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« Foolish wives » d'Erich von Stroheim mis en musique par Marco Taralli et l'orchestre philharmonique de Monte-Carlo

 

 

Monaco, 15 juin 2015, par Jean-Luc Vannier ——

Le pari était audacieux : offrir une seconde vie — musicale — au film d'Erich von Stroheim « Folies de femmes » (1922). Pari plutôt réussi pour cette création mondiale du compositeur Marco Taralli qui permettait, dimanche 14 juin salle Garnier à Monte-Carlo, de redécouvrir ce troisième long-métrage du réalisateur d'origine austro-hongroise au budget colossal pour l'époque : un million de dollars, une année de tournage au lieu des trois semaines annoncées, plus de quatre-vingts heures de bobines dont ne subsistera qu'un film d'une heure quarante, plus de quinze mille figurants qui jouent dans des décors reconstitués à l'identique — le Casino, l'Hôtel et le Café de Paris — au sein de la campagne californienne. Comment orchestrer stricto sensu cette sombre histoire — critique  au vitriol d'une société corrompue par l'argent et le sexe — d'un libertin cynique et de ses deux cousines tout aussi vénéneuses qui se font passer pour des aristocrates russes en vacances et tentent d'escroquer l'épouse du nouvel ambassadeur américain en Principauté ? Dans sa note d'intention, le compositeur et pianiste Marco Taralli explicite la « transformation de sa voracité initiale en plaisir hédoniste consistant à entrer dans une histoire racontée en images » en devenant « le collaborateur en herbe du réalisateur disparu ». Lequel lui « indiquerait les atmosphères, l'évolution de l'intrigue, les personnalités et ainsi de suite à chaque instant du film ». Et de préciser : « j'avais de plus en plus l'impression que Stroheim avait voulu tourner un film sur la duplicité et la dissimulation ». Sans doute celles, en miroir, des usurpations identitaires de von Stroheim lui-même : celui qui se fit passer toute sa vie pour un ancien officier issu d'une illustre famille catholique autrichienne était en réalité le fils d'un boutiquier juif pratiquant.

Marco Taralli. Photographie © D.R.

Minutieux, exigent, le travail d'écriture musicale de Marco Taralli privilégie en outre une technique d'orchestration riche, puissamment soutenue dans ses accentuations par les percussions et les cuivres. Et dont l'invariabilité fait courir le risque d'une prompte saturation auditive. Celle-ci s'estompe fort heureusement avec le déroulement de l'action dramatique. Le thème de la valse y prédomine, tant pour illustrer la frivolité apparente des personnages que pour rythmer plus fiévreusement l'accélération des événements jusqu'au dénouement final. Étonnamment, l'instrumentation soliste n'est guère sollicitée par le natif de L'Aquila : deux superbes séquences, celle du délire psychotique envahissant progressivement la femme de chambre Marushka tout comme celle de la pulsion scoptophilique du prédateur sexuel sur la fille mineure du faussaire, auraient pu y gagner en intensité.

La rigueur toute scientifique de Philippe Béran, maestro doublement titulaire d'un diplôme de physique théorique à l'Université de Genève et d'un prix de direction d'orchestre au Conservatoire de la même ville, sied parfaitement à l'exécution méticuleuse de l'œuvre. L'orchestre philharmonique de Monte-Carlo y puise une redoutable énergie sans trop céder de ses capacités d'inspiration interprétative. Certains instrumentistes avouaient à l'issue « leur plaisir » d'avoir à s'acquitter d'une partition aux cadences pourtant serrées et aux tonalités des plus variées. Le public n'était d'ailleurs pas en reste pour applaudir le fruit de cette commande passée par la Philharmonie monégasque, décidément à la pointe de la recherche et de la créativité culturelles.

Philippe Béran. Photographie D.R.

Monaco, le 15 juin 2015
Jean-Luc Vannier

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