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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte.

III. Le temps de Bach [France - Italie - Allemagne - Autres nations ]

La musique instrumentale de Jean-Philippe Rameau (1683-1764).

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Comme Couperin, son aîné de quinze ans, il était fils d'organiste et consacra ses années de jeunesse plus à l‘apprentissage de la musique qu'à des études générales, mais le parallèle entre les deux musiciens s'arrête là. Ce provincial – il était né et avait grandi à Dijon – ne devait s'établir véritablement à Paris et commencer à y être reconnu qu'en 1722, c'est à dire dans sa quarantième année.

Auparavant, son parcours avait été plutôt sinueux : à l'âge de dix-huit ans, il fait un séjour éclair en Italie où son père l'avait envoyé se former, après quoi « nous le voyons traverser, toujours hâtivement et avec de brusques changements de direction, les églises où il obtient un poste d'organiste. Sans aller toujours jusqu'au bout de ses contrats, il passe successivement d'Avignon à Clermont-Ferrand, de Paris à Dijon, de Dijon à Lyon, retourne à Clermont et revient à Paris où il se fixe définitivement. »1

On imaginerait volontiers que cet organiste confirmé ait gagné ses premiers galons de compositeur à travers des œuvres d'orgue. Or il n'en fut rien : Rameau n'écrivit rien pour cet instrument et, en attendant mieux, préféra consacrer son talent au clavecin … et à la théorie. C'est en réalité la publication en 1722 de son premier ouvrage théorique qui lui valut un début de notoriété, mais en tant que théoricien et non de musicien. En effet, « ses contemporains déjà l'avaient classé : c'est un savant. Un homme qui écrit quelque chose d'aussi illisiblement savant que le Traité d'harmonie réduite à ses principes naturels ne peut être un vrai musicien : il est bien trop raisonneur pour être ému, et donc pour émouvoir. »2

En tant que musicien, ce n'est que bien plus tard, à l'âge de cinquante ans, et grâce à l'appui de quelques amis et soutiens – au premier rang desquels le fermier général La Pouplinière – que sa carrière prit son envol avec la représentation d'Hippolyte et Aricie. Car, à la différence de Couperin, c'est depuis longtemps l'opéra qui est au cœur de ses ambitions, et c'est aux différentes formes de théâtre musical de l'époque – tragédie lyrique, opéra-ballet, comédie lyrique, pastorale héroïque – qu'il devra sa gloire tardive, ainsi que sa consécration officielle en tant que compositeur de la Chambre du roi. Ainsi naîtra de sa plume, entre sa cinquantième et sa quatre vingt-unième années, une impressionnante série de chefs-d'œuvre au premier rang desquels Castor et Pollux, Dardanus, Les Indes galantes, Les Boréades, Platée et Les Paladins.

N'allons pas croire pour autant que toutes ces belles années furent un long fleuve tranquille pour notre musicien. Face à Rousseau et à tout un clan de philosophes et encyclopédistes, il fut en effet en première ligne dans cette fameuse Querelle des Bouffons qui, dans les années 1750, déchaîna les passions en opposant les « ramistes » aux « italianisants ». Rameau, « cet homme maigre et sec comme un cep de vigne de sa Côte d'Or natale, cet être opiniâtre et envoûté que rien ne décourageait, cet escogriffe au profil aigu »3 fit face à l'opposition avec la détermination et le talent d'un grand polémiste, mais ce long épisode ne fit sans doute qu'accréditer un peu plus l'image d'homme solitaire, taciturne et brutal qui était la sienne pour nombre de contemporains.

