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Charles Trenet
1913-2001

Hommages

Claude Nougaro

Nous apprenons la mort de Charles Trenet juste après celle du peintre Balthus. Je les imagine bien bras dessus bras dessous faisant une brasse extasiée dans l'au-delà. J'avais dix ou onze ans, lorsque j'écoutais Trenet à la TSF. Il est devenu une vedette juste avant la guerre, à la fin des années trente. J'aimais bien sa féerie enfantine, les atmosphères de château hanté, les souvenirs de collège dans les dortoirs glacés... Il est mon La Fontaine. Dans le disque Récréation, le dernier que j'ai fait pour Philips en 1974, j'ai repris la Java du diable, une de ses chansons que j'aurais aimé écrire. Pour cet album, j'avais cueilli un petit bouquet de mes poètes préférés de la chanson - Trenet, Ferré, Brassens... Et j'avais écrit, pour chacun d'eux, quelques vers qui figurent dans le disque. Dans celui que j'ai destiné à Trenet, je parle comme si je m'adressais à mon enfant : " Pour tes jeunes étrennes/Je t'offre un vieux Trenet/Laisse-toi entraîner/Par ces monts, par ces plaines/Ces fantômes à traîne/Qui font des pieds de nez (...)" On associe parfois le jazz à des chansons de Charles Trenet. Le jazz de sa jeunesse s'appelait déjà jazz, mais, me semble-t-il, Trenet a plutôt été influencé par le fox-trot, un rythme assez sautillant. Dans les ballades, il se faisait crooner, avec, en plus, la poésie de la langue française. On trouve, dans son œuvre, des leçons de prosodie. Charles Trenet appartient à l'histoire de la chanson dite moderne. Il meurt immortel.

 Jean Ferrat

Je suis profondément touché, c'est une petite partie de mon enfance qui disparaît. J'ai connu ses chansons à l'âge de cinq, six ans. On vivait avec à la maison. J'ai été élevé au Trenet, comme d'autres sont élevés au lait de vache ou au lait de leur maman. C'est peut-être lui qui m'a donné envie de chanter avec ses chansons (...). Toutes ses chansons fantaisies, qui amenaient la gaieté, la jeunesse dans les foyers français et qui étaient une révolution à l'époque, m'ont bien entendu influencé, même si dans ce que j'ai écrit après, il y a peu d'influence directe. C'est l'un des plus grands qui disparaît. La chanson n'a plus eu le même visage après lui. C'est la marque des grands créateurs. Et il en est un.

Daniel Colling

Merci Trenet. En 1977, alors que notre festival n'existait pas, je l'ai approché parce que je voulais montrer la filiation entre le Printemps et les chanteurs que nous comptions y programmer, alors peu connus du grand public : Jacques Higelin, Bernard Lavilliers, Catherine Ribeiro, François Béranger. Trenet a accepté notre proposition alors qu'il n'allait pas du tout de soi pour un homme de sa génération, qui de surcroît, n'avait pas chanté depuis quinze ans, d'accepter de quitter sa retraite pour accepter la proposition d'une bande de jeunes chevelus. De ce jour, il y a eu une fidélité réciproque entre nous : dix ans plus tard, il est revenu, offrir un vrai tour de chant cette fois, au Printemps de Bourges. Et en janvier 1984, pour l'inauguration du Zénith à Paris, en présence de François Mitterrand, il a chanté une quinzaine de minutes, au beau milieu des gradins, avec Higelin et Zéro de conduite.

Georges Moustaki

Charles Trenet est un très grand monsieur, éblouissant. Il était la perfection à la fois du chanteur, du compositeur et du mélodiste. Il est difficile de décortiquer son oeuvre, car tout y contient quelque chose de fort. Même quand il faisait moins bien, c'était mieux que presque tout le monde. J'ai été profondément marqué par la Mer : adolescent, j'habitais à Alexandrie et j'écoutais cette chanson en boucle.

Charles Dumont

Je ressens un chagrin immense. Nous perdons un des plus grands poètes, qui a apporté à notre langue la fantaisie, le surréalisme. L'Académie française se serait honorée si, au lieu de le refuser, elle l'avait accepté en son sein. Je suis allé le voir à la salle Pleyel, à l'occasion de sa dernière série de concerts parisiens. La présence de nombreux jeunes spectateurs m'a frappée. · son grand âge, Charles Trenet était encore d'une fraîcheur étonnante. Il ne cherchait pas des harmonies savantes dans lesquelles on se serait perdu pour arriver à un résultat tonitruant. Lui, c'était la limpidité, la simplicité à la fois efficace et bouleversante. Que reste-t-il de nos amours est devenu un standard américain. Trenet était, à la mélodie, le Mozart de la chanson.

Boris Vian

Il a commencé jeune - et jeune il est resté. Qui plus est, par un singulier miracle, il a communiqué cette jeunesse à toutes ses chansons. Qu'on l'entende interpréter un de ses succès : Mam'zelle Clio. Elle a quinze ans bien sonnés, mam'zelle Clio ; pour une fille c'est peu, mais pour une chanson, quel risque déjà de paraître démodée ! Eh bien, mam'zelle Clio continue, avec désinvolture, de dormir à côté de son petit cocu de mari pendant que le grand Charles, maquillé en ectoplasme, tire les poils de ce malencontreux époux.

Pourtant, faites l'expérience avec n'importe lequel des succès de l'avant-guerre, et voyez le résultat. Ne faisons pas de malheureux ; mais que de mélo, que de mauvais goût, que de simple ridicule... Gardons-nous, bien sûr, d'oublier les nécessités du commerce ; mais évitons aussi, à ce moment, de confondre les produits du commerce et ceux de l'art.

L'arrivée sur la scène de Charles Trenet confirmait avec éclat ce que l'on savait déjà : il était possible, avec des chansons intelligentes de remporter un succès populaire massif. Si Trenet n'était pas le premier àécrire de bonnes chansons, il était certes, le seul capable d'en écrire tant de bonnes. On oublie trop que le talent, c'est aussi la générosité.

Les chansons de Trenet vieillissent admirablement parce qu'elles sont légères : gaies ou tristes, elles manifestent toujours le goût aérien qui est la marque du « fou chantant ». Rien en elles qui pèse ou qui pose - comment se laisseraient-elles atteindre par le temps ?

Et la source, loin d'être tarie, se renouvelle d'année en année, miraculeusement. Voici cette année Paule sur mon épaule. On tremble à l'idée de ce que le thème aurait donné entre les mains d'un fabricant. Et l'on sourit de plaisir à l'astuce de Trenet.

Dire qu'il est un poète, c'est trop et c'est trop peu. Il est un poète qui a les pieds sur terre, et il est aussi un grand mémorialiste. Les chansons de Trenet, c'est le journal intérieur d'un Pierre de l'Estoile du XXe siècle. L'histoire des pensées de Trenet, l'enregistrement de ses réactions devant les gens, les choses, le monde, voilà ce que sont ses chansons. Quand on l'écoute, d'ailleurs, on ne saurait se satisfaire d'une seule : on a l'impression qu'en bas de chacune, entre parenthèses et en italique, se trouve la mention lourde de promesses : « À suivre  ».

Alors on suit. Et, comme c'est Charles, on n'est jamais déçu. Et on revient content.

[juin 1954 dans l'hebdomadaire Arts (no 469).]

Jean-Marc Warszawski
2008.
musicologie.org


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Vendredi 11 Novembre, 2022