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17 mai 2020 —— Jean-Marc Warszawski

Christelle Séry en guitare héroïne électrifiée

Christelle Séry

Christelle Séry, Guitare électrique, œuvres de Liano, Naegelen, Séry, Combier, Momi, Pattar. Onze heures onze 2019 (onzo 33).

Enregistré à Gagny en Juillet 2018.

Une pochette genre démo, dans une autre pochette stylée (Olivier Degabriele), un livret illisible où l’on apprend qu’il existe une casse de caractères plus petite que la patte de mouche que cela est dommage en raison d’un texte précis et juste de Lê Quan Ninh qui nous enlève une partie des mots du clavier, et certainement en raison aussi des commentaires de Christelle Séry, guitariste demandée, pour les curieux qui ont besoin de lumières par-dessus les sons.

En bonus, accessoirement, cinquante-sept minutes de magnifique musique qu’il est bien difficile de caractériser par l’écrit des étiquettes qui disent rarement le quoi sonne le contenu, d’une part parce que c’est l’industrie des marchands qui colle les étiquettes, d’autre part, il me semble, parce qu’il s’agit d’un moment dans un mouvement, d’un point de vue, dans ce cas panoramique par temps clair.

On dira musique contemporaine, mais cela fait plus d’un siècle que la musique académique est contemporaine. On dira musique expérimentale, mais il n’y a aucune vérité scientifique en art, pas de laboratoires du type de ceux des sciences dites exactes. On dira musique exploratrice, car une musique qui ne le serait pas ne serait pas, exploration harmonique, mélodique, des affects, des sons, de la virtuosité, de l’expression, du geste, etc. Toute musique audible comme musique est exploratrice pour éviter qu’on ne meure d’ennui. Mais elles ne le sont pas toutes de la même manière ou de la même intensité. Ce cédé est à très haute teneur exploratoire.

Il y a dans toute musique construite, quelle que soit sa facture esthétique, écrite, académique, improvisée, populaire, une ligne « narratrice », une armature, un plan, que l’on met en vie par des digressions, des ornements, des décors et toutes sortes d’effets.

Il peut arriver que ces effets débordent, contestent les règles, deviennent en eux-mêmes les objets de nos attentions, ne soient plus les serviteurs du projet, qu’ils s’émancipent. Ce fut le cas avec la musique tonale, où ornements, chromatismes, dissonances sont passés de faire valoir à matière première.

Nous voyons, dans le programme proposé par Christelle Séry, y compris ses propres compositions, un même scénario. La remarque de Lê Quan Ninh, imprimée plus petitement que des pattes de mouche, est juste : tout là-dessous au fond, il y a le « Guitar Hero » des années 1970, qui avait deux choses en plus de la virtuosité obligée, l’exploration des modes blues pour les uns, jazz pour les autres, ou des broderies, et l’exploration des effets sonores, avec côté archéologie et tout bagage des années 1960, la pédale wah-wah, la barre de vibrato et la « réverb » à ressorts, rejoints par de nombreuses boîtes d’effets divers au rythme du développement de l’industrie électronique. Les extraordinaires orgue Hammond et Piano Rhodes de Fender n’ont jamais pu rivaliser. Par la suite, les synthétiseurs n’en eurent pas la capacité. Pour ses richesses tactiles et électroniques, la guitare est devenue l’instrument roi de la musique.

Christelle Séry explore donc tous ces effets et toutes les manières d’attaquer les cordes, lesquels de faire valoir des improvisations souvent fleuves en modes blues, jazz ou brodant sont employés comme premiers éléments thématiques.

Comme Jimi Hendrix en avait ouvert le ban à Woodstock en 1969, avec The Star Spangled Banner, quand dans le fracas sonore il exprimait d’une manière transparente les horreurs de la guerre (du Vietnam) face à sa dignité de citoyen américain, les pièces malines de ce cédé ne manquent pas d’expression et d’évocations de toutes sortes, du jeu vidéo à la bande dessinée, du film muet à une basse-court, horde d’animaux,  rumeurs, musique concrète, etc. Ce n’est pas qu’elles sont descriptives, mais elles exploitent des éléments sonores qui font partie de notre dictionnaire auditif. Ainsi malgré l’inouï ou le peu ouï  de cette musique, l’auditeur ne se perd pas dans des labyrinthes intellectuels du total inconnu.

« Guitar Hero », certes ! Cependant Christelle Séry exploite peu ce qui en fait la marque universelle, le son saturé de la distorsion, le son sale de colère, lequel par son bruité porte très fort. Ici, sur fond de silence, on est plutôt dans la clarté et la pureté sonore, le léché, le précis, la poésie. C’est qu’elle a la formation classique académique du Conservatoire, pas celle du garage qui fait les vrais guitaristes, parfois les héros.

Marco Momi, Quatro Nudi, III. (plage 8).

1. Lin-Ni Liao, Le train de la vie V – Alison.

2. Karl Naegelen, Strates pour guitare électrique.

3. Christelle Séry, Ombre pour ombre I.

4. Jérôme Combier, Yùrei.

5. Christelle Séry, Ombre pour ombre II.

5-9. Marco Momi, Quattro Nudi.

10. Frédéric Pattar, Ricercar à 11 – effet joul.

 Jean-Marc Warszawski
17 mai
2020.
© musicologie.org


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