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Michel Rusquet, Troissiècles de musique instrumentale : un parcours découverte. III. Le temps de Bach.

La musique instrumentale d'Antonio Vivaldi 1678-174

Antonio Vivaldi

Un véritable phénomène que ce Vénitien qui, en dépit d'une constitution fragile, fut tout à la fois virtuose du violon, professeur, compositeur, chef d'orchestre, directeur de théâtre et impresario, et qui, dans une extraordinaire furia créatrice, produisit une quantité d'œuvres proprement hallucinante.

On en oublierait presque que ce diable d'homme fut également prêtre, mais l'exercice de son ministère prit très vite des allures de service minimum : s'il resta durablement fidèle à la lecture du bréviaire, il renonça au bout d'un an à dire la messe, une décision qu'il devait un jour expliquer par sa « maladie de poitrine » mais qui, certainement, tenait beaucoup plus au démon de la musique.

En fait, dès 1703, l'année-même de son accession à la prêtrise, celui qu'on allait surnommer « il prete rosso », en référence à sa chevelure d'un blond vénitien intense, entra comme maestro di violino —  avant d'y élargirgrandement ses fonctions — à l'Ospedale della Pietà, une de ces fameuses écolesde musique vénitiennes qui recueillait des jeunes filles orphelines ou abandonnées pour leur donner une formation musicale du plus haut niveau. Dans cet établissement, qui n'avait rien d'un couvent, Don Antonio allait trouver savie durant un cadre des plus propices à la création et aux expérimentations musicales les plus audacieuses.

L'image d'un Vivaldi définitivement attaché à la Pietà est tellement ancrée dans les esprits qu'on a tendance à oublier que le musicien voyagea beaucoup, en Italie ainsi que dans plusieurs grandes villes européennes, et qu'il y fut souvent au contact des grands de ce monde. Dans nombre de cas, il s‘agissait pour lui d'être l'impresario de ses propres œuvres car, à partir de 1713, notre homme était habité d'un second démon, celui de l'opéra, un genre auquel il allait sacrifier, de façon clandestine au tout début, puis très ouvertement ensuite, au point de lui confier — au bas mot — une cinquantaine d'ouvrages.

En réalité, malgré une multitude d'informations surtoute une vie d'activité proprement frénétique, la biographie de Vivaldi recèle encore de larges zones d'ombre dont certaines ne pouvaient qu'être source de rumeurs. On pense ici bien sûr à la nature des relations que ce curieux prêtre a pu entretenir avec les demoiselles de la Pietà, en particulier avec Anna la chanteuse et sa sœur Paolina, deux fidèles entre les fidèles avec lesquelles on le verra beaucoup à partir de 1725. On s'interroge aussi, plus sérieusement, sur l'enfance d'Antonio et surtout sur sa formation de musicien, car s'il fut si méchamment en butte aux sarcasmes d'un certain establishment musical vénitien, c'est probablement qu'il n'avait pas appris la musique auprès des grands maîtres de San Marco ;  il devait sans doute l'essentiel de sa formation à son père Giovanni Battista, un honorable violoniste de la chapelle ducale de Saint-Marc, et à quelques petits maîtres isolés qui lui auraient enseigné quelques règles de composition à partir desquelles le jeune homme aurait développé ses dons en autodidacte, d'où peut-être ce penchant « coupable » pour l'extravagance et les bizarreries auquel il doit une bonne part de sa popularité.

Reste la grande énigme des années 1740 et 1741, cette dernière ligne droite de notre musicien où on le voit quitter sa chère Venise, apparemment sans espoir de retour puisqu'il brade tous ses manuscrits et tous ses biens, et partir, sans que l'on sache trop dans quel but, vers une destination plus septentrionale, après quoi on apprend qu'il est mort à Vienne,dans le plus grand dénuement et dans une indifférence totale. « Cette fin reste un mystère. Il semble qu'il ait pu être en fait exilé par le gouvernement de la république de Venise, pour des raisons obscures, peut-être politiques : cela expliquerait en tout cas à la fois certains textes et lettres écrits par Vivaldi à la fin de sa vie, où il se défend contre des attaques et des calomnies, sa misère à Vienne, l'absence de tout protocole et de toute cérémonie à ses funérailles, et le silence qui entoure sa mort.»1  Une fin étrange, décidément, pour un musicien qui, sans interruption ou presque, avait connu la gloire pendant des décennies. Mais peut-être s'en consolera-t-on un peu en pensant que, parmi les petits chanteurs qui officiaient lors de son service funèbre, figurait très probablement un enfant nommé Joseph Haydn…

