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23 août 2013, par Jean-Marc Warszawski ——

L'art de la fugue de Célimène Daudet

Jehann Sebastian Bach, Art de la fugue, par Célimène Daudet, piano

Johann Sebastian Bach, L'art de la fugue (BWV 1080). Célimène Daudet, piano. Arion 23013 (ARN 6830).

Enregistré à la MC2 de Grenoble du 9 au 11 décembre 2012. Livret par Gilles Cantagrel.

Depuis sa résurrection, suite notamment à l'enthousiasme des magnifiques Fanny et Felix Mendelssohn, Johann Sebastian Bach et devenu un objet de vénération, et certaines de ses œuvres des objets de culte, comme c'est la cas pour L'art de la fugue.

Ainsi, les lacunes documentaires de la vie profane deviennent ici des mystères que quelques docteurs ont sacralisés et épaissis de leurs lumières.

D'abord, le manuscrit préparé pour l'édition de cette œuvre, certainement projetée vers 1740 et au propre, peut-être dès 1742, avec douze fugues et deux canons, semble avoir été repris en mains, moins soigneusement, entre 1746 et 1750 (année du décès du compositeur). Mais l'édition originale de 1751, sous le titre de L'art de la fugue, dont on ne sait s'il est du Johann Sebastian, comporte 24 numéros qui ne suivent pas l'ordre du manuscrit, lui-même peut-être dans le désordre, avec en coda le choral Vor deinen Thron tret' ich hiermit (Seigneur, devant ton trône je comparais), qui n'a évidemment rien à voir avec le sujet.

On discute le contrepoint XIV, qui s'achève brutalement au bout de 239 mesures. Pour les uns, c'est une pièce étrangère à l'ensemble, d'autres ajoutent que les trois sujets indiquent le début d'un autre cycle, des plus malins lisent attentivement le morceau, et discernent avant le silence énigmatique qui achève l'inachevé, l'entrée du sujet d'origine modifié et déduisent que cette triple fugue est en fait le début d'une quadruple fugue, d'ailleurs aboutissement logique et symétrique du projet.

Dans le livret, Gilles Cantagrel avance une justification rhétorique tout à fait dans l'air du temps et de Bach : quatorze est son chiffre fétiche (addition de l'ordre des positions des lettres de son nom dans l'alphabet), et l'on retrouve dans ce XIVe contrepoint le célèbre sibémol-la-do-si, soit B-A-C-H selon les noms que les Anglo-saxons attribuent aux notes.

Pour les uns L'art de la fugue serait une œuvre pédagogique, pour d'autres une œuvre testamentaire, pourquoi pas militante en défense d'un genre savant de plus en plus boudé au profit de l'air accompagné italianisant, que Bach maîtrise d'ailleurs parfaitement dans ses cantates profanes.

Ici, L'art de la fugue, exercice purement théorique, ne serait pas destiné à être joué (de plus en re mineur tout du long, quelle purge !), là il est typiquement orchestral, mais Gustav Leonhardt le met sur son clavecin, « preuve » que cette œuvre est typiquement claviériste.

L'art de la fugue a été mis à l'orchestre, au quatuor, à l'orgue, au clavecin, mais pratiquement pas au piano (Gregori Sokolov, Evgeni Koroliov, Pierre Laurent Aimard).

En abordant L'art de la fugue par amour (en y mettant les deux mains, comme elle l'écrit), Célimène Daudet prend le risque d'être accusée par la théologie de prendre les choses avec une certaine légèreté païenne, voire impudeur et athéisme, qui sait si elle ne commet pas un sacrilège en mettant tout ça au piano moderne... « Et pourtant c'est de la musique » pourrait-on répondre.

La pianiste confirme ici ce que nous avons apprécié dans son précédent enregistrement, A tribute to Bach, sauf que le fait d'envisager l'ensemble d'un cédé comme une œuvre en soi, musicalement cohérente, lui est ici imposé.

Son jeu legato régulier (dans Bach, comme on ne peut s'empêcher de penser à Glenn Gould, on y pense) dans les doigts et dans l'humeur, qui détaille clairement chaque partie, installe un sentiment serein, délicat, doublé d'une autorité auguste, une puissance assurée et imperturbable, qui s'impose sans effet de manche.

Cela est particulièrement réussi dans ce répertoire où les sujets animent certes les voix et leurs rencontres, mais dans un cadre clos et immuable, où les insolites barres de fin et ici la fatidique mesure 239 du XIVe contrepoint, délimitent en fait des fragments d'éternité.

Un cédé d'exception. 

1. Contrapunctus 1 ; 2. Contrapunctus 2 ; 3. Contrapunctus 3 ; 4. Contrapunctus 4 ; 5. Canon alla Decima in Contrapundo alla Terza ; 6. Contrapunctus 5 ; 7. Contrapunctus 6 in Stylo Francese ; 8. Contrapunctus 7 per Augmentationem et Diminutionem ; 9. Canon alla Ottava ; 10. Contrapunctus 8 ; 11. Contrapunctus 9 alla Duodecima ; 12. Contrapunctus 10 alla Decima ; 13. Contrapunctus 11 ; 14. Canon alla Duodecima in Contrapuncto alla Quinta ; 15. Contrapunctus 12 - Forma recta ; 16. Contrapunctus 12 - Forma inversa ; 17. Contrapunctus 13 - Forma recta ; 18. Contrapunctus 13 - Forma inversa ; 19. Canon per Augmentationem in Contrario Motu ; 20. Contrapunctus 14.

plume Jean-Marc Warszawski
23 août 201


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