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Par Strapontin au Paradis ——

Deux concerts de musique de chambre par des jeunes talents au Louvre

Comme certains lecteurs l'ont déjà remarqué, Strapontin au Paradis est un habitué des concerts du jeudi, à midi et demi, à l'Auditorium du Louvre. Récemment, le Quatuor Hermès et le duo Stéphane Tétreault (violoncelle) / Marie-Ève Scarfone (piano) ont encore fait preuve de l'excellence de la série.

Concert du Quatuor Hermès, 19 mars 2015

Quatuor HermèsLe Quatuor Hermès : Omer Bouchez, Elise Liu, Yung-Hsin Chang, Anthony Kondo. Photographie © Jean-Claude Capt.

Formé en 2008 par des étudiants du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon, le quatuor Hermès s'impose aujourd'hui dans le paysage français et européen de musique de chambre. Leur jeu, très dynamique avec grande fraîcheur, a déjà valu, un an après leur fondation, le premier prix, le prix du public et le prix de la Sacem au Concours international de musique de chambre de Lyon, qui a ouvert un palmarès : 1er prix du Concours de Genève, prix de l'Académie Maurice Ravel, celui de la Fondation Charles Oulmont (2011), 1er prix des Young Concert Artists de New York (2012).

Le programme de ce concert est constitué de trois œuvres s'étalant de la période classique (Haydn) jusqu'au début du XXIe siècle (Hersant), en passant par la première moitié du XXe (Janáček). Leur interprétation de Haydn est probablement plus révélatrice des trois : débordante de l'énergie juvénile, elle a quelque chose d'éminemment moderne, cette liberté, pourtant bien cadrée, que leurs aînés et mentors les quatuors Alban Berg ou même Artemis n'auraient jamais — ou rarement — imaginée. Il est difficile de le décrire avec les mots, il faut les entendre pour s'en convaincre, mais une fois qu'on les a entendus, on est entièrement convaincu. De l'Allegro initial très enlevé, ils passent au deuxième mouvement avec le fameux thème qui deviendra l'hymne national allemand, joué pleinement, puis, après un menuet presque militaire, ils abordent le Presto final avec de fabuleux contrastes entre les notes rapides et longues. Le tout fait en sorte qu'on ressent même une sorte de beat proche de rock, ou une pulsation slow sur laquelle on danserait volontiers avec son ou sa partenaire dans une boîte de nuit ! Vient ensuite un Hersant, Fantaisie sur le nom de Sacher. L'œuvre a été créée d'abord en 2008 sous forme de trio à cordes, mais le compositeur a ajouté l'année suivante deux fantaisies aux six initialement composées, puis un instrument supplémentaire (le second violon). Enfin, en 2013, pour le Grand Prix lycéen des compositeurs, est née une autre version pour orchestre à cordes. Le motif S A C H E R (mi♭, la, do, si, mi, ) apparaît sous formes et caractères très variés, évoquant Chostakovitch, Mahler, Stravinsky, Beethoven et même une chanson enfantine. Les quatre musiciens s'approprient avec talent à la caractéristique de chaque pièce assez courte, transmettant vivacité, angoisse, naïveté, sarcasme et lyrisme. Changer ainsi d'un caractère à l'autre requiert une grande virtuosité que l'on n'aperçoit pas forcément. Pour terminer, ils exécutent les « Lettres intimes » de Janáček avec ce sens du silence et de rythme savamment combiné, donnant à l'œuvre une dimension encore plus original.

Avec une formation comme le quatuor Hermès, nous ne pouvons qu'être fiers de l'excellence française dans la musique de chambre, pour laquelle nous pouvons nous enorgueillir sans orgueil !

Joseph Haydn, Quatuor à cordes no 77 en ut majeur Hob. III.77, « L'Empereur » ; Philippe Hersant : Fantaisies sur le nom de Sacher ; Leoš Janáček, Quatuor à cordes no 2 « Lettres Intimes ».

Concert du duo Stéphane Tétrault / Marie-Eve Scarfone, 26 mars 2015

Stéphane Tétreault.Stéphane Tétreault. Photographie © Caroline Bergeron.