« Classique pour les uns, baroque pour les autres, génie dépassé ou providentiel précurseur, Rameau a toujours été le musicien des malentendus. »4 A cet égard, comment s'expliquer que cet avant-gardiste génial en matière de science musicale ait pu cultiver avec un tel zèle des genres anciens tels que le spectacle mythologique en vogue au temps du Versailles de Louis XIV ? En réalité, et une part de l'explication réside dans son extrème longévité, Rameau est « un homme d'avant-garde dont les racines restent implantées dans le passé. Son intelligence court avec lui, il est du XVIIIe siècle ; mais quelque chose de sa pensée reste attaché ailleurs, et le fond de lui-même est du XVIIe. C'est pourquoi il sera toujours simultanément critiqué pour être novateur (ce qu'il est) et pour être dépassé (ce qu'il est aussi). »5

Ceci explique-t-il cela ? Toujours est-il que, presqu'autant que Couperin, notre musicien subit après sa mort un très long purgatoire. Et si, au tournant du XXe siècle, il finit par être reconnu comme un des plus grands musiciens français de l'histoire, ce n'est pas à Ravel qu'il le dut (selon certains témoignages, celui-ci montrait même un certain dédain à l'égard de sa musique), mais à Saint-Saëns (qui oeuvra à l'édition complète de ses œuvres) et à Debussy, alias « Monsieur Croche, anti-dilettante », dont on rappelle à l'envi la fameuse tirade  selon laquelle, si nous n'avions pas oublié Rameau « à ce point … l'art musical français n'aurait pas demandé aussi souvent son chemin à des gens trop intéressés à le lui faire perdre. »

L'œuvre pour clavecin

Une cinquantaine de pièces au total, c'est peu au regard de la production fleuve de Couperin, mais en qualité, l'œuvre pour clavecin de Rameau, pourtant écrite pour l'essentiel aux premiers temps de sa carrière, est à peu près de la même eau. Seulement, si ces deux musiciens « sont indubitablement les deux grandes figures du clavecin français, leurs manières apparaissent fondamentalement distinctes : Couperin est avant tout le poète subtil qui manie le lyrisme et l'ironie avec la même délicatesse. Rameau, quant à lui, incarne l'esprit classique cultivant dans un même équilibre la rigueur et la puissance, l'austérité et la grandeur (dont ne s'exclut pas certaine sensibilité). »6

La sensibilité, peut-être faut-il souligner ici que, malgré une légende tenace, elle n'est pas absente de la musique de cet homme qui disait « C'est à l'âme que la musique doit parler. » ou encore « La vraie musique est le langage du cœur. » Et, bien entendu, elle s'exprime plus naturellement dans un répertoire « intime » tel que celui-ci, où par ailleurs Rameau éblouit par des innovations harmoniques ou techniques dont certaines annoncent les sortilèges du piano moderne. Il est d'ailleurs frappant de voir avec quel bonheur quelques grands pianistes se sont approprié des pièces qu'on aurait cru, comme celles de Couperin, réservées au seul clavecin.

Premier Livre de Pièces de clavecin

Ce Premier Livre, que Rameau publie en 1706, lors de son premier séjour à Paris, est l'œuvre d'un jeune homme de vingt-trois ans. Ce faisant, notre musicien devance Couperin puisque celui-ci ne publiera son propre Premier Livre qu'en 1713.

Dès lors, on ne s'étonnera pas de voir ce débutant adopter, dans les dix pièces de l'unique suite composant ce recueil, le bon vieux schéma de la suite de danses à la française, sans aucun sous-titre, et qui plus est, en ouvrant cette suite par un Prélude dont la première partie, non mesurée, apparaît comme un hommage à quelques grands aînés.

Bien entendu, cette Suite en la mineurreste une œuvre de jeunesse, mais un peu partout, et notamment dans le Prélude, dans la première Allemande et dans la Courante, on voit poindre les qualités d'un futur grand : « Ce qu'il insuffle en ce moule … est vigoureux, riche, personnel, et montre qu'il faut d'emblée le mesurer à une autre toise que tous ses prédécesseurs. »7

Jean-Philippe Rameau, Allemande I du Premier Livre, par Scott Ross.

Jean-Philippe Rameau, Courante du Premier Livre, par Scott Ross.