Après tout cela, on ne s'étonnera guère que, comme d'autres, le nom de Vivaldi ait sombré durablement dans l'oubli, pour ne réapparaître que peu à peu au cours du xxe siècle et accéder bientôt au rang de super star grâce à ses Quatre Saisons. On sait ce qu'il doit à l'avènement du disque (et inversement…), mais sait-on qu'il doit d'abord sa résurrection au travail de quelques grands musicologues comme Marc Pincherle et Arnold Schering, et peut-être même … à J.-S. Bach qui fut le premier à le mettre à l'honneur en transcrivant quelques-unes de ses œuvres instrumentales ?

Que Bach ait admiré cette musique, voilà qui devrait clouer le bec de ceux pour qui l'extrême prolixité du Vénitien est forcément synonyme de facilité et de vacuité. Certes sa facilité d'écriture était sidérante, lui qui affirmait être capable « de composer un concerto avec toutes les parties plus promptement qu'un copiste ne pourrait le copier ». Bien sûr également, cette musique ne prétend que rarement à la profondeur, et de ce fait n'appelle guère une écoute engagée ni une fréquentation assidue. Mais il y a là un art très personnel auquel il est difficile de résister, un art qui se partage « entre deux tendances : l'impétuosité, celle duvioloniste virtuose, l'exubérance, une vigueur rythmique, une vitalité merveilleuse. Et une science, qui ne s'étale pas, mais qui est réelle. Vivaldi n'ignore riende la technique du violon. Sa science du contrepoint, quoi qu'on en ait dit, est sûre et sans défaut : simplement il n'en fait pas étalage ; il écrit des fugues sérieuses et denses, mais uniquement lorsqu'il le croit utile. »2  Au fond, pour aborder cette musique dans les meilleures dispositions, ne doit-on pas faire sienne la réflexion qui suit : « Goûter Vivaldi implique une régression, l'acceptation d'un certain abandon du sens critique et un lâcher prise pour entrer en résonance avec l'expression des passions humaines. Musique sensuelle, l'œuvre de Vivaldi restera toujours hermétique aux infirmes du cœur. »3

Aujourd'hui encore, après des décennies d'explorations approfondies, enrichies par de nombreuses découvertes departitions manuscrites, on considère que c'est dans ses compositions instrumentales que Vivaldi a livré le meilleur de son art, même si, comme nous nous efforcerons de le faire ci-après, l'immensité de l'œuvre impose d'y séparer le meilleur grain d'une certaine ivraie. Pour autant, on aurait tort de négliger ses œuvres vocales : si on en doutait encore jusqu'à une époque récente, des voix éminentes comme celles de Cecilia Bartoli ou Philippe Jaroussky se sont chargées de nous rappeler que les opéras et les cantates du Vénitien recèlent nombre de pages superbes. Quant aux œuvres vocales sacrées, autre volet important de la production du preterosso, leur réputation, du moins pour certaines d'entre elles (l'oratorio Juditha triumphans, le Gloria RV 589, le Nisi Dominus RV 608 ) est depuis longtemps justement établie.

Les sonates

La musique de chambre de Vivaldi représente un corpus d'environ quatre vingt dix sonates, dont une petite moitié seulement fut publiée de son vivant ; des œuvres dont une très large part remonte à la première moitié de sa carrière et dont on s'accorde à dire qu'on y trouve rarement le grand Vivaldi.

Opus 1 et 2 

On a là deux recueils de douze sonates chacun, l'opus 1 (1705) étant constitué de sonate da camera a tre pour deux violons et basse continue, et l'opus 2 (1709) de sonates pour violon et basse continue. Particularité du premier recueil : la douzième sonate n'est en fait qu'une suite, au demeurant très réussie, de vingt variations sur le thème de La Follia.

Ces sonates restent assez traditionnelles dans leur forme et demeurent fortement marquées par l'influence de Corelli, mais on y pressent ici ou là certaines des qualités qui seront celles du Vivaldi à venir.

