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Monaco, 9 octobre 2018 — Jean-Luc Vannier.

De L’Ombre à La Lumière : Klein, Dohnányi, Weinberg et Cras mis à l’honneur par le Trio Goldberg

De L’Ombre à La Lumière (Ars Produktion-Schumacher) ne veut pas seulement nous faire redécouvrir des compositeurs que les aléas du temps et les vicissitudes, souvent tragiques, de l’histoire auraient contribué à effacer de nos mémoires immédiates. Formé de Liza Kerob au violon, de Federico Hood à l’alto et de Thierry Amadi pour le violoncelle — tous trois respectivement Supersoliste, 1er Alto Solo et 1er Violoncelle Solo au sein de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo —, le Trio Goldberg présentait mardi 9 octobre au Troparium de l’Auditorium Rainier III un happy hour musical en l’honneur de leur nouvel album (voir interview ci-après).

Cette formation aussi dynamique que talentueuse et dont nous avions déjà rendu compte d’un superbe travail, réinsuffle de vie et irise de  couleurs les pièces de quatre auteurs par une interprétation à la fois exigeante et raffinée : le « Trio à cordes » de Gideon Klein (1919-1944), la « Sérénade pour Trio à cordes », opus 10 d’Ernö Dohnányi (1877-1960), le « Trio à cordes » opus 48 de Mieczylaw Weinberg (1919-1996) et le « Trio à cordes » de Jean Cras (1879-1932).

Exigeante, en premier lieu, car nous devinons en parcourant le livret, la somme de l’investissement intellectuel — comprendre l’essence de l’œuvre, le parcours et l’environnement de son auteur, avant de prétendre l’interpréter — mais aussi la part nécessaire de l’engagement affectif dans cette étroite collaboration. Raffinée, ensuite, car l’écoute de cet enregistrement fait jaillir en nous un flux massif de représentations doublées de souvenances sonores. Ici, une mélodie révèle de surprenantes affiliations, là, une tonalité et une cadence suggèrent des inspirations plus subreptices d’autres compositeurs : sont ainsi convoqués Leoš Janáček, Johannes Brahms, Franz Liszt, Wolfgang Amadeus Mozart, Ludwig van Beethoven ou bien même Darius Milhaud. Une invite stimulante aux pérégrinations musicales les plus déroutantes.

Terminé au camp de Theresienstadt neuf jours avant l’assassinat à Auschwitz du compositeur à l’âge de 26 ans, le « Trio à cordes » (1944) de Gideon Klein porte en lui cette dysrythmie de vie et de mort ponctuée par des marques d’ultime dérision, notamment dans les ostinatos du troisième mouvement. L’alternance, dans le deuxième mouvement, de moments plus doux et raisonnés avec l’expression rageuse de vivre, demeure néanmoins recouverte par des tonalités sombres et empreintes d’une vibrante et dramatique nostalgie.

La « Sérénade » (1902) d’Ernö Dohnányi nous offre, surtout dans l’Adagio non troppo, quasi andante, une romance d’une rare distinction, ouverte sur des aigus lumineux et éclatants avant que les cordes s’amusent franchement dans le Scherzo. Et ce, au point de nous tromper sur la chute de ce troisième mouvement : une annonce de l’exaltation assumée et finale du Rondo.

Plus mystérieuse, plus évanescente, suscitant une attention curieuse, est l’Andante dans l’œuvre (1950) de Mieczylaw Weinberg : d’ineffables aigus génèrent un halo fascinant mais qui semble demeurer inaccessible, lointain, hors de notre intelligibilité tellurique. Sur fond d’un rythme similaire à la marche inexorable d’une trotteuse de montre, le moderato assai termine sur une reprise atténuée du thème.

L’appétence pour le grand large du marin-compositeur Jean Cras nous est admirablement restituée dès les premières mesures de son « Trio » (1926) : ostinato enthousiaste d’un violoncelle en route vers de lointains horizons, voyage au long cours qui aborde, au second mouvement, les rivages inconnus sous d’exotiques sonorités teintées d’orientalisme.