Deuxième Livre de Pièces de clavecin

En 1724, lorsque ce deuxième recueil paraît pour la première fois, notre musicien a quarante et un ans, et Couperin a publié ses trois premiers livres pour clavecin, « qui renouvellent l'ancienne suite dans la forme comme dans le fond. Rameau ne peut que suivre ces traces, cette manière si plaisante ; voici des rondeaux en quantité, remplaçant les vieilles danses à forme binaire ; voici des titres suggestifs ; des thèmes de plus en plus sensibles, des lignes plus souples, des harmonies inventives ; une écriture agile, déliée, limpide ; de la virtuosité, tant et plus, où le cadet rivalise avec l'aîné, et même le dépasse. C'est son recueil le plus varié, le plus engageant, qui témoigne autant de sa verve que de sa tendresse. »8

Le Menuet en rondeau qui ouvre ce recueil n'étant là que pour une mise en doigts, l'attention se porte sur les vingt « vraies » pièces qui le constituent et qu'on a l'habitude de répartir en deux suites différentes, l'une en mi, l'autre en.

Dès les premiers morceaux de la  Suite en mi (Allemande, Courante, puis deux Gigues en rondeau), on ne peut qu'être sidéré des avancées réalisées par un compositeur désormais sûr de ses moyens et de ses idées. Une impression qui ne fera que se confirmer avec les six pièces suivantes, toutes imprégnées d'une délicate atmosphère campagnarde. C'est d'abord le Rappel des oiseaux, pure merveille de poésie et de douce mélancolie dans une écriture que l'on croirait simple et qui regorge pourtant de subtilités. Un peu plus loin, juste avant le célèbre Tambourin, le musicien nous offre une Musette en rondeau qu'il a pris soin de marquer « tendrement » et dont les raffinements taquinent durablement l'oreille. Et pour conclure, ce sera un nouveau rondeau (La Villageoise), autre pièce étonnante qui s'ouvre dans un climat de tendre ingénuité pour évoluer vers une franche bonne humeur.

Jean-Philippe Rameau, Allemande-Courante, par Blandine Rannou.
Jean-Philippe Rameau, Le Rappel des oiseaux, par Scott Ross.

Jean-Philippe Rameau, Musette en rondeau, par Scott Ross.


Quant à la Suite en ré, c'est un tel enchaînement de chefs-d'œuvre qu'on se doit de la placer très haut dans la production du musicien. « Rameau délivre ici à la fois le plus secret de son inspiration, et le plus brillant de son invention instrumentale… »9  Oublions lâchement, pour mieux aller à l'essentiel, les deux « petits riens » conclusifs (Le Lardon et La Boiteuse), même si le premier des deux a eu l'honneur d'être repris par Paul Dukas pour ses Variations, Interlude et Finale en 1903. Les huit autres pièces, qui balancent entre le ré mineur et le ré majeur, alors que la suite précédente avait emprunté une bonne part de son charme à la tonalité de mi mineur, nous font vivre tour à tour la touchante mélancolie des Tendres plaintes, l'humour imagé des Niais de Sologne, la tendresse infiniment troublante et poétique des Soupirs, la détente guillerette ou charmeuse des deux petits rondeaux intermédiaires (La Joyeuse et La Follette), la confidence si profondément émouvante de L'Entretien des muses, les facéties techniques et imitatives des Tourbillons, et enfin l'éblouissant tour de force des Cyclopes. Dans tout cela, on aura sans doute un faible pour les trois pièces (Les Tendres plaintes, Les Soupirs, L'Entretien des muses) qui parlent le mieux ce « langage du cœur » évoqué par le musicien. D'ailleurs, les mots (sauf à aller les emprunter à un Guy Sacre) sont tellement impuissants à en dire le pouvoir que, notamment pour les deux dernières nommées, nous nous contenterons de parler tout simplement d'instants d'éternité.

Jean-Philippe Rameau, Les Tendres plaintes, par William Christie.


Jean-Philippe Rameau, Les Soupirs, par Scott Ross.


Jean-Philippe Rameau, L'Entretien des Muses, par Violaine Cochard.


