Édith Canat de Chizy. Photographie © C. Daguet.
Il n'est pas sûr que Voilé Dévoilé d'Édith Canat de Chizy, donné en création mondiale par la Philharmonique de Radio France, laissera une trace indélébile dans la mémoire de ses auditeurs et moins encore dans l'histoire de la musique du xxie siècle. Le poème de Philippe Jacottet, extrait de À la lumière d'hiver qui lui sert de point de départ , évoque une épiphanie, une révélation innommée et ténue, mystérieuse dans sa formulation, dont jamais nous n'avons eu le sentiment de retrouver le caractère tout à la fois mystique et sensoriel dans la pièce elle-même.Traitée comme une sorte de cantate, elle fait penser à deux grands modèles, Erwartung d'Arnold Schönberg (et pas seulement à cause de la traversée nocturne d'un jardin) et le Marteau sans maître de Pierre Boulez, sans jamais arriver à s'en affranchir vraiment. Le traitement orchestral spectaculaire, aux formules sans cesse répétées, n'offre que peu de variations, de changement de registre expressif. Dominé par les percussions, les vents et les cordes graves, il écrase totalement la voix à qui ne sont confiés que quelques mélismes sans originalité. Le texte lui-même n'émerge que dans les brefs moments où il est parlé et reste la plupart du temps incompréhensible. Il eût sans doute mieux valu gommer le substrat littéraire et n'en garder que la traduction musicale pour éviter ce sentiment de hiatus, d'écart entre un traitement emphatique et par trop dramatisé et un langage poétique entièrement situé dans la suggestion et l'indicible. On se demande en outre s'il était indispensable de convoquer Mireille Delunsch pour lui confier un tel « sous-emploi », d'autant que la soprano reste accrochée à une partition qu'elle ne semble pas pleinement maîtriser.
Au final, quelques « hou » spontanés venus des balcons confirment que nous sommes bien là face aux dérives d'un académisme contemporain où le métier a remplacé la liberté et l'inspiration.
Joshua Weilerstein. Photographie © Felix-Broede, 2015.
Ce qui restera en revanche dans nos mémoires, c'est la révélation d'un chef encore inconnu en France mais qui, d'évidence, ne le restera pas longtemps. Moins jeune que le laisseraient penser sa silhouette et sa démarche saccadée d'adolescent prolongé, Joshua Weilerstein possède déjà une belle expérience. Il a notamment collaboré avec le Simon Bolivar Orchestra et le New York Philharmonic et succèdera en septembre prochain à Christian Zacharias à la tête de l'orchestre de chambre de Lausanne. On espère que son installation en Europe donnera de nouveau l'occasion de l'entendre tant sa personnalité dégage de sympathie, sans parler d'un talent qui crève l'écran. Sa direction séduit tout autant en première partie par la délicatesse de son approche du poème symphonique de Chausson, Viviane, à la texture et aux couleurs très debussystes donné dans sa version définitive de 1888, où le trahissent hélas quelque peu les cors du Philharmonique, que dans son interprétation, tendue, précise, d'un dynamisme sans faille des Danses symphoniques de Rachmaninov qu'il mène sans aucune baisse de régime jusqu'à l'explosion finale, laissant l'auditeur pantois et l'orchestre ravi d'une complicité et d'une osmose d'évidence totales.
Concert en réécoute sur France Musique .
Frédéric Norac
29 mai 2015
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