Concours Long-Thibaud-Crespin : compte-rendu
Les lauréats, de gauche à droite : Julian Trevelyan, Kaoru Jitsukawa, Joo Hyeon Park, Madoka Fukami, Daria Kiseleva. Photographie © Sumiyo Ida.
4 novembre 2015, par Strapontin au Paradis ——Après les présélections dans huit pays (France, Japon, Allemagne, Italie, Russie, Royaume-Uni, États-Unis, Brésil) de la mi-mai à la mi-juin de cette année, 41 candidats ont été sélectionnés pour les éliminatoires à Paris, dont 35 se sont réellement présentés les 22 et 23 octobre derniers à Paris. Pour le résultat ultime, les critiques, les mélomanes et les amateurs ont approuvé le choix du jury. Ici, nous abordons les prestations des interprètes qui n'ont pas été sélectionnés pour l'épreuve finale, qui pourtant ont montré des qualités remarquables, au Conservatoire de Paris pour les éliminatoires, et Salle Gaveau pour la demi-finale et la finale-récital. Éliminatoires C'est certainement l'étape la plus excitante de tous les concours internationaux de haut niveau. Les trois pièces proposées (voir l'encadré ci-après) parmi lesquelles il fallait choisir, sont toutes extrêmement exigeantes sur le plan technique et expressif, reflétant certainement la volonté de l'organisateur de hisser le niveau du concours. En effet, à notre sens, le niveau des 35 candidats est très élevé — même comparé à celui du premier tour du Concours de Varsovie deux semaines auparavant, qui était certes assez médiocre par rapport à l'édition précédente. Dans la matinée du premier jour des éliminatoires, le réglage plus qu'incertain du piano a dû interrompre l'épreuve ; cela a certainement joué sur la performance des premiers candidats (notamment les deux premiers, avant le réaccordage de l'instrument). Autre remarque technique : aucun candidat n'a eu le droit d'essayer l'instrument auparavant, chacun devait se lancer sur un piano inconnu. Parmi les éliminés, certains montrent une personnalité musicale plus qu'intéressante. La Française Marrousia Gentet, élève de Rena Shereshevskaya à l'École normale de musique de Paris où elle a obtenu à l'unanimité le diplôme de concertiste cette année, affirme sa musicalité originale (Scarbo), n'hésitant pas à prendre des risques. Son programme (La Leggierezza de Liszt, études opus 7 no 3 et 4 de Stravinsky et Scarbo de Ravel) semble bien adapté à sa personnalité à la fois exubérante et réfléchie. Maroussia Gentet. Photographie © D. R. Jean-Paul Gasparian, déjà connu dans le monde du piano, n'a pas passé non plus la première étape, à notre grande surprise. Sa concentration et la profondeur de son discours musical font de lui un interprète déjà exceptionnel à 20 ans ; certains auditeurs trouvaient qu'il jouait constamment trop fort ; le volume était certes assez élevé, mais cela ne nous a aucunement gêné, étant donné que les nuances et les dynamiques étaient parfaitement contrôlées. Nous ne sommes pas seul à penser que s'il avait été présent au final, il aurait obtenu l'un des meilleurs prix. Le deuxième jour, nous avons regretté l'éviction de Kana Okada, capable d'un formidable élan, dans le point culminant, jusqu'à provoquer la chair de poule, notamment dans Scarbo ; de Won Jae Yeon qui vit la musique en profondeur, dont nous avons particulièrement apprécié la grande beauté de son interprétation de la sonate en ut de Haydn (Hob XVI/48) ; de Kazuya Saito qui fait preuve d'une clarté dans l'exposition de toutes pièces (surtout le Cloud Atlas no 7 de Toshi Ichiyanagi) ; enfin, de Federico Nicoletta, tout simplement un musicien. Jean-Paul Gasparian. Photographie © Jean-Marc Warszawski. Demi-finale Au cours de la demi-finale, la Taïwanaise Wei-Ting Hsieh se montrait constante et solide, avec une admirable musicalité naturelle. Son nom aurait bien pu figurer sur la liste des finalistes. La Japonaise Tomoyo Umemura est également une fine musicienne et se distinguait par son raffinement inné. L'Américain Micah McLaurin était l'un des favoris de plus d'un spectateur, il a fasciné par la fraicheur de son jeu. Le Coréen Jeungbeum Sohn a tous les atouts pour être un grand pianiste, son