Sonate en mineur opus 1 no 12 RV 63 « La Follia », Enrico Onofri, Giovanni Antonini & Il Giardino Armonico.


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Opus

Publié en 1716, ce troisième recueil de sonates ne comporte que six sonates pour violon et basse continue dont deux (RV 72 et 76) font appel à deux violons solistes.

Bien que présenté par Vivaldi comme un complément à l'opus 1, ce recueil marque une avancée dans le sens de l'affranchissement du compositeur par rapport à la figure de Corelli et, tout particulièrement dans les deux dernières sonates où s'affrontent deux violons, fait mieux apparaître les qualités d'invention et de vitalité si caractéristiques du musicien, déjà évidentes dans les deux séries de concertos publiées quelques années plus tôt.

Sonate opus 5 no 6 en sol mineur RV 72, pour 2 violons et basse-continue., I. Preludio, The Purcell Quartet.

Il pastor fido, opus 13

Quel que soit le charme de ce recueil de six sonates publié à Paris en 1737 sous le titre Il pastor fido, sonates pour la musette, vielle, flûte, hautbois, violon avec la basse continue, del signor Antonio Vivaldi, opera XIII, nous ne l'évoquons ici que pour mémoire tant l'authenticité de ces œuvres est plus que jamais contestée. Il semble bien qu'en l'espèce un éditeur français non dénué d'opportunisme aurait profité de la vogue que connaissait la musique de Vivaldi pour emprunter à celui-ci quelques thèmes en les enveloppant dans une garniture instrumentale bien au goût de sa clientèle française, quitte à recourir pour cela, comme ce fut apparemment le cas pour la célèbre Sonate en sol mineur, voire pour l'ensemble du recueil, aux services de Chedeville.

Sonates pour violoncelle etbasse

On connaît de Vivaldi au moins neuf sonates de ce type, dont les six publiées à Paris en 1740 dans un recueil sans numéro d'opus, et désormais répertoriées sous l'Opus 14.

On a souvent dit de ces sonates pour violoncelle et basse qu'on y trouve le meilleurde la musique de chambre de Vivaldi. Il est vrai qu'elles réunissent un ensemble de qualités qui leur vaut de bénéficier des faveurs des interprètes, et les cinéphiles avertis se rappelleront sans doute que, dans Barry Lindon, Kubrick utilisa un certain Largo issu d'une de ces sonates (3e mouvement de celle en mi mineur).

Sonate en mi mineur RV 40, Roel Dieltiens & Ensemble Explorations.

Autres sonates

Parmi la cinquantaine d'autres sonates non publiées du vivant de l'auteur, dont une part importante est évidemment destinée au violon, on s'empressera de faire un sort aux quatre Sonates pour flûte traversière (RV48 à 51) qui ont tout… pour ne pas être de Vivaldi.

S'agissant des différents ensembles de sonates pour violon et basse (sonates dédiées à Pisendel, sonates dites « de Dresde », sonates dites « de Manchester »), on pourra trouver souvent leur substance assez légère, notamment dans le cas des dernières nommées.

On aura en revanche une grande considération pour les quatre Sonates pour deux violons sans basse (RV 68, 70, 71 et 77), parfois indiquées avec basse ad libitum, qui sont de vrais bijoux. L'une de ces sonates (RV 71) « n'est d'ailleurs qu'une réduction brillante du concerto RV 516 pour deux violons, et les trois autres sont calquées sur le même modèle. Trois mouvements, deux archets qui s'observent, se chamaillent, se soutiennent ou s'affrontent. L'orchestre est virtuel, mais la construction des lignes solistes si bien élaborée qu'il se devine. »4

Sonate pour 2 violons sans basse en sol majeur RV 71, III. Allegro, Chiara Banchini & Véronique Béjean.

Ajoutons-y une certaine Sonate pour violon et violoncelle (RV 83) qui, outre ses qualités propres, présente la particularité —  si rare chez Vivaldi — d'être un « exemplaire unique ».

Autres œuvres pour cordes à distinguer, mais leur réputation est déjà bien établie : les Sonata e Sinfonia Al Santo Sepolcro a 4, RV 130 et169. Ces deux œuvres à destination sacrée comptent parmi les pages les plus émouvantes de Vivaldi, lequel s'y montre capable d'une rare profondeur.