Jean-Philippe Rameau, Les Cyclopes, par Scott Ross.


Troisième Livre (Nouvelles Suites de pièces de clavecin)

Publié vers 1728, ce troisième recueil est constitué de seize pièces qu'on a coutume de répartir en deux nouvelles suites, respectivement en la et en sol.

Moins de tendresse et de confidence ici que dans la Suite en ré du second livre, moins de rondeaux aussi, comme si Rameau prenait ses distances par rapport à Couperin ; mais encore plus d'ambition, de recherche et d'audace dans ces pièces qui parfois font penser à Domenico Scarlatti et souvent regardent vers l'avenir, avec une écriture qui, de plus, invite les interprètes à y mettre le meilleur de leurs doigts. N'allons pas croire cependant que la poésie s'efface devant les prouesses digitales ; du reste, si l'interprète est par trop tenté de céder ici ou là à des démangeaisons virtuoses, Rameau se charge de le rappeler à l'ordre dans sa préface : « Souvenez-vous toujours qu'il vaut mieux, en général, y pécher par le trop de lenteur, que par le trop de vitesse. »

La Suite en la, dont les sept pièces se partagent entre la mineur et la majeur, s'engage sur une trilogie Allemande-Courante-Sarabande bientraditionnelle, à ceci près qu'on y entend un Rameau au sommet de son art : comment en effet ne pas s'incliner devant l'extrême raffinement harmonique et la profonde intensité expressive de l'Allemande, la fulgurante invention et la secrète mélancolie de la Courante, ou – plus encore peut-être - les saisissantes beautés de la Sarabande ? Malgré leur brio virtuose, Les Trois Mains qui suivent ne forment guère plus qu'un bon intermède avant l'indolente Fanfarinette, vrai petit bijou de poésie crépusculaire. Et voici La Triomphante, un fier rondeau riche en surprises et hardiesses dont Rameau feint de s'excuser dans sa préface, puis, en guise de bouquet final, cette brillante Gavotte variée qui, pour être fort prisée des concertistes, ne procurera pas forcément à l'auditeur des sensations aussi profondes et durables que les premières pièces du recueil.

Jean-Philippe Rameau, Allemande, par Alexandre Tharaud (piano).
Jean-Philippe Rameau, Sarabande, par Christophe Rousset.
Jean-Philippe Rameau, Gavotte avec 6 doubles, par Blandine Rannou.

Quant aux neuf pièces de la Suite en sol, elles comptent deux grands « tubes » du compositeur : La Poule, pièce justement fameuse pour ses vertus descriptives et tout aussi justement célébrée pour ses étonnantes qualités musicales, et Les Sauvages, morceau où Rameau reprend une musique qu'il avait écrite quelques années auparavant pour évoquer « la danse de deux Indiens de la Louisiane » et qu'il réutilisera plus tard, avec le plus grand bonheur en terme de notoriété posthume, dans les Indes galantes. Avant (ou entre) ces deux grandes pièces, avec Les Tricotets, L'Indifférente, les deux brefs Menuets, puis Les Triolets, on pourrait croire notre musicien en déficit d'ambition, mais les deux pièces finales viennent brillamment infirmer cette impression : d'abord une pièce savante, L'Enharmonique, dont le titre indique bien que c'est au chercheur avide de nouvelles expérimentations que nous avons affaire. D'ailleurs le musicien juge bon de nous prévenir : « L'effet ne sera peut-être pas d'abord du goût de tout le monde ; on s'y accoutume cependant pour peu qu'on s'y prête, et l'on en sent même toute la beauté, quand on a surmonté la première répugnance que le défaut d'habitude peut occasionner en ce cas. » Pour autant, et le « gracieusement » qu'il marque en exergue du morceau pouvait déjà nous mettre en confiance, c'est un véritable joyau qui nous est offert : « Ici, en dépit du titre et des précautions oratoires qui accompagnent la pièce, on ne voit pas le laborantin, avide de nouveaux composés sonores, mais un poète sensible, un enchanteur qui dénoue par ses doigts, à même l'espace vierge du clavier, et comme autant de sortilèges, ces enchaînements mystérieux, ces harmonies si neuves qu'elles étonnent encore le déchiffreur,- comme en ces morceaux aventureux de Philipp Emanuel Bach, où l'on tique devant une modulation, persuadé d'avoir mal lu. »10  Et, après ça, convaincu sans doute que public et interprète auront envie de terminer sur une belle montée d'adrénaline, Rameau nous donne une danse furieuse, L'Egyptienne, mettant en scène une gitane (ou une bohémienne) qui « danse en effet, tournoie, gesticule avec ardeur, et même avec une sorte de rage ; elle a le diable au corps, la fièvre dans le sang. »11