Le violoncelliste Stéphane Tétreault est encore très peu connu en France, mais au Canada, son pays natal, il est une étoile qui ne cesse de monter, se transformant peu à peu en un grand soleil. Actuellement encore étudiant à l'Université de Montréal, il a déjà été lauréat de grands concours internationaux : Genève en 2008, Rostropovitch en 2009 et Tchaïkovski en 2011. La même année, il est élu Révélation classique de la Radio-Canada. Sa partenaire de scène, Marie-Ève Scarfone, répétitrice à l'opéra et à l'orchestre symphonique de de Montréal, connaît parfaitement des répertoires autres que pianistiques, son jeu le fait transparaître avec évidence. Elle a été d'ailleurs formée à l'Atelier lyrique de l'opéra de Montréal, outre la Manhattan School of Music et l'Université de Montréal. Elle a un sens inné du chant, capable de relever efficacement la beauté des cordes. Ces deux interprètes d'exception ont donné, en été dernier lors d'un festival, leur premier concert en France. Présent à cette soirée-là, nous, le Strapontin, très impressionné par leur spontanéité et leur musicalité, ne voulions surtout pas manquer leur prestation parisienne, la première si sa mémoire est bonne. Ils jouent ensemble Haydn, Brahms et Tchaïkovski mais aussi une œuvre de la compositrice canadienne Alexina Louie, née en 1949.

Marie-Ève ScarfoneMarie-Ève Scarfone. Photographie © D.R.

Au début, le violoncelliste semble un peu nerveux. Après avoir accordé son instrument, il ajuste à plusieurs reprises son archet et sa pique, vérifie la tenu du violonclle, mais une fois que la musique a commencé, quelle concentration ! Il est rare de voir un interprète si entièrement dans la musique. Il joue Haydn avec beaucoup d'élégance et de style. Ensuite, une pièce de Louie intitulée Bringing the Tiger Down from the Montain II, composé en 2003. La musique est aussi énigmatique que le titre, elle est peuplée de glissandi et de portamenti entre deux intervalles, petits et grands, dont la hauteur des notes ne semble pas tout à fait fixe, jouant ainsi sur certaines ambiguïtés ou sur une sorte de mobilité. Après le concert, Stéphane Tétreault nous a expliqué que le morceau était inspiré de Taï-chi et qu'il s'agissait d'une expression personnelle, de la part de la compositrice, de Yin et de Yang. (Il précise également qu'il n'existe pas le « I », mais seulement le « II »). Dans la première sonate de Brahms, l'ampleur et la profondeur sont au rendez-vous. Les deux musiciens prennent du temps, notamment pour l'Allegro initial, à la limite d'une dilatation, mais le tempo est si subtilement maintenu que cela n'ennuie jamais. Du deuxième au troisième mouvement, ils vont en crescendo, pour insister avec passion l'Allegro du finale. Leur Tchaïkovski est à la fois généreux et léger, avec une somptueuse prouesse technique à la fin. Tout au long du concert, Marie-Ève Scarfone donne l'impression d'être discrète, si bien que nous avons entendu des commentaires dans le public qui la qualifient de « normale ». Mais on se trompe ! Elle est si exceptionnelle pour créer une fusion musicale, avec tant d'harmonie, qu'elle donne cette impression de retrait ; sans elle, le Stradivarius (Countess of Stainlein, ex-paganini fait en 1707) de Tétreault n'aurait jamais pu produire autant de sonorité, suave mais aussi sauvage, avec autant de nuances ! Le Cygne de Saint-Saëns, sublime, qu'ils ont donné en bis, est une preuve sans conteste de son talent, de leur talent.

Joseph Haydn / Gregor Piatigorsky, Divertimento en majeur ; Alexina Louie : Bringing the Tiger Down from the Montain II ; Johannes Brahms, Sonate no 1 en mi mineur opus 38 ; Piotr-Ilytch Tchaïkovski, Pezzo capriccioso, opus 62.

Strapontin au Paradis
11 avril 2015
© musicologie.org

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Lundi 2 Janvier, 2023 23:47