musicologie

2023 — Jean-Marc Warszawski

Musique de chambre en Normandie 2023 : deux sur onze

Vendredi 25 août 2023, 20 h Espace Philippe Auguste,Vernon.

Zijian Wei (韦子健), Espace Philippe Auguste, Vernon, 25 août 2023. Photographie © musicologie.org.

Puisque nous allons entendre des poèmes français et allemands, on doit savoir que la Lune est une dame pour les Français et un monsieur pour les Allemands, ce qui change la symbolique poétique, peut-être pas seulement la symbolique. Question de point de vue et de lunettes, qui, même en demi-lune, nous permettent une vision ronde.

Les nuits de pleine lune, anxiogènes, dit-on, les humains maudits sont transformés en loups-garous et les sorcières sont de sortie. Les nuits sans lune, les aigrefins et autres malandrins se faufilent au long des rues pour faire nos poches, voire nous taillader la couenne. Au clair de la lune, amis Pierrot, poètes, lunaires ou lunatiques nous livrent leurs cratères de mots et leurs fusées à rimer.

Ce soir, la lune sera ténorisée, avec entre autres deux duels : le premier, Debussy Claude contre Fauré Gabriel, sur un poème de Verlaine, le second, Brahms Johannes contre Schumann Robert, les deux amoureux de Clara Schumann, sur un poème de Eichendorff.

Claude debussy (1862-1918), Clair de Lune (1892), no 3 des « fêtes galantes », 6 mélodies, d’après Paul Verlaine. Dédicacé à Madame Arthur Fontaine (une première version de cette mélodie en 1882 était dédicacée à Mme Vasnier).

Johannes brahms (1833-1897), Mondnacht (1853), « Es war, als hätt’ der Himmel » (Nuit de lune, « C’était comme si le ciel avait… », poème de Joseph von Eichendorff.

Robert Schumann (1810-1856), Mondnacht (1840) « Es war, als hätt’ der Himmel » (Nuit de lune, « C’était comme si le ciel avait… »), poème de Joseph von Eichendorff.

Gabriel Fauré (1845-1924), « La lune blanche luit dans les bois », no 3 de La bonne chanson, opus 61, cycle de 9 mélodies (1892-1894), d’après Paul Ver laine.

Clair de Lune, opus 46, no 2 (1887), sur un poème de Paul Verlaine (extrait des Fêtes galantes).

Antonín Dvořák (1841-1904), « Lied an den Mond » (chant à la lune), extrait du 1er acte de l’opéra Rusalka (1900), sur un livret en tchèque de Jaroslav Kvapil. Réduction au piano de Karel Sole, traduction allemande de Peter Brock.

Samuel Rouveure (ténor), Zijian Wei / 韦子健 (piano).

Samuel Rouveure, Espace Philippe Auguste, Vernon, 25 août 2023. Photographie © musicologie.org.

Claude debussy, Sonate pour violoncelle et piano (1915), 1. Prologue (lent), 2. Sérénade (modérément animé), 3. Final (animé, léger et nerveux), dédicacée à Emma Debussy, créée à Londres le 4 mars 1916, par Charles Warwick-Evans (violoncelle), Ethel Hobday (piano).

Michel Strauss (violoncelle), Zijian Wei / 韦子健 (piano).

En juillet 1915, Claude de France mit en chantier un cycle de six sonates pour différents instruments. La mort respectant le sablier au grain près, il n’en composa que trois : celle-ci, achevée en octobre ; pour violon et piano ; pour flûte, alto et harpe. Il voulait manifester en musique son nationalisme français, contre Wagner qui « n’a jamais servi la musique… même pas l’Allemagne », mais aussi poser un acte politique dans la Première Guerre mondiale. Sur les pages-titres des trois sonates éditées, il se nomme « Claude Debussy, musicien français » (comme sur ses cartes de visite), le tout dans un style typographique xviiie siècle : il regrettait « que nous ayons oublié la tradition des œuvres d’un Rameau… ». Il s’inspire de quelques caractères du baroque français, des réminiscences pour lesquelles il faut sérieusement tendre l’oreille, comme la coloration néo-Renaissance de la modalité, le rythme d’une ouverture à la française au début du Prologue… pour livrer une œuvre d’une étonnante liberté, fougueuse, mobile, nerveuse, voire burlesque. Mais pourquoi se faire un film ? La beauté et l’originalité musicales suffisent à notre plaisir… Curieusement, l’effet guitare des staccatos et certains rythmes pourraient faire penser à une escapade en Espagne… On se fait quand même un film. Debussy écrivit à son éditeur Il ne m’appartient pas d’en juger l’excellence,mais j’en aime les proportions et la forme, presque classiques dans le beau sens du terme.