Jean-Philippe Rameau, La Poule – Les Triolets, par William Christie.

Jean-Philippe Rameau, L'Enharmonique, par Catherine Latzarus.


Jean-Philippe Rameau, L'Égyptienne, par Trevor Pinnock.


Dernières pièces pour clavecin

En 1741, lorsqu'il publie les Pièces de clavecin en concerts, son unique contribution à la musique de chambre, Rameau choisit quatre de ces pièces et les arrange pour clavecin solo. Ce sont La Livri, un rondeau empreint de tristesse dans lequel on peut voir une sorte de « tombeau » à la mémoire d'un ami et protecteur du musicien ; L'Agaçante, une pièce vive et chargée d'humour ; La Timide, titre recouvrant en réalité deux rondeaux aussi subtils que charmants ; et L'Indiscrète, un dernier rondeau vif et volubile.

Après ces quelques pièces, et alors que Rameau a choisi depuis longtemps de « s'enfermer à l'Opéra », voici qu'en 1747 il nous donne un tout dernier morceau pour clavecin, La Dauphine, composé à l'occasion du mariage du Dauphin. C'est une pièce relativement courte, exubérante et virtuose, qui prend des allures de toccata tout en ménageant en son milieu un passage où on est heureux de retrouver la poésie profonde du musicien.

Jean-Philippe Rameau, La Dauphine, par Catherine Latzarus.

Pièces de clavecin en concerts

Ces cinq concerts publiés en 1741 constituent, on l'a dit, la seule contribution de Rameau au domaine de la musique de chambre. Contribution particulièrement précieuse, de par la qualité musicale de ce corpus, mais aussi parce qu'on y retrouve un musicien tendre et sensible, celui pour qui « la vraie musique est le langage du cœur ».

Avec un total de dix-neuf pièces, ces concerts se présentent comme des suites de trois à cinq morceaux respectant l'unité tonale. Hormis quelques rares danses, toutes les pièces portent un titre qui renvoie tantôt à d'illustres musiciens de l'époque (La Forqueray, La Marais), tantôt à d'autres relations du compositeur (La Lapoplinière, La Livri, La Laborde, La Boucon, La Cupis, et même La Rameau…), ou encore à des caractères (L'Indiscrète, La Timide, L'Agaçante), voire à un nom de lieu (Le Vézinet).

Tout en précisant que « ces pièces exécutées sur le clavecin seul ne laissent rien à désirer », Rameau leur donne une destination explicite dans le titre : Pièces de clavecin en concerts, avec un violon ou une flûte, et une viole ou un deuxièmeviolon. Même si, aujourd'hui, elles sont souvent jouées sous le nom de Concerts en sextuor dans une transcription anonyme pour cordes seules, ce sont donc des trios, mais d'une conception radicalement différente de la sonate en trio italienne :  « Le clavecin est l'instrument principal de ces pièces ; cependant ses deux partenaires ne sont jamais relégués au simple rôle d'accessoires : ils collaborent avec lui à l'énoncé et au développement des thèmes. Tous trois réalisent un ensemble de musique concertante extrêmement séduisant. »12

C'est en effet un Rameau séduisant, et surtout très attachant, qui nous attend dans ce recueil. On louera en particulier la grâce délicate de La Livri, la tendresse rêveuse de La Boucon, la richesse de l'écriture fuguée de La Forqueray, le raffinement poétique de La Pantomime, et enfinla subtilité harmonique qui accompagne le chant plaintif de La Cupis, où l'on retrouve l'atmosphère et les enchantements des Soupirs ou de L'Entretien des muses (cf. Suite en ré pour clavecin).

