de très haut niveau musical, tiré à quatre épingles, les rouages bien huilés, cérémonieux, avec une organisation millimétrée, ne fait pas vraiment penser à un orchestre universitaire composé d'étudiants faisant de la musique à temps perdu, dans une université qui n'a pas d'enseignement musical. On peut penser que cette université privée recrute de très bons musiciens, comme les universités américaines recrutent de très bons sportifs, afin d'imposer une belle image, une bonne santé, une belle affiche, favorables aux entrées financières et aux étudiants des familles aisées. De ce point de vue c'est assez réussi.
L'orchestre, et les musiciens semblent entretenir des liens particuliers avec l'Allemagne et la philharmonie de Berlin. Les instrumentistes apprécient les professeurs allemands, le programme est essentiellement germanique (et japonais), et on n'a pas réalisé l'effort de mettre une pièce française au programme du concert de Paris du 15 mars. Le son aussi est assez berlinois avec ses basses bien soutenues (10 contrebasses).
Le chef, Kazufumi Yamashita, svelte, nerveux, le pas rapide, un peu rock, ne ménage pratiquement pas de temps de concentration, et lance l'attaque dès son arrivée au podium. Il n'indique pas les entrées en avance, pas d'avance non plus sur les temps pour tirer l'ensemble. Il est parfaitement synchrone en temps réel. Tel un magicien, entrées et effets semblent instantanément jaillir de sa main gauche ou du bout de sa baguette. Cela donne l'impression d'être face à une grosse machine harmonieuse infaillible que le chef suit plus qu'il ne conduit. Il dirige sans partition.
Entre chaque pièce il y a un renouvellement du personnel, en raison des différentes orchestrations, mais aussi parce que les musiciens, en très grand nombre, tournent. On devrait dire musiciennes, car les jeunes filles sont majoritaires tous pupitres confondus.
L'orchestre de l'université Waseda et l'ensemble de taikoristes « Fuun no Ka », à la philharmonie de Cologne, 11 mars 2015. Photographie © Jean-Marc Warszawski.
L'orchestre est impeccable, un son d'ensemble magnifique, une grande précision, un bel artisanat des nuances, des solistes solides. Les œuvres de Strauss, à l'orchestration aussi chargée que raffinée de la première partie permettent de mettre en avant la virtuosité de l'orchestre dans toutes ses composantes.
Le concert s'ouvre sur le poème symphonique Don Juan d'après le texte de Nikolaus Lenau, créé en 1889, œuvre narrative mais assez linéaire, ouverte sur deux thèmes évoquant deux versants de Don Juan, son tempérament volcanique puis sa fierté et sa solitude, en une montée dramatique coupée d'un épisode lyrique avec des échanges d'une mélodie variée entre cor et clarinette pour s'achever sur une brève conclusion et le silence de la mort du héros. La suite des valses extraites du Chevalier à la rose et mise au grand orchestre par le compositeur, est tout aussi narrative mais moins linéaire, puisqu'évoquant plus un état d'esprit divertissant qu'une histoire (ici on est peut-être un peu trop sérieux et esthétisant). Enfin la Danse de Salomé (Danse des sept voiles), orientalisant à l'anglo-saxonne, comme une musique de péplum, mais s'en échappant par son raffinement énigmatique serti d'une écriture dramatisante de main de maître et une orchestration riche et variée.
La seconde partie plus apaisée quant à la rutilance orchestrale et d'une esthétique plus classique, s'ouvre sur l'ouverture d'Euryanthe de Carl Maria von Weber, avec son merveilleux fugato enflant et plongeant dans un climax pathétique, puis le concertino pour trombone et orchestre de Ferdinand David, compositeur et violoniste, ami de Félix Mendelssohn à Leipzig. Malgré un thème un peu martial (peut-être grâce à ce thème), c'est une œuvre plaine de délices propres à ravir le mélomane. Kazuhiro Mizuide (élève du premier trombone de la philharmonie de Berlin), premier trombone de l'orchestre assure brillamment la partie soliste.
L'orchestre de l'université Waseda et les taikoristes « Fuun no Ka », à la philharmonie de Cologne, 11 mars 2015. Photographie © Jean-Marc Warszawski.
Enfin le concert est clôt par Mono-Prism, une pièce de Maki Ischii (1936-2006), pour grand orchestre (à grandes ressources !) et ensemble de taikos (tambours japonais). L'ensemble de taikos, « Fuun no Ka », avec cinq de ses musiciens, sous la direction de Hayashi Eitetsu (qui n'était pas présent ce soir à Cologne) se partagent 5 petits tambours, Shime-taiko, trois gros tambours, nagadô-taiko, et le très gros tsuri-taiko qui est joué à deux percussionnistes, un de chaque côté avec d'énormes bâtons.
Là c'est une marée sonore qui emporte la philharmonie, ça doit même faire des vagues sur le Rhin tout proche. Une telle violence et une telle beauté humaine mêlées dans même mouvement sont propres à provoquer une intense émotion. C'est beau et douloureux à la fois, rageur, inéluctable. On pense aux terribles épreuves du Japon, dont les bombes atomiques, mais aussi au cri de Munch qui ne serait pas muet ou à Guernica de Picasso. On est dans la cérémonie japonaise et l'universel, la puissance, le souffle, qu'on donne contre ceux qu'on ne veut pas subir. Une déferlante apocalyptique, inexorable, pacifique, atonale (et non pas la dentelle souvent maniérée du sérialisme en général confondu avec l'atonalité), une masse sonore à laquelle l'orchestre tente de répondre par tous ses moyens, y compris avec un kaze no oto, « bruit du vent ». Tout à coup le romantisme tonitruant de Strauss le Richard ést anéantie, et pour un court moment, nous aussi.
L'orchestre de l'université Waseda et le tsuri-taiko à la philharmonie de Cologne, 11 mars 2015. Photographie © Jean-Marc Warszawski.
Ovation debout, peut-être pour faire comme à la télé, mais l'ardeur des applaudissements et des exclamations y étaient.
Demain la philharmonie de Cologne rend hommage à Pierre Boulez.
Jean-Marc Warszawski
12 mars 2015
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