musicologie

29 août 2023 — Jean-Marc Warszawski

Musique de chambre en Normandie: trois sur onze

Samedi 26 août 2023, 15 h 30 Église de Vernonnet.

Lise Martel,Lise Martel, église de Vernonnet, 26 août 2023. Photographie © musicologie.org.

Johann-Sebastian Bach (1686-1750), Prélude et fugue en fa majeur, BWV 880, IIe livre du Clavier bien tempéré.

Zijian Wei (piano).

Au début de juin dernier, la ville de Leipzig a fêté dans les grandes largeurs, au cours de son festival annuel, le tricentenaire de l’entrée en fonction de Johann Sebastian Bach comme Kantor de l’église Saint-Thomas, Thomaskirche, comme ont dit bizarrement là-bas, et de directeur de la musique municipale. On s’émerveille encore de ce coup de chance, deux candidats concurrents répondaient mieux que lui aux qualités demandées, notamment celles d’avoir étudié à l’université et d’être capable d’enseigner le latin. Georg Philipp Telemann, alors qu’il étudiait le droit à Leipzig y avait mené une intense activité musicale, dont la fondation du « Collegium musicum» qui devint une grande institution de la ville, la collaboration avec Johann Kuhnau, Kantor de Saint-Thomas, la direction de la maison d’opéra et bien sûr en y créant de ses œuvres. Mais il obtint une substantielle augmentation de salaire de la ville de Hambourg qui l’avait engagé en 1721, ce qui le retint au bercail. Christoph Graupner fut quant à lui placé enfant à la maîtrise de Saint-Thomas, sous la direction de Kuhnau, il étudia le droit à l’université de Leipzig, fut proche de Telemann, et brillait alors à la cour de Darmstadt, qui malheureusement réduisait son budget alloué à la musique. Graupner s’est dit « Es ist Zeit zu packen» (il est temps de faire les valises). Mais le prince refusa ce départ, pour le punir, il augmenta son salaire. Leipzig engagea donc le troisième choix, qui a beaucoup enfanté, dont, dit-on, la musique occidentale.

Le son musical est un phénomène antidémocratique. C’est même un sacré phénomène. Si on se met d’accord pour s’accorder les violons d’après une note de référence, le kling par exemple, la musique profitera de toute la résonance possible tant qu’on jouera dans la gamme de kling. Mais si on se met à jouer dans la gamme de klong, un autre morceau, ou pour varier par modulation, cela résonnera moins bien, et même, les tons « dits » éloignés (de la référence), ce sera faux. Les musiciens, Johann Sebastian Bach lui-même, ont utilisé ce phénomène, le ton de référence paradisiaque et les tons éloignés infernaux.

Mais tout à chacun sait, de tout temps les temps changent. Le genre de musique qu’on affectionne, à la suite de Monterverdi, ce qu’on appelle la mélodie accompagnée, a besoin que ce soit juste dans tous les tons. On a donc trafiqué l’accordage, contre la résonance naturelle, afin que toutes les gammes soient égales pour accompagner en accords le monarque mélodie. Si vous voulez vous amuser, demandez à des musicologues, musiciens, accordeurs de pianos, quelle est la meilleure technique d’accordage « tempéré »… Dispute générale garantie.

Bach a composé deux livres systématiques de préludes et de fugues dans toutes les gammes majeures et mineures « bien tempérées », sans toutefois nous livrer son système d’accordage, on peut penser que c’était son oreille.

Lise Martel, Wendi Wang, Zlatomir Fung, Samuel RosenthalLise Martel, Wendi Wang, Zlatomir Fung, Samuel Rosenthal, église de Vernonnet, 26 août 2023. Photographie © musicologie.org.

Joseph Haydn (1732-1809), Quatuor à cordes, en do majeur, Hob III:39 (opus 33, no 3), « L’Oiseau » (1781), 1. Allegro moderato, 2. Scherzo allegretto, 3. Adagio ma nontroppo, 4. Rondo (Presto), dédicacé à Paul II, grand-duc de Russie.

Lise Martel (violon 1), Wendi Wang (violon 2), Samuel Rosenthal (alto), Zlatomir Fung (violoncelle).

Neuf années après le coup de génie des six quatuors opus 20, dont nous avons entendu le no 2 hier soir, fixant les archétypes du quatuor à cordes et du style classique, Joseph Haydn revient au genre. Il a 48 ans et quelques cheveux gris sous la perruque, en a peut- être perdu quelques-uns, mais a gagné la célébrité. Pour soutenir la vente par souscription de cette nouvelle série de quatuors, il rédige une circulaire dans laquelle il déclare qu’« ils sont d’un genre tout à fait nouveau et particulier ». Il était un marchand habile, mais la nouveauté était son opus 20.

Wendi Wang, Zlatomir FungWendi Wang, Zlatomir Fung, église de Vernonnet, 26 août 2023. Photographie © musicologie.org.

Samuel RosenthalSamuel Rosenthal, église de Vernonnet, 26 août 2023. Photographie © musicologie.org.