jeu est somptueux ; il sait déployer une formidable énergie là où il faut, tout en étant infiniment délicat à d'autres moments. S'il n'avait pas rejoué un passage au début de la fugue de Bach — ce qui nous semblait tout à fait anecdotique par rapport au reste de sa prestation — il aurait sûrement et certainement été parmi les finalistes. Finale : récital et concerto Enfin, quelques mots sur chacun des finalistes. Madoka Fukami a un éventail expressif très large, nous l'avons déjà constaté lors de plusieurs récitals qu'elle a donnés à Paris, mais au long du Concours, elle ne s'est pas montrée au meilleur de sa capacité ; peut-être les conditions du concours ont-elles provoqué chez elle une certaine faiblesse ? Il est regrettable que son concerto no 3 de Beethoven soit resté sans relief tandis qu'à l'accoutumée, elle maîtrise parfaitement le répertoire classique, aussi bien que la musique française. Même ses études de Debussy à la finale-récital étaient sans couleurs, contrairement à ce quoi elle nous a habitué. Toutefois, le Prix Fondation Ravel, pour la meilleure interprétation d'une œuvre de Ravel, lui a été décerné pour Scarbo (éliminatoire), Ondine et La Valse (demi-finale) : nous trouvons cette décision juste. Micah McLaurin, discutant à l'entracte de l'épreuve finale-récital. Photographie © D.R. La Russe Daria Kiseleva a montré, depuis les éliminatoires jusqu'à la fin, une platitude percussive extraordinaire, et ce fut un grand mystère pour nous de la trouver à cette étape… Kaoru Jitsukawa possède des moyens techniques plus qu'exceptionnels, aussi naturels que fluides. Il a ravi ou déconcerté, selon la sensibilité de chacun, avec une interprétation très personnelle de la sonate « Waldstein » de Beethoven, ce qui montre cependant une inventivité hors pair. Et quelle magnifique exécution qu'il a offerte des Lumières du manège de Jean-Frédéric Neuburger ! Non seulement il maîtrisait totalement la partition, mais il y a ajouté des touches personnelles d'humour ; il l'a joué avec beaucoup de plaisir, et ce plaisir a été partagé avec toute la salle. Il est donc légitime qu'il ait reçu le Prix de la SACEM, attribué à la meilleure interprétation de l'œuvre contemporaine commandée par le Concours. Le benjamin de tous les candidats de cette édition, Julian Trevelyan, qui vient d'avoir 17 ans juste avant l'épreuve finale, est encore très irrégulier dans sa maîtrise pianistique. S'il excelle dans le répertoire moderne et contemporain, son Beethoven (sonate no 24 opus 78), son Bach (prélude et fugue en ut dièse, BWV 872) et son Mozart (sonate en la mineur K 310) n'étaient pas au point, de plus, très scolaires. Il a joué en grande vitesse le scherzo no 4 de Chopin, ce qui n'était pas très heureux (finale-récital), contrairement à la sonate no 1 de Chostakovitch (demi-finale) et les huit préludes de Franck Martin (finale-récital), pour lesquels tout l'auditoire a été complètement ébloui. Enfin, Joo Hyeon Park avait déjà le métier, mais il ne nous a pas impressionné au-delà d'un savoir-faire professionnel… L'ordre de passage des candidats a été déterminé par un tirage au sort avant les éliminatoires, ordre resté inamovible tout au long du concours, en sorte que nous avons toujours écouté Madoka Fukami dans la matinée et Joo Hyeon Park dans la soirée. Or, l'horaire de passage joue beaucoup sur notre écoute (et sur l'interprétation des musiciens), nous aurions ainsi voulu écouter certains pianistes dans des conditions différentes. Finalement, les deux épreuves finales étaient assez décevantes par les prestations ternes, d'autant plus que nous croyons que les candidats les plus pétris de musicalité ont été éliminés trop tôt. Par ailleurs, nous souhaiterions que les notes des membres du jury, ou du moins le système de notationn, soient rendus publics pour l'ensemble des épreuves (ce que fait aujourd'hui le Concours Chopin par exemple), afin de mieux comprendre le résultat. Strapontin au Paradis
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Mercredi 21 Octobre, 2015 1:42
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