musicologie

24 août 2023 — Jean-Marc Warszawski

Musique de chambre en Normandie 2023 : un sur onze

Jeudi 24 août 2023, 20 h, Espace Philippe Auguste,Vernon.

Michel Strauss, présentant le 20e Musique de chambre en Normandie, Espace Philippe Auguste à Vernon. Photographie © musicologie.org.

William Herschel (1738-1822), Symphonie no 8, en do mineur, pour ensemble à cordes (1861), 1, Allegro Assai, 2. Andante, 3, Presto assai.

Joe Puglia, Laura Esther Riverol Mitchel, Wendi Wang, Belle Ting (violon), Issey Nadaud, Clément Pimenta (alto), Zlatomir Fung, Clara Dietlin (violoncelle).

Pourquoi ouvrir un festival de musique qui nous invite à lever le nez vers les étoiles avec une symphonie de William Herschel ? Fils de Jacob, il est né à Hanovre. Attiré par les études scientifiques, il devient toutefois, comme son père, violoniste et hautboïste. Il sert dans la musique militaire. En 1756, au début de la guerre de Sept Ans, son corps d’armée est envoyé en Angleterre pour prévenir une attaque des Français. Trouvant le pays assez chouette et moins troublé que le Nord germanique, il s’y installe, y fait une carrière un peu en dents de scie, tente sa chance hors des grandes villes, enchaîne des postes d’organiste. Mais sa passion est d’observer les lanternes célestes. Le 13 mars 1781, il est le premier à observer une étoile qu’il nomme Georgium Sidus, en hommage au roi George III, lequel, flatté, lui octroie une rente annuelle de 200 livres sterling pour lui permettre de se consacrer à l’astronomie : No more music ! Depuis, cette étoile a été rebaptisée Uranus.

Herschel a composé pas mal de musique, militaire évidemment, aussi de la vraie musique évidemment, n’ayant pas l’ambition de casser les secrets de l’harmonie céleste, mais fort plaisante pour délasser les honnêtes gens. Cette symphonie ne cache pas le berceau nord-allemand du compositeur, particulièrement dans une partie des traits mélodiques du premier mouvement et dans l’émouvant Andante, qui pourrait être une ouverture de cantate à la Johann Sebastian Bach, le tout empaqueté de l’italianisme à la mode du temps. Il y a du Vivaldi dans l’air et de l’Allemagne du Nord dans les ailes.

notturnoZijan Wei, Joe Puglia, Michel Strauss. Photographie © musicologie.org

Franz Schubert (1797-1828), Notturno en mi bémol majeur,  D 897, « Adagio », mouvement pour trio avec piano (1827 ?).

Joe Puglia (violon), Michel Strauss (violoncelle), Zijian Wei (piano).

Comme chacune et chacun le sait, Franz Schubert est mort jeune, à l’âge où moururent les meilleurs rockers. Il occupa les dernières années de sa vie à souffrir et à composer chef-d’œuvre sur chef-d’œuvre, et ce mouvement de trio avec piano qu’il intitula « Adagio ». Il est possible que ce soit le mouvement lent du trio avec piano D 898, que Schubert aurait par la suite remplacé. Va donc pour Notturno, titre donné par l’éditeur Diabelli, en 1846, sous le numéro d’opus 148. À quels sentiments particuliers pensait le compositeur John Field dans les années 1815 quand il nomma « nocturnes », ce qu’on appelait jusqu’alors « fantaisie » : des pièces assez courtes, quasi improvisées au fil de la plume et de l’inspiration ? L’apaisement après une journée de tumulte ? La promesse des rêves voluptueux peuplés de princes et de princesses, de richesses ruisselantes, de Musique de chambre en Normandie ? L’espoir que la nuit délivre de la fatigue et du souci ? Pourtant le crépuscule est entre chien et loup, à minuit l’heure du crime, La nuit des morts-vivants et Le bal des vampires, La danse macabre les cauchemars qui poussent les rêves étoilés aux enfers, et la peur ancestrale d’une nuit si pesante que le jour pourrait bien ne pas se relever.

Cet Adagio, peu nourri musicalement, mais lyrique, voire pathétique, peut-être par son minimalisme, intrigue. On a pu entendre dans le second thème un chant des ouvriers de Gmunden (ville que Schubert a visitée en 1825), ceux qui enfon- çaient les pilotis pour la construction des ponts, et dont les coups de masse se- raient rendus par les accords frapageurs. Soyons poétiques : imaginons une pluie d’étoiles et de météorites dans une nuit glaciale.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Sérénade no 13, KV 525, en sol majeur, « Une petite musique de nuit », pour quatuor ou quintette à cordes (1787), 1. Allegro.

