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Montpellier, Opéra Berlioz-Le Corum, 19 juillet 2013, par Eusebius ——

Madame Sans-Gêne, ou Vive la République !

Navrante mémoire, oublieuse de tant de chefs-d'œuvre, modes scélérates qui dévalorisent ou occultent tant de joyaux ! Il aura fallu l'initiative courageuse du Festival de Radio-France et Montpellier Languedoc-Roussillon pour écouter enfin cette œuvre singulière et rare.

Madame Sans GêneOpéra Berlioz / Le Corum.. Photographie © Luc Jennepin.

L'histoire, portée à la scène par Victorien Sardou, a fait l'objet de nombreuses adaptations. Le livret italien de Renato Simoni en diffère peu. Rappelons les faits : Catherine, une blanchisseuse parisienne d'origine alsacienne, dont le voisin n'est autre qu'un certain Napoléon, accueille l'un de ses clients, Fouché, alors que le peuple prend les Tuileries. Elle lui avoue son amour pour le sergent Lefèvre. Avant que ce dernier apparaisse, elle accueille et soigne un Autrichien blessé, le comte Neipperg, soutien de Marie-Antoinette, et le cache dans sa chambre. Lefèvre, fou d'amour et de jalousie, force la porte, mais promet de revenir la nuit pour aider à la fuite de l'aristocrate.

Le deuxième acte, près de vingt ans après, se passe à Compiègne. Fouché est ministre de Napoléon Ier, Lefèvre est devenu maréchal et duc. Madame Sans-Gêne a conservé son langage trivial et ses attitudes directes, objets de moqueries. Aussi prend-elle des leçons, sans grand effet. L'empereur demande à Lefèvre de trouver une nouvelle épouse, digne de son rang. Mais Lefèvre est toujours