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Dijon, Grand salon de l'Auditorium, 15 février 2014, par Eusebius ——

La romance à l'étoile : un florilège de Lieder et de ballades mises en musique par la fine fleur des compositeurs allemands

On se souvient de l'extraordinaire accompagnateur qui, il y a moins d'un mois, permettait à Rabea Kramp de nous familiariser avec les mélodies nordiques. Mihaly Menelaos Zeke nous revient avec un splendide baryton, Kresimir Strazanac, pour un voyage au pays du lied.

Kresimir StrazanacKresimir Strazanac.

Récital passionnant que celui auquel nous avons assisté : à côté de quelques-uns des chefs d'œuvre de Schubert, nous avons découvert Pfitzner, le jeune Schönberg aussi, avant de retrouver Wagner, pour la surprise de deux lieder de Moritz Eggert, et un beau bis  (Ständchen, de Brahms).

L'insouciante gaîté du Fischerweise (D. 881) avec l'humour de sa dernière strophe (le pêcheur n'attrapera pas la bergère) constituait une excellent introduction au Musensohn (D. 764), dansant, léger et insouciant : rien que du bonheur. Changement radical de plan avec un autre chef d'œuvre de Goethe, en plein Sturm und Drang : Prometheus (D. 674). Fresque lyrique grandiose, héroïque, où la violente révolte le dispute au désespoir, c'est l'exaltation de la liberté, conquise dans la douleur. Durchkomponiert, syllabique, seul le bel arioso médian relève de l'écriture classique du lied, c'est une grande scène dramatique déclamée, ponctuée par un piano violent, orchestral. Nous ne sommes pas loin de la grande chevauchée d'Erlkönig (D.328), où le piano est tant sollicité. La progression dramatique est superbement conduite. Selon les personnages incarnés, la voix de Kresimir Strazanac s'y révèle sourdement angoissée, charmeuse, suave, terrorisée, pour cette fin dont le tragique est souligné par l'impersonnalité de la narration. Un autre grand moment. Dithyrambe (D. 801) nous fait abandonner Goethe pour Schiller, et retrouver une ardente pulsion vitale.

Les Lieder, fort nombreux, de Hans Pfitzner sont rarement chantés, particulièrement en France. À l'écoute de deux d'entre eux (Wanderers Nachtlied, op. 40 no 5, et An den Mond, op. 18, (tous  deux de la plume de Goethe, et fréquemment mis en musique), on se prend à le regretter. Amples compositions, recueillie, lente, proche de l'épuisement et d'un ambitus restreint pour la première, fluide, d'une écriture libre aux confins de la tonalité par le recours à la gamme par tons pour la seconde, elles témoignent d'un art consommé, riche et subtil.

L'opus 1 de Schönberg, jamais désavoué bien que très tonal, est un hommage à son maître et ami Zemlinsky, auquel il est dédié, et qui l'accompagna fréquemment. Dank (no 1) et Abschied (no 2) ont en commun de relever d'une esthétique post-romantique appuyée : Brahms et Wagner s'y conjuguent dans des harmonies aux accents de Tristan. Cette surcharge harmonique, la richesse de l'accompagnement pianistique sont un réel défi, que relève remarquablement Mihaly Menelaos Zeke. Même si sa gestique demeure sobre et maîtrisée, on devine en Kresimir Strazanac l'acteur, le grand chanteur lyrique qui vit intensément ce qu'il chante et désire communiquer. Deux véritables chefs-d'œuvre, parfaitement aboutis, servis par deux interprètes de haute volée.

Peut-on parler de « Lied » à propos de cette (piètre) adaptation française1 des beiden Grenadiere de Heine ? L'histoire est connue, illustrée postérieurement par Schumann, et il est malaisé d'écouter cette pièce sans se référer à cette seconde et populaire version. C'est à la fois une ballade et une romance (à la mode alors à Paris). Epique, d'un romantisme authentique, la pièce est plus illustrative que celle de Schumann. La lassitude de la marche du début est extraordinaire, les silences interrogatifs, l'évocation hallucinée de l'Empereur se dressant, la citation d'une Marseillaise intégrale, vibrante d'émotion, sont du grand art, du Wagner déjà. Le second lied de Méphisto (« Was machts du mir vor Liebchens Tür »), est une véritable sérénade, légère sur les accords staccato du piano. La « Romance à l'étoile », sans conteste la pièce la plus célèbre de Tannhäuser, avec la marche des pèlerins, est chantée par Wolfram, le chasseur, le chanteur, le chevalier, l'ami, qui invoque l'étoile du soir pour lui confier son chagrin. C'est sans doute l'une des plus belles mélodies écrites par Wagner, le véritable cantabile, « un traité du pur amour » a écrit André Tubeuf. Poésie intense, sérénité, plénitude, conduite exemplaire de la voix, l'émotion que communique le chant de Kresimir Strazanac est forte.

La notoriété de Moritz Eggert n'a pas réellement encore passé le Rhin, malgré ses nombreux opéras et oratorios. Les deux mélodies (« Tierchen », et « Rondo Allemagne », extraites des Neue Dichter Lieben) sont originales et séduisantes. La partie pianistique caractéristique, efficace, vivante et colorée soutient une belle ligne vocale, dont le caractère modal surprend agréablement.

Kresimir Strazanac et Mihaly Menelaos Zeke se sont connus à Stuttgart, où le premier achevait sa formation, il s'agissait donc de retrouvailles. Maintenant installé à Zürich, où il est régulièrement programmé à l'opéra, sa voix ample, bien timbrée dans tous les registres, son intelligence musicale, sa diction exemplaire et son aisance le promettent à une très belle carrière internationale. Quant à Mihaly Menelaos Zeke, ses qualités proprement extraordinaires sont confirmées : une maîtrise technique d'exception, un sens musical, une écoute qui en font le partenaire rêvé des chanteurs2. Une collaboration dont on attend beaucoup…Pourquoi pas une Schöne Magelone dans les années qui viennent ?                                                                          

  1. « Longtemps captifs chez le Russe lointain » … n'a pas grand-chose à voir avec « Nach Frankreich zogen zwei Grenadier »…
  2.  Sans oublier ses qualités de pédagogue et de présentateur, déjà signalées, mais très appréciées d'un public curieux.

plume Eusebius
15 février 2015


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