Wendi Wang (violon 1), Laura Esther Riverol Mitchel (violon 2), Samuel Rosenthal (alto), Clara Dietlin (violoncelle).

Cette fois, c’est bien Mozart, alors accaparé par la composition de son opéra Don Giovanni, qui a lui-même inscrit dans son catalogue, le 10 août 1787, « Une petite m sique de nuit, composée d’un allegro, d’un menuet et d’un trio, Romance, Menuet et Trio, et Finale. 2 violons, alto et basse ». Le premier menuet et trio manque, la page correspondante du manuscrit original, perdu en 1860 et retrouvé par Manfred Gorke en 1943, a été très tôt arrachée.

Cette œuvre, « petite » en raison d’une durée réduite pour le genre, composée comme une grande forme (symphonie, quatuor formidablement chantante, aérienne, certainement la plus célèbre du compositeur, ne fut pas créée de son vivant. En 1799, alors qu’elle vivait depuis peu avec le diplomate et musicographe danois Georg Nikolaus von Nissen, Constanze Mozart vendit un lot de partitions de son défunt mari à l’éditeur Johann André qui publia cette œuvre en 1826-1827, en la baptisant « sérénade ».

Il est clair, malgré la pénombre nocturne, que Mozart avait la nuit plus légère et joyeuse que Schubert. La configuration en quintette à cordes, avec contrebasse, plutôt qu’un alto supplémentaire (à la viennoise) ou un second violoncelle, com- munément adoptée, est étonnante pour l’époque de Mozart, (la partition indique à la 4e partie : « violoncello e basso » (non pas contrabasso). On l’emploie pour doubler strictement le violoncelle à l’octave inférieure. C’est parti pour l’Allegro.

Zijian Wei (piano), Lise Martel (violon), Samuel Rosenthal (alto), Zlatomir Fung (violoncelle). Photographie © musicologie.org.

Camille Saint-Saëns (1835-1921), Quatuor avec piano en si bémol majeur, opus 41 (1875), 1. Allegretto, 2. Andante maestoso ma con moto, 3. Scherzo (poco allegro più tosto moderato), 4. Finale (allegro), dédicacé à M. Jules Foucault, créé le 19 février 1875, Salle Pleyel à Paris.

Lise Martel (violon), Samuel Rosenthal (alto), Zlatomir Fung (violoncelle), Zijian Wei (piano).

La postérité désigne Camille Saint-Saëns comme « dernier des classiques », autant dire « attardé ». Pourtant il fut et reste un des plus géniaux des compositeurs français. Enfant prodige, pianiste adulé sur les scènes mondiales, ne mâchant pas ses mots et les écrivant, pouvant avoir un humour de potache comme dans le Carnaval des animaux, nationaliste anti-allemand viscéral, chantre de la « clarté gauloise » contre la « lourdeur et le sérieux teutoniques », auteur de la première musique de film (muet)… Il n’a pas adhéré aux esthétiques de son temps, il haïssait le wagnérisme et fut à lui tout seul, en effet, l’apogée à la française du classicisme… Après celui de Vienne au siècle précédent. Mais son génie, la virtuosité, la précision horlogère de son écriture, qui n’aura d’égale que celle de Maurice Ravel, en fait un moderne de tous les temps. C’est-à-dire un classique indémodable. Il disait produire de la musique comme un pommier produit des pommes.

Zijian Wei (piano), Lise Martel (violon), Samuel Rosenthal (alto), Zlatomir Fung (violoncelle). Photographie © musicologie.org.

Comme pratiquement toutes ses créations à l’époque (de sa gloire), celle de ce quatuor fut un succès qui raviva l’intérêt pour la musique de chambre, alors délaissée en France.

La légèreté du premier mouvement est une prémisse à une fabuleuse tempête musicale, où dans un déferlement de prouesses et de beautés architecturales, comme dans le second mouvement la fusion des prélude, choral et fugue, planent les fantômes de Johann Sebastian Bach et de Robert Schumann. C’est une œuvre admirable à en être bouleversante.

 

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 Jean-Marc Warszawski
24 août 2023
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Dimanche 10 Septembre, 2023 15:29