Michel Strauss (violoncelle), Zijian Wei / 韦子健 (piano).Espace Philippe Auguste, Vernon, 25 août 2023. Photographie © musicologie.org.

Michel Strauss, Espace Philippe Auguste, Vernon, 25 août 2023. Photographie © musicologie.org.

Joseph haydn (1732-1809), Quatuor à cordes Hob. III:32, en do majeur, (opus 20 no 2), 2e des 6 « Quatuors du Soleil » (1772), 1. Moderato, Capriccio, Adagio-Cantabile, 3. Minuet, Allegretto, Trio, 4. Fuga a 4 soggetti (allegro), dédicacé au prince Nikolaus Zmeskall von Domanovecz.

Joe Puglia (violon 1), Wendi Wang (violon 2), Clément Pimenta (alto), Zlatomir Fung (violoncelle).

Joseph Haydn, né un 1er avril, ni blague ni poisson, est un des trois magiciens, avec Wolfgang Amadeus Mozart et Ludwig van Beethoven, qui ont façonné le sublime héritage musical qu’on nomme le « style classique » ou 1re école de Vienne. Quand il compose les 6 pièces de cet opus 20, en 1772, il est depuis onze ans au service du richissime prince hongrois Paul-Anton Esterházy. Il n’est pas un laquais, comme on peut souvent lire, il a plutôt un rang d’officier supérieur, tout de même aux ordres du goût d’un prince qui veut faire briller son palais comme brillait celui de Versailles, le modèle. Second puis premier maître de chapelle, Haydn a un bon salaire, un bon logement, de bons avantages en nature, il peut engager les meilleurs musiciens, a un théâtre à disposition. Ce sont des conditions idéales, sinon la sujétion à un maître qu’aucun musicien d’aujourd’hui n’accepterait pour tout l’or du monde (poisson d’avril).

Joe Puglia, Wendi Wang, Zlatomir Fung, Clément Pimenta, Espace Philippe Auguste, Vernon, 25 août 2023. Photographie © musicologie.org.

En 1760, Haydn a déjà composé douze quatuors (opus 1 et 2), six en 1770 (opus 9), puis en 1771, les six de l’opus 17. On a retiré du catalogue de ses œuvres les six quatuors opus 3, pour les rendre à Roman Hoffstetter. C’est pourquoi ce 26e quatuor est numéroté 32e.

Bref ! Après quatre fois six égalent vingt-quatre quatuors, un miracle se produit avec cet opus 20, archétype du quatuor classique s’imposant aux compositeurs présents et à venir, comme on a pu l’entendre hier et ici même, sous la signature de Camille Saint-Saëns. Ludwig van Beethoven avait recopié le no 1 de l’opus 20 et Johannes Brahms possédait les manuscrits des six quatuors.

Haydn a réussi, dès son 25e quatuor, la fusion cohérente de toute la science du compositeur de son époque, le savant et le populaire, la forme sonate et ses possiblités de développement, la mélodie accompagnée et la fugue baroque, les tensions dramatiques… voire le récitatif d’opéra : une musique qui ne fait pas que divertir en superficie, une musique qu’on doit écouter dans ses profondeurs.

Surtout, il y a posé techniquement les bases du style classique et de la musique de chambre, dans l’intense concertation entre les motifs, leur incessante circulation entre les différentes voix, une nouvelle manière de polyphonie.

Ces voix sont égalitaires, conformément aux idées nouvelles portées par les Lumières, qu’on décline aux pays germaniques « Sturm und Drang » (Tempête et passion). Ainsi le violoncelle est libéré de son rôle de tapeur de basses, on l’entendra dans quelques instants chanter jusque dans les aigus, lancer des thèmes, dialoguer fermement avec le violon et prendre toute sa place dans la fugue à quatre sujets du final.

La page de titre de la première édition était ornée d’un soleil, d’où le surnom de « Quatuors du soleil ».

 Jean-Marc Warszawski
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Dimanche 10 Septembre, 2023 15:27