De la Folle Journée de Nantes au Festival des Grandes Heures de Cluny, Des Moments Musicaux de l’Hermitage à La Baule aux concerts donnés au Musée d’Orsay, le Trio Goldberg aborde un répertoire éclectique dont la générosité dans la sélection des compositeurs et la volonté de partager leur passion commune, ne constituent pas le moindre de leurs atouts.

Extrait du trio à cordes, opus 48, de Mieczylaw Weinberg.

 

Musicologie : Comment vous êtes-vous constitués pour former le « nouveau » Trio Goldberg?

Trio Goldberg : Le « nouveau » Trio Goldberg s'est formé autour de la plus belle chose qui soit : l'amitié ! Brel disait : « L'amitié est une âme en deux corps » ! Nous avons divisé la nôtre en trois. L'arrivée de Federico Hood a amené au Trio un nouvel élan, une vision musicale différente. Nous sommes forts et fiers de nos différences, tant culturelles qu'humaines.

Musicologie : Quelles sont les réflexions qui ont présidé au choix des compositeurs?

Trio Goldberg : En fait, le disque au départ devait être plus autour de l’exil avec des compositeurs en provenance exclusive de l’Europe centrale. Entre temps, nous avons commencé à préparer un programme de musique française et nous nous sommes dit qu’il fallait absolument enregistrer le Trio de Jean Cras, un chef-d’œuvre pas assez connu compte tenu de la génialité de cette pièce. Et puis, nous nous sommes dit la même chose des Trios de Klein et de Weinberg. La « Sérénade » de Dohnányi est, de loin, l’œuvre la plus connue parmi celles que nous avons choisies pour le disque, mais malgré le fait qu’elle soit programmée régulièrement dans les salles de concert du monde entier, il n’est pas osé de dire que cette pièce n’a pas la reconnaissance qu’elle mérite! Finalement c’est comme ça que nous sommes tombés d’accord pour le titre « De l’Ombre à La Lumière »,

Musicologie : Quels seraient les messages que vous voudriez transmettre au travers de ces interprétations?

Trio Goldberg : Le titre marche sur plusieurs plans : celui d’amener des œuvres peu ou pas connues vers la lumière, ainsi que les compositeurs, et même le répertoire pour Trio à cordes qui peine aussi à se faire de la place entre les Trios avec piano et les Quatuors à cordes. Après, nous pouvons aussi constater que Klein et Weinberg — très sombres — contrastent avec Dohnányi et Cras, globalement plus solaires ! Sur ce, et pour répondre à votre question, le message est très clair : il est dirigé vers les musiciens, les mélomanes ainsi que vers les programmateurs de concerts : Brahms, Debussy, Dvořák sont certes d’immenses compositeurs qui ont écrit des chefs-d’œuvre incontestables, mais il en existe d’autres qui demeurent à l’ombre et qui mériteraient de voir la lumière plus souvent ! 

Musicologie : Que pourriez-vous nous dire de cet équilibre entre le travail en Trio et celui au sein de l'OPMC

Trio Goldberg : Nous pouvons vous dire que vingt-quatre heures dans une journée nous semblent souvent insuffisantes. Nous ne comptons ni notre temps ni notre fatigue. Le travail en Trio est complémentaire de celui en orchestre. Nous nous « sentons » mieux et un simple regard, une intention musicale sont immédiatement reçus et compris, même lorsque nous sommes noyés dans la superbe « masse » sonore de notre orchestre.

Musicologie : Avez-vous déjà en tête votre prochain album ?

Trio Goldberg : Avant de parler du prochain disque pour le Trio, il faut préciser qu’en 2019, un disque de l’Intégrale des Quatuors avec flûte de W. A. Mozart, enregistré avec le flûtiste Jean Ferrandis, sortira sous le label Europ&Art. Ensuite, il est vrai que nous sommes déjà en train de travailler sur notre prochain opus, et que, depuis un an déjà, nous jouons en concert des pièces qui feront certainement partie du prochain disque. Mais de la même manière que ce disque-ci a commencé avec une tout autre idée, qui sait ce que la version finie du prochain CD contiendra exactement ?

 

Propos recueillis par Jean-Luc Vannier
Monaco le 9 octobre 2018

 

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Mercredi 10 Octobre, 2018 2:20