Paris, 12 octobre 2015, par Frédéric Norac —
À mots couverts certes mais toutes voiles dehors pour la musique, le finale d'Ariane à Naxos ne parle finalement pas d'autre chose. Cette métamorphose qu'attend l'héroïne, cette transcendance que lui annonce Bacchus, n'est-ce pas celle de la petite mort qui promet l'oubli de soi et une sorte de renaissance, fut-elle illusion ? L'attente du Dieu que met en scène le livret d'Hugo von Hoffmansthal aura trouvé son équivalent dans cette soirée très courue où Le Ténor ne fait son apparition que dans les dernières vingt minutes de l'opéra pour le mener à l'acmé.
Jonas Kaufmann. Photographie © D. R.
Le public conquis d'avance et venu pour l'applaudir a-t-il remarqué pourtant que Jonas Kaufmann peinait un peu à placer sa voix dans ses premiers appels à Circé et qu'il faut attendre le début de son dialogue avec Ariane pour qu'il trouve enfin toute sa stabilité mais qu'en fin de parcours l'aigu laisse entendre encore quelques faiblesses. Il est vrai que pour cette voix qu'il ne cesse d'assombrir et d'élargir au fil des années, la tessiture de Bacchus est très tendue et le rôle mi Heldentenor mi-ténor lyrique aussi ingrat qu'exigeant.
Auprès de lui, contrairement à ce que l'on aurait pu craindre, malgré son physique de diva à l'ancienne, Amber Wagner qui remplaçait Anja Herteros initialement prévue — ce qui explique sans doute tous ces billets qui se revendaient devant le théâtre — fait largement le poids (sans jeu de mots). Sa voix d'une totale plénitude à l'aigu facile et au grave impressionnant de profondeur sert son personnage avec probité sinon avec charme.
Amber Wagner. Photographie © D. R.
La Zerbinetta de Brenda Rae certes ne démérite pas et son numéro de haute voltige colorature dans la deuxième partie montre une jolie technique mais il manque un rien d'épaisseur dans le médium à sa voix de lyrique léger ce qui est très sensible dans le prologue où elle a du mal à passe avec l'orchestre sur scène. Un rien de malice aussi serait bienvenu pour donner à la dernière réplique de la pièce l'humour qui devrait remettre hommes, femmes et dieux à leur place.
Superbe le quatuor de ses soupirants bouffes et d'une remarquable musicalité le trio des nymphes. Au prologue, Alice Coote, voix métallique, aigu criard, déçoit dans son incarnation du Compositeur qu'elle tire du côté du virago plutôt que de l'adolescent révolté. Le personnage paraît en colère avant même d'avoir été frustré. Un peu étriqué et sans doute bien trop jeune le majordome de Johannes Klama, rôle parlé qui demanderait une tout autre majesté pour rendre toute sa saveur à ses interventions mais excellents le maître de musique de Markus Eiche et le maître-à-danser de Kevin Conners.
Kirill Petrenko. Photographie © D. R.
À la tête de l'orchestre de l'Opéra d'état de Munich, dont cette musique fait le fond du répertoire, Kirill Petrenko — futur maître de la Philharmonie de Berlin — fait briller de mille feux la partition de Richard Strauss et gère la montée vers l'orgasme vocal final avec une maestria qui donne l'impression de le redécouvrir. Cette version concert que la même distribution, au ténor près, reprendra à Munich à la fin de la semaine en version scénique laisse deviner en transparence le travail théâtral qui l'anime subtilement.
Frédéric Norac
12 octobre 2015
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