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Aurélie Marjot chante le jeune Alban Berg et compagnie

 

Aurélie Marjot. Photographie © D.R.

Opéra de Dijon, Grand salon de l'Auditorium, 9 mai 2015, par Eusebius ——

En étroite relation avec la création d'un extraordinaire Wozzeck à Dijon, un récital est judicieusement programmé, autour des Sieben frühe Lieder, sept lieder de jeunesse, écrits entre 1905 et 1908, et orchestrés ensuite, qui constituent — avec l'opus 2 — l'aboutissement de l'œuvre vocale du jeune Berg, avant qu'il s'attelle au livret, puis à la musique de son chef-d'œuvre. Ces années d'apprentissage sont essentielles, où l'autodidacte voit son inscription retenue par Schönberg  aux cours du soir qu'il organise avec Zemlinsky, sur la base d'une demi-douzaine de mélodies. Schönberg devait déclarer, longtemps après : « Dès les toutes premières compositions de Berg […] on pouvait déceler deux choses. Premièrement que la musique pour lui était une langue, et qu'il s'exprimait véritablement dans cette langue ; et deuxièmement : une débordante chaleur de sentiment. » Et il ajoute : « Je le sais aujourd'hui : Berg, qui s'était intéressé d'une manière si extraordinairement intense à la musique de son temps, Mahler, Strauss, peut-être aussi Debussy, que je ne connaissais pas, mais sans aucun doute à ma musique aussi, avait certainement le désir le plus pressant de ne plus composer à l'intérieur des formes classiques […] mais en fonction de sa personnalité […], celui de s'exprimer d'une manière adéquate au temps où il vivait. »

Le programme  a donc retenu Mahler, Strauss et Schönberg  pour nous plonger dans cette Vienne post-romantique qui n'a pas encore fait le deuil de Brahms ni de Bruckner,  mais aussi Debussy qu'admirait tout autant le jeune Berg.

De Mahler, trois extraits des Rückertlieder créés lors d'un concert organisé par Zemlinsky et Schönberg : Um Mitternacht, Liebst du um Schönheit et Ich bin der Welt abhanden gekommen.  Le petit bijou central, strophique, où Tristan est cité, est le seul à avoir été conçu pour la voix et le piano.  Dans cette version, les deux autres, vocalement splendides, perdent beaucoup des somptueuses couleurs orchestrales que le Bechstein, même remarquablement servi par Mihály Zeke, est impropre à restituer. Des Ariettes oubliées, de Debussy, également trois extraits : C'est l'extase langoureuse, Il pleure dans mon cœur et Chevaux de bois (qui sera repris en bis).  C'est un égal régal de les écouter avec cette justesse de ton, d'émission, cette conduite de la ligne, et ce piano au toucher si juste. L'équilibre et l'entente entre la voix et l'instrument relèvent du miracle. De Richard Strauss, les deux premiers des  Sechs Lieder de l'opus 68 : « An die Nacht », et « Ich wollt ein Sträusslein binden ». Bien qu'orchestrés ultérieurement, leur version pianistique ne souffre jamais du moindre appauvrissement. Les beaux arpèges du premier, soutenant une ample mélodie, la grâce espiègle du second, où flotte un parfum du Rosenkavalier, le bonheur est là. « Erwartung » n'est pas seulement le titre d'un opéra de Schönberg. C'est en effet le premier des Vier Lieder de l'opus 2. Finement ouvragé, fluide, souple, il rejoint en quelque sorte l'art de Debussy, que Schönberg ignorait alors.

Quant aux Sieben frühe Lieder, rarement donnés, ils nous plongent dans un univers singulier, déjà fortement marqué par la personnalité du jeune Berg. Du premier, « Nacht », qui tranche par sa modernité prémonitoire, au « Sommertage », qui ferme le recueil, nous assistons au miracle de l'éclosion d'un génie. Mes préférences vont à  « In Zimmer » (le 5e), chronologiquement le plus ancien du groupe.

Bien que très jeune encore, Aurélie Marjot n'est pas une inconnue : les Dijonnais, qui  ont rapidement empli la salle, se souviennent de ses interventions dans Peer Gynt, dans la Missa pastoralis de Ryba, de son récital Schumann et Brahms donné avec trois autres solistes, et enfin de sa Fekluša  (Katia Kabanova) en janvier dernier. Vouée au chant depuis son plus jeune âge, son parcours est exemplaire, tant musical qu'universitaire. De concours en concours, d'où elle sort le plus fréquemment sur le podium, de participations ponctuelles à des rôles plus exigeants, ses progrès sont clairement audibles. On imagine difficilement qu'avec une corpulence menue, elle atteigne à une longueur de souffle, à une puissance et à une projection aussi convaincantes. Son beau timbre de soprano mêle les ressources du soprano léger, frais, juvénile, à celles du soprano lyrique, avec des graves solides et francs. La large palette expressive de ce récital confirme également une sensibilité et une intelligence musicales particulièrement riches. Elle a les qualités requises pour franchir la porte étroite entr'ouverte sur une belle carrière. Bien que souffrant,  Mihály Zeke, qui devait renoncer à la sonate opus 1 de Berg, donnait le meilleur de lui-même pour accompagner cette jeune cantatrice qu'il connaît bien. Un jeu toujours attentif, une technique superlative au service des oeuvres, que demander de plus ?

Eusebius
9 mai 2015

 

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