La Lapoplinière, Extrait du 3e concert.Patrick Cohën-Akenine (violon), Nima Ben David (viole), Béatrice Martin (clavecin).
La Forqueray, Extrait du 5e concert. Il Giardino Armonico, Giovanni Antonini (flûte, direction), Enrico Onofri (violon), ittorio Ghielmi (viole, Ottavio Dantone, clavecin).


La Cupis, Extrait du 5e concert. Il Giardino Armonico, Giovanni Antonini (flûte, direction), Enrico Onofri (violon), ittorio Ghielmi (viole), Ottavio Dantone (clavecin).


Pages orchestrales 

Rameau n'ayant pas écrit de partitions spécifiquement orchestrales, nous entendons ici évoquer simplement les ouvertures, prologues et autres pièces diverses tirées de ses œuvres scéniques, dont l'exécution est parfois proposée, au concert ou au disque, de façon isolée ou sous la forme de vastes suites d'orchestre « ordonnées » par le compositeur.

Certes, sorties de leur contexte, ces pages perdent une large part de leur pouvoir. Sans doute aussi faut-il reconnaître que, s'agissant d'affirmer son potentiel en matière de compositions orchestrales, le musicien s'est trouvé étroitement limité par les contraintes du théâtre lyrique de son temps. Malgré tout, l'évidence s'impose à l'écoute : « La richesse du tissu musical, le souci de l'harmonie complexe, la recherche de la couleur font de l'orchestration un des aspects les plus remarquables de l'opéra de Rameau. » 13

Ces qualités de symphoniste, dont l'une des grandes particularités est certainement l'utilisation brillante et novatrice que fait Rameau des bois et autres vents, on les voit à l'œuvre dans ses différentes suites d'orchestre, à commencer par les plus célèbres (Les Indes galantes, Les Boréades, Dardanus, Platée, Castor et Pollux), et, plus encore peut-être, dans les ouvertures ou prologues de ses ouvrages pour la scène, tellement « en situation » que certains ont pu y voir une préfiguration du poème symphonique de l'ère romantique.

Jean-Philippe Rameau, Zaïs, Ouverture, , par Les musiciens du Louvre, sous la direction de Marc Minkowski.
Jean-Philippe Rameau, Les Indes galantes (extraits), , par Le Concert des Nations, sous la direction de Jordi Saval.
Jean-Philipe Rameau, Dardanus, Ouverture, par Les musiciens du Louvre, sous la direction de Marc Minkowski.
Jean-Philippe Rameau, dans « Musicologie.org ».

Notes

1. ÉMILE VUILLERMOZ, Histoire de la musique, Fayard, 1960, p. 120

2. PHILIPPE BEAUSSANT, Le Monde de la musique (178), juin 1994

3. EMILE VUILLERMOZ, op. cit., p.121

4. PHILIPPE BEAUSSANT, ibid.

5. ——, ibid. 

6. ADELAÏDE de PLACE, dans Fr. R. TRANCHEFORT (dir.), Le guide de la musique de piano et de clavecin, Fayard, 1998, p.593 

7. GUY SACRE, La musique de piano, Robert Laffont, 1998, p.2194

8. ——, p. 2196

9. ——, GUY SACRE, p. 2198

10. ——, GUY SACRE, p .2205

11. ——, GUY SACRE, p .2205

12. ADELAÏDE de PLACE, dans Fr. R. TRANCHEFORT (dir.), Le guide de la musique de chambre, Fayard, 1998, p.724

13. PATRICK SZERSNOVICZ, Le Monde de la musique.


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