Maintenant, il faut faire vivre, explorer, diversifier, extraire tous les sucs de musique, de surprise, de plaisir de ce nouveau style classique viennois. Mozart qui a 25 ans y met aussi le paquet, Beethoven n’a que onze ans, mais il est déjà un sérieux client.

Il y a bien entendu des évolutions depuis l’opus 20, dont les plus évidentes sont le rem- placement du menuet par un scherzo, l’absence de fugue, l’abandon de la gravité et des accents dramatiques au profit de la joyeuseté, du pétillement, de l’humour, et ici un train qui va tambour battant. Cela est obtenu grâce à un allègement de la texture (il y a moins de choses en même temps… donc pas de fugue).

Ces quatuors ont reçu des surnoms après vente : « Des jeunes filles », suite à l’illustration de la première édition, « Russes », parce qu’ils ont été joués lors de la visite du grand-duc de Russie à Vienne avant de lui être dédicacés, « Dei scherzi », comme indiqué plus haut. Ce quatuor particulier a été surnommé « L’Oiseau », parce qu’il arrive que les appogiatures pépient dans les aigus.

Johann Strauss (fils), Wein,WeibundGesang, opus333 (1869), sur un texte de Josef Weyl, pour chœur masculin et orchestre, 1. Introduction, 2. Valse I, 3. Valse II, 4. Valse III, 5. Coda, dédicacé à Johann Herbeck, créé à Vienne, 2 février 1899, arrangement de la version orchestrale par Alban Berg.

Joe Puglia, Zijian Wei, Laura Esther Riverol Mitchel, Issey Nadaud, Clara Dietlin Joe Puglia, Zijian Wei, Laura Esther Riverol Mitchel, Issey Nadaud, Clara Dietlin, église de Vernonnet, 26 août 2023. Photographie © musicologie.org.

Cette célébrissime valse à épisodes a été commandée à Johann Strauss par une as- sociation chorale de Vienne pour le carnaval de 1869, elle débuta, sans attendre, une carrière orchestrale, mais rarement pourvue de sa longue introduction. On la sort en général de la naphtaline chaque Nouvel An.

Cinquante ans plus tard, de 1918 à 1921, les trois de la dite « seconde école de Vienne », Arnold Schönberg, Anton Webern et Alban Berg, organisèrent des concerts consacrés à la musique contemporaine et se firent dans la foulée une soirée Johann Strauss. Ne disposant pas d’un grand orchestre, ils se chargèrent chacun de l’adaptation d’une œuvre. Berg choisit Wein, Weib und Gesang, qu’il arrangea pour quatuor à cordes, piano et harmonium. La devise de cette valse est « Celui qui n’aime pas le vin, la femme et le chant restera un idiot toute sa vie ». C’est le poète Matthias Claudius qui publia dans son journal Wandsbecker Bote (Le Messager de Wandsbeck), en 1775, un très court poème attribuant cette devise à Martin Luther.

Le rendu de l’arrangement est somptueux, il apparaît beaucoup plus cohérent et incisif, par rapport au matériel musical assez simple, que l’habillage poudré à grand orchestre. Quand on écoute cette version genre cabaret berlinois d’entre-deux-guerres, au lendemain de la Première, en ayant l’original en mémoire, il est difficile de ne pas sourire, voire plus si affinités, ni de ne pas tomber en admiration tant le façonnage est sophistiqué.

Robert Schumann, Quatuor avec piano, en mi bémol majeur, opus 47 (1842), 1. Sostenuto assai, 2. Scherzo, 3. Andante cantabile, 4. Finale, dédicacé au comte Mathieu Wielhorski, créé au Gewandhaus (Leipzig), 8 décembre 1844, avec Clara Schumann (piano), Ferdinand David (violon), Niels Gade (alto) et Franz Karl Wittmann (violoncelle).

Belle Ting (violon), Clément Pimenta (alto), Michel Strauss (violoncelle), Zijian Wei (piano).

Belle Ting, Zijian Wei, Clément Pimenta, Michel StraussBelle Ting, Zijian Wei, Clément Pimenta, Michel Strauss, église de Vernonnet, 26 août 2023. Photographie © musicologie.org.

Pour Schumann, 1841 fut l’année du Lied, 1842 celle de la musique de chambre : les trois quatuors à cordes, opus 41, le quintette avec piano, opus 44, et ce quatuor avec piano. Une année intense et de chefs-d’œuvre. On retrouve le « schéma Haydn », avec scherzo (fabuleux), fugue en finale (éblouissant) et les échanges entre les parties, l’incise romantique en plus dans l’émergence mélodique, en Lied (une merveille dans l’Andante) ou en choral, une tendance plus orchestrale, et comme pour l’opus 41 qui conçoit les trois quatuors comme une seule œuvre, on y remarque la recherche d’une plus grande pégosité thématique reliant l’ensemble des différents mouvements de l’œuvre, en esquissant d’avance les thèmes dès le mouvement précédent et par des réminiscences au mouvement suivant. Enfin parfois un effet de flou et la succession d’épisodes étroitement structurés hérités des classiques et d’épisodes à variations libres à la romantique.

 

 Jean-Marc Warszawski
29 août 2023
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Samedi 16 Septembre, 2023 1:56