Sinfonia al Santo Sepolcro en si mineur RV 169, Europa Galante (Fabio Biondi).

Quant au reste de la production de chambre du compositeur, on y distinguera principalement la très belle Sonate pour hautbois (RV 53) ainsi que la délectable et cocasse Sonate pour flûte à bec et basson (RV 86). On pourra trouver également plaisir à un détour par les Trios pour luth, violon et basse-continue (RV 82 et 85), et les amateurs de pittoresque à tout prix iront jusqu'à s'intéresser à la très contestée sonate pour violon, hautbois, orgue et basse-continue (RV 779).

Sonate pour flûte à bec et basson en la mineur RV 86, Il Giardino Armonico (Giovanni Antonini).

Les Concertos

Les chiffres donnent le vertige : quatre cent soixante-dix-huit concertos recensés, dont plus de quatre cent trente pour un ou plusieurs solistes ! Même si on n'a cessé, non sans raisons, de blâmer Stravinski pour avoir dit de Vivaldi  « il est assommant et pouvait recommencer six cent fois le même concerto », il faut bien lui accorder quelques circonstances atténuantes.

Pourtant, derrière cette profusion qui ne saurait aller sans répétition de schémas ou formules standardisés, et au-delà de cet« embarras du choix » que nous impose le compositeur, il est clair que nous avons là un catalogue des plus précieux, et certainement les manifestations les plus évidentes du talent personnel de Vivaldi. De plus, à bien y regarder, une réelle variété y est de mise, à commencer par celle des distributions instrumentales des concertos pour solistes : les concertos faisant appel à un seul violon, au nombre de deux cent vingt, occupent certes le devant de la scène, mais on trouve à leurs côtés quantité de concertos dévolus à un autre instrument (viole d'amour, violoncelle, basson, hautbois, flûte, mandoline, trompette) ou à deux ou plusieurs instruments. De plus, quelques-uns de ces concertos font appel à deux orchestres à cordes, et inversement, Vivaldi nous offre une vingtaine de concertos da camera sans orchestre.

On le sait, un des grands titres de gloire de Vivaldi est précisément d'avoir été un pionnier du concerto pour soliste, ou plus exactement d'avoir imposé cette forme nouvelle en la portant à une sorte de perfection définitive avec la division en trois mouvements (vif-lent-vif), l'opposition des tutti et des soli, et plus encore l'affirmation individuelle du ou des solistes.

Mais « ce qui compte, c'est moins la clarté de cette structure formelle, sa construction si lumineuse, que la richesse de l'invention mélodique foisonnante, la fantaisie qui n'ôte rien à la rigueur, la science des dosages sonores, le lyrisme surtout des mouvements lents, conçus un peu comme des airs ou des ariosos d'opéra, où le cadre formel s'assouplit et où l'accompagnement s'allège pour laisser au soliste de libres champs d'envol. »5

Bien entendu, l'immensité-même de ce catalogue nous interdit d'en envisager une revue de détail. Aussi ne chercherons-nous ci-dessous qu'à fournir quelques grands repères, en commençant par les recueils publiés du vivant de Vivaldi et en terminant par les autres concertos aujourd'hui connus.

Recueils publiés

Opus 3, L'Estro armonico 

Lors de sa parution en 1711 à Amsterdam, ce premier recueil de douze concertos eut un retentissement considérable : « Cette vitalité rythmique, ces mélodies ensorcelantes, ces chaleureuses couleurs, cette mystérieuse tendresse (Robbins Landon) ne ressemblaient à rien de publié auparavant. Bach, qui fut l'un des plus ardents admirateurs de L'Estroarmonico, réalisa des arrangements de six concertos, dont le célèbre Concerto pour quatre violons transcrit pour quatre clavecins. »6

Ces douze concertos, dont le succès ne s'est jamais démenti depuis la redécouverte de Vivaldi au xxe siècle, se répartissent en trois groupes : quatre pour 1 violon, quatre pour 2 violons et quatre pour 4 violons, étant précisé que certains de ces concertos donnent lieu en outre à des incursions d'un violoncelle soliste.

Concerto opus 3 no 10 en si mineur RV 580, pour 4 violons, Marco Bianchi, Viktoria Mullova, Stefano Barneschi, Riccardo Minasi (violons) & Il Giardino Armonico (Giovanni Antonini).

Opus 4, La Stravaganza

Douze concertos à nouveau dans ce second recueil publié vers 1714, dont sept pour un seul violon, quatre pour deux violons et un (le septième, RV 185, en ut) pour deux violons et un violoncelle. Détail plus qu'anecdotique : Bach en utilisera deux pour des transcriptions pour clavecin seul.

Vivaldi y poursuit ses expérimentations audacieuses, en annonçant encore plus franchement la couleur dans le titre du recueil puisqu'iciil est question d'extravagance. Et extravagance il y a en effet « dans les modulations bizarres et les intervalles étranges. Loin d'être normalepour l'époque, l'écriture harmonique est surprenante, hardie, comme le notait déjà Marc Pincherle il y a un demi-siècle. Ecoutez les chromatismes et les grandes descentes en écho harmonique dans l'Allegro du no 2, écoutez plus encore l'extraordinaire second Largo du no 7 qui contient une harmonie qui ne devait pas avoir, à l'époque, beaucoup d'analogues. C'est cela, la Stravaganza. »7

Concerto opus 4 no 2 en mi mineur RV 279, pour un seul violon, Rachel Podger & Arte dei Suonatori
Concerto opus 4 no 7 en ut majeur RV 185, pour 2 violons et violoncelle solos, second Largo, Rachel Podger & Arte dei Suonatori.

Opus 6 et Opus 7

Publiés vers 1716-1717, ces deux recueils comportent respectivement six et douze nouveaux concertos, tous destinés à un seul violonsoliste à l'exception des nos 1 et 7 de l'Opus7 (RV 464 et 465) qui sont pour hautbois mais — nuance — pourraient bien être apocryphes.

Est-ce parce qu'ils s'adressent à un seul soliste, ou plutôt parce que Vivaldi aurait été « doublé » par un éditeur trop pressé de publier de nouveaux concertos après le succès obtenu par les deux premiers recueils ? En tout cas ces deux opus se révèlent moins convaincants et n'ont jamais rencontré le même intérêt que les précédents de la part des interprètes. Notons tout de même que J.-S. Bach, lui, s'est intéressé à l'Opus 7 puisqu'il en a transcrit deux concertos (les no 8 et no 11) respectivement pour clavecin seul et pour orgue seul.

Concerto opus 7 no 8 en sol majeur RV 299, Salvatore Accardo & I Musici.

Opus 8, Il Cimentodell'armonia e dell'invenzione

« Pour découvrir la quintessence de l'art vivaldien, où se rencontrent la forme la plus aboutie du concerto de soliste, à l'apogée de son développement violonistique, l'expressionnisme descriptif, le travail le plus sensible sur la ligne mélodique, et les recherches les plus ingénieuses sur l'harmonie, l'Opus 8 est le plus court chemin. »8

En fait, la renommée de ce recueil de douze concertos publié en 1725 n'est plus à faire : ses quatre premiers ne sont autres que les célébrissimes Quatre Saisons, et ces géniales partitions « à programme » trouvent un heureux prolongement dans trois autres concertos à titre, La Tempesta di mare (N° 5 RV 253), Il Piacere (N° 6 RV 180) et La Caccia (N° 10 RV 362). Les cinq concertos restants sont eux-mêmes de la plus belle eau, avec une particularité intéressante pour deux d'entre eux, les nos 9 et 12 : on peut y remplacer le violon soliste par un hautbois, auquel cas leur codification devient respectivement RV 454 et 449.

Concerto opus 8 no 4 « Invierno » RV 297, Enrico Onofri & Il Giardino Armonico (Giovanni Antonini).
Concerto opus 8 no 5 « La Tempesta di mare » RV 25, Stefano Montanari & Accademia Bizantina (Ottavio Dantone).

Opus 9, La Cetra

À nouveau douze concertos pour violon dans ce recueil publié en 1727, dont un seul — le no 9 RV 530 — pour 2 violons. Et, plus que jamais peut-être, le concerto vivaldien y atteint son point de perfection.

Pourtant cette série est loin de connaître le même engouement que la précédente dont elle n'a en effet ni le pittoresque ni l'imprévisible fantaisie. De même, aussi subtiles et séduisantes qu'elles soient, les douces cantilènes qui y sont proposées ne peuvent faire oublier ces Largos si émouvants que l'on rencontrait dans les Opus 3 et 4. On se demande presque si, en élevant son art à ce niveau de perfection, Vivaldi n'aurait pas abdiqué une part de sa personnalité, celle-là même à laquelle nous sommes  si sensibles.

Concerto pour 2 violons opus 9 no 9 en si bémol majeurRV 530, Roberto Baraldi et X  & I Filarmonici.

Opus 10

Du très bon Vivaldi, assurément, que ce groupe de six concertos publiés vers 1728 et entièrement dédiés à la flûte ; en principe, le compositeur les destine même à la flûte traversière, instrument que Quantz lui avait fait découvrir lors d'un séjour à Venise quelques années plus tôt et qui faisait ainsi ses premières apparitions en terre italienne.

Sur les six concertos, seul le no 4 (RV 435) est sans doute vraiment nouveau, les cinq autres n'étant que des arrangements de concertos ou concertinos antérieurs pour flûte à bec. C'est notamment le cas des trois fameux concertos à titres que sont les trois premiers : La Tempesta di mare (RV 433), La Notte (RV 439) et Il Gardinello (RV 428). Cependant, même si on peut légitimement leur préférer, pour leur saveur incomparable, les versions primitives que sont les concerti da camera RV 90, 98, 101,104 et 442 (concertinos sans orchestre faisant concerter plusieurs instruments solistes de familles différentes), la popularité de cet Opus 10 reste parfaitement justifiée.

Concerto opus 10 no 2 en sol mineur « La Notte » RV 439, Héloïse Gaillard & l'ensemble Amarillis.

Opus 11 et Opus 12

Publiés en 1729, ces deux opus de six concertos chacun sont écrits pour un seul violon, à l'exception de l'Opus 11 no 6 qui est pour hautbois solo, et de l'Opus 12 no 3 qui, lui, fait … un peu désordre puisqu'il s'adresse à un orchestre à cordes sans soliste.

Tout comme les Opus 6 et 7, ces deux recueilsfigurent parmi les mal aimés de Vivaldi. Il semble bien d'ailleurs que, là aussi, l'initiative de leur publication ait été celle de l'éditeur et non du compositeur. Quoi qu'il en soit, on y trouve ici et là de beaux moments de musique. Concerto opus 11 no 2 en mi mineur RV 277, I. Allegro et II. Andante, Giuliano Carmignola & I Sonatori de la Gioiosa Marca.


Autres concertos pour solistes

Pour instruments à archet

On n'en sera pas étonné : le violon reste roi ici encore avec plus de cent cinquante concertos. Face à une telle abondance, la tentation du renoncement est forte ; il serait pourtant dommage d'y céder, car les plus belles pages de Vivaldi ne sont pas toutes dans ses opus publiés, et en restant ouvert à la flânerie, l'amateur fera au détour du chemin bon nombre de découvertes sympathiques. En voici quelques exemples :

Concertos pour un seul violon : RV 199 (Il Sospetto), RV 208 (Grosso Mogul), RV 212 (Per la Solennità della Lingua di S. Antonia in Padua), RV 234 (L'Inquietudine), RV 256 (Il Ritiro), RV 270 (Il Reposo ou per ilsantissimo natale), RV 271 (L'Amoroso), RV 286 (Per la Solennità di S.Lorenzo), RV 335 (Le Coucou), RV 363 (Il Corneto da posta).

À côté de ces concertos à titre, citons quelques références de concertos relativement tardifs dans la production de Vivaldi : RV187, 197, 235, 273, 296 et 386 ; et, a fortiori, les deux fameux concertos indue cori RV 581 et 582 (réunissous le titre Per la Santissima Assunzione di Maria Vergine), ainsi que le suivant RV 583, dans lesquels le violon soliste fait face à deux orchestresà cordes. Concerto en majeur RV 234 « L'Inquietudine », Giuliano Carmignola & I Sonatori de la Gioiosa Marca.


Concerto in due cori en si bémol majeur RV 583, III.Allegro, Giuliano Carmignola & Venice Baroque Orchestra (Andrea Marcon).

Concertos pour deux violons ou plus : quelques valeurs sûres s'imposent ici, avec en premier les superbes concertos pour deux violons RV 513 et 523 (avec pour celui-ci un Largo d'anthologie), puis le concerto pour trois violons RV 551, et enfin le célèbre et curieux concerto RV 552 pour un violon et trois autres violons  en écho (Per eco in lontano). Concerto pour 2 violons en la mineur RV 523 par Giovanni et Federico Guglielmo & L'Arte dell'Arco.


Concerto en la majeur RV 552 « Per eco en lontano ».

Vivaldi a honoré la viole d'amour d'une demie douzaine de concertos mais, après le violon, c'est le violoncelle qui, à en juger surtout par la qualité des œuvres, semble avoir bénéficié de ses faveurs. Même s'ils sont loin de tous prétendre à l'excellence, ses vingt-sept concertos pour un seul violoncelle regorgent de beautés, en particulier les RV 401, 407, 413, 415, 416, 418, 420, 423 et 424. Et à cette moisson s'ajoute un concerto pour deux violoncelles RV 531 qui, pour être le seul de son espèce, se révèle vraiment unique tant il concentre les diverses facettes du génie du compositeur. Concerto pour 2 violoncelles en sol mineur RV 531, Anner Bijlsma et Anthony Pleeth & The Academy of Ancient Music (Christopher Hogwood).


Le Vénitien nous a en outre livré quelques concertos dans lesquels il réunit deux ou plusieurs archets différents en position de solistes. Ici figure au moins un incontournable, l'extraordinaire concerto pour deux violons et deux violoncelles  RV 575, « mécanique de précision proposant toutes les combinaisons possibles entre les quatre archets. Un vrai Kàma-sùtra musical ! »9 Et on en dira tout autant de l'ébouriffant concerto RV 564 écrit pour la même combinaison de solistes. Concerto RV 564 en majeur, Europa Galante (F. Biondi).


Pour instruments à vent

On a du mal à le croire, mais c'est le basson qui, au sein de cette famille, a été le plus largement servi par Vivaldi avec trente-sept concertos, ce qui a fait dire que l'orchestre dont il disposait à la Pietà devait compter une bassoniste bientalentueuse… et peut-être fort séduisante. En tout cas, cette série, tout particulièrement à travers les concertos RV477, 484, 485, 489, 497, 498 et 501, nous apporte tout un lot de belles pages où l'humour le dispute à la séduction. Concerto pour basson en mi mineur RV 484. Klaus Thunemann& I Musici di Roma.


On sera moins surpris, sachant à quel point le hautbois — sous l'impulsion d'A. Marcello et d'Albinoni — était en vogue dans cette Italie du début du xviiie siècle, de relever que Vivaldi lui a consacré une vingtaine de concertos, dont trois faisant appel à deux solistes. Même si certains des plus beaux ne sont que la transcription de concertos pour basson, on se gardera de faire la fine bouche devant ces concertos dont quelques-uns sont à ranger parmi les chefs-d'œuvre du genre, tels les RV 447, 450, 457, 461 et 463 ainsi que le RV 535 pour deux hautbois. Concerto pour hautbois en ut majeur RV 450, Benoît Laurent & Concerto Köln


Evidemment, la flûte n'est pas en reste dans la production de notre Vénitien. On l'adéjà vu à travers son Opus 10 et au moins autant à travers les concerti da camera avec flûte à bec qui en étaient largement la version primitive. S'y ajoutent quelques beaux concertos pour flûte traversière (notamment les RV 427, 436 et 440 ainsi que le double concerto RV 533), deux concertos pour flûte à bec alto (RV 441 et 442) et trois délicieux concertos pour flautino (RV443, 444 et 445). Concerto pour 2 traversos en ut majeur RV 533, Jed Wentz et Marion Moonen & Musica ad Rhenum.


Concerto pour flautino en ut majeur RV 444, Héloïse Gaillard & Ensemble Amarillis.

La famille des cuivres, elle, a droit à moins d'égards mais elle s'enorgueillit de deux concertos pour deux cors et surtout du très populaire concerto pour deux trompettes (RV 537). Concerto pour 2 trompettes en ut majeur RV 537, 1er mouvement, Ensemble Zefiro.


N'oublions pas, pour terminer, au moins trois concertos dans lesquels Vivaldi s'est plu à convier les instruments à vent à des réjouissances en famille : le concerto pour hautbois et basson (RV 545) et les concertos pour deux hautbois et deux clarinettes (RV 559 et 560). Concerto pour 2 hautbois et 2 clarinettes en ut majeur RV 560, I. LarghettoAllegro, Yann Miriel et Daniel Déhais (hautbois), Gilles Thomé et Philippe Castejon (clarinettes) & Ensemble Matheus (Jean-Christophe Spinosi).


Pour autres instruments ou pour combinaisons insolites

Pour notre plus grand plaisir, Vivaldi a réservé à la mandoline deux concertos gorgés de soleil et de charme : le RV 425 en ut majeur pour une seule mandoline, sans doute le plus célèbre, et le RV 532 en sol majeur pour deux mandolines. Deux concertos auxquels il faut s'empresser d'ajouter, même si sa destination officielle est le luth, le magnifique et délicat concertino en majeur RV 93, avec un Largo d'anthologie. Concerto pour mandoline en ut majeur RV 425, I. Allegro, Il Giardino Armonico.


Autre particularité heureuse du Vénitien : son goût pour les combinaisons insolites d'instruments solistes. Ici, plus qu'au concerto pour viole d'amour et luth, et surtout plus qu'aux anecdotiques concertos pour violon et orgue, on portera son attention à l'extraordinaire concerto da camera RV 97 avec viole d'amour et deux cors, et bien entendu à quelques-uns au moins des concertos conmolti stromenti : le fameux concerto funebre RV 579, le RV 555 qui convoque à la fête violons en trombe marine, chalumeau, violes, flûtes et hautbois, le RV 557 pour deux violons, deux hautbois et un basson, le célèbre RV 558 qui en remontrerait presque au RV 555 en matière d'exotisme, et le RV 556 (Per la Solennità di S. Lorenzo) pourdeux hautbois, deux clarinettes, deux flûtes à bec, deux violons et basson. Concerto da camera en fa majeur RV 97 pour viole d'amour, 2 cors, 2 hautbois, basson et basse-continue, Mouvements I & II, The King's Consort.


Concerto « funebre » en si bémol majeur RV 579 pour violon, hautbois, chalumeau et 3 violes all'inglese, Concerto Italiano (Rinaldo Alessandrini).
Concerto en ut majeur RV 558 pour 2 violons, 2 flûtes à bec, 2 mandolines, 2 chalumeaux, 2 théorbes et violoncelle, I. Allegro molto, Il Giardino Armonico / Giovanni Antonini.

Concertos pour cordes (Concerti ripieni)

Nous disposons d'une bonne quarantaine de cesconcertos sans solistes dont le preterosso se servait pour faire travailler et progresser l'orchestre de la Pietà. On n'y trouvera guère decompositions essentielles, même si au moins deux de ces concertos jouissentd'une juste notoriété : celui en mineur RV 129 (Madrigalesco) et celui en sol majeur RV 151 (Alla rustica). Toutefois, en explorant plus avant ces Concerti ripieni, on ne sera pas étonnéd'y rencontrer ici ou là un mouvement particulièrement réussi, comme cet Allegro molto du RV 158 ou certains mouvements des RV 123, 134, 143, 155, 156 et 157. Car, ici comme ailleurs, s'il nepromet pas la lune, Vivaldi sait réserver au flâneur quelques belles surprises. Concerto madrigalesco en mineur RV 129
Europa Galante (Fabio Biondi).


Biographie d'Antonio Vivaldi dans Musicologie.org

Notes

1.Beaussant Philippe, Antonio Vivaldi. Dans Jean et Brigitte Massin (dir.) « Histoire de la musique occidentale », Fayard, Paris 2003, p. 464.      

2. Ibid., p. 465.

3. Travers Roger-Claude, « Le procès Vivaldi », dans « Diapason » (489), spécial Vivaldi, février 2002.s

4. —, dans « Diapason » (510), janvier 2004.

5. Beaussant Philippe, Antonio Vivaldi. Dans Jean et Brigitte Massin (dir.) « Histoire de la musique occidentale », Fayard, Paris 2003, p. 467.

6.Belamy Olivier, dans « Le Monde de la musique » (272),spécial Musique italienne, passion baroque sous la direction de Philippe Beaussant, janvier 2003.

7.Travers Roger-Claude, dans « Diapason » (392), avril 1993.

8.—, dans « Diapason » (434), février 1997.

9.—, dans « Diapason » (383), juin 1992.


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