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Paris Philharmonie, 23 avril 2024 — Jean-Marc Warszawski

Grande messe à la philharmonie de Paris

Jérémie RhorerJérémie Rhorer, Philharmonie de Paris, 23 avril 2024.Photographie © Caroline Doutre.

Le 23 avril dernier, la Philharmonie de Paris a programmé la Missa Solemnis de Ludwig van Beethoven, par le Cercle de l’Harmonie, ensemble jouant des instruments anciens depuis 2005, sous la direction de son fondateur Jérémie Rhorer.

Cette deuxième « messe » du dernier grand Viennois de la « Première école »… Avant Franz Schubert, est une œuvre prodigieuse, protéiforme, hybride, démesurée, dans laquelle le compositeur profite du solide conformisme offert par le cadre, les textes et les symboles de l’office, Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei, et leurs subdivisions (25-28 numéros selon les découpages), pour développer une prodigieuse liberté et diversité d’écriture, tirant ressource de toutes les techniques possibles, les accumulant, les opposant, les intégrant, du plain-chant à la fugue, du choral à la concertation chambriste en passant par le concerto, de la masse sonore fortissimo au solo pianissimo.

Cette œuvre mise sur le métier en 1819, destinée à l’intronisation archiépiscopale de l’archiduc Rodolph en mars 1820, fut achevée en mars 1823. Partiellement créée le 7 mai 1824 (avec la 9e symphonie), elle l’est en totalité à Saint-Pétersbourg, le 18 avril 1824, pour le prince Nikolai Galitzine (et le Tsar) qui avait mis la main au porte-monnaie.

Œuvre démesurée dans sa conception, dans sa durée de presque une heure et demie, elle l’est aussi dans le personnel requis : un grand chœur à quatre (l'Audi Jugendchorakademie), un quatuor vocal (Chen Reiss, Varduhi Abrahamyan, Daniel Behle, Tareq Nazmi), un orchestre musclé avec au-delà des cordes au complet, 18 vents et bois, timbales et orgue.

Une œuvre qui est donc difficile à mettre en place dans tous ses paramètres : la virtuosité de l’écriture même, tant instrumentale que vocale, le rapport entre les énormes masses sonores et les détails solistes ou d’écriture, surtout la clarté dans la surabondance musicale et les changements d’humeurs et de couleurs qui se suivent comme des saynètes modulaires, la cohérence et les progressions, le souffle, pour ne pas faire de cette messe une suite d’épisodes mis bout à bout.

Le Cercle de l’harmonie et Jérémie Rhorer bénéficient ensemble et séparément, d’une grande renommée. Ils sont encensés par les médias spécialisés, sont invités par des institutions et des scènes de première importance qui leur offrent souvent des résidences, et ce soir nous sommes fort étonné et déçu.

Pour résumer, mis à part le « Miserere nobis » de l’Agnus dei, tout fut brouillon. Un mauvais jour ? Manque de travail et de répétitions ? Une partition dont les exigences dépassent les capacités techniques du chef qui nous a semblé suivre ses musiciens plutôt que les anticiper ?

Peut-être une approche fautive, en considérant cette œuvre comme romantique, qui certes l’est dans l’esprit des dernières œuvres de Beethoven, mais pas dans l’écriture. On retrouve cette erreur dans la volonté de Jérémie Rhorer de vouloir « moins de mesure et plus de spontanéité ». Une vision surprenante pour une telle composition et un personnel si nombreux mis en mouvement. Oui pour la musique soliste ou chambriste, mais dans une telle partition prométhéenne, c’est dans la mesure que la spontanéité se travaille.

Philharmonie de Paris,Missa Solemnis, Philharmonie de Paris, 23 avril 2024.

Ainsi dès le Kyrie, les masses sonores écrasent tout, les solistes sont quasi inaudibles, et la stridence des sopranos en permanence fortissimo, sinon un f de plus, finit par avoir un effet désagréable. Également inaudible, la belle partie de violon concertant du Benedictus, ainsi que les dialogues des solistes et du chœur qui l’entrelacent. Mais ce qui donne avant tout l’impression de brouillon provient de l’imprécision, du savonnage des enchaînements des nombreuses séquences contrastées. C’est bien dommage, parce qu’on est alors privé de ce qui produit l’émotion humaine, les multiples détails qui surgissent ou s’opposent à la masse. La douleur, les craintes, l’incertitude (avant tout face à la mort), la prière individuelle, solitaire et la clameur de la foule qui s’élève vers Dieu. C’est bien dommage, car ces oppositions sont une source essentielle de bons effets esthétiques.

Jérémie Rhorer semble surtout avoir misé sur les grands effets emphatiques et la puissance sonore, mais Beethoven n’est pas encore Verdi ou Berlioz. Il reste que ce choix a rencontré un très vif succès parmi les spectateurs de la philharmonie de Paris.

Ce même concert a été donné le 6 avril 2024, au Festival de Pâques d'Aix-en-Provence, il le sera de noueau à 22 juin 2024 Ingolstadt, à l'Audi Sommerkonzerte.

plume_07 Jean-Marc Warszawski
1er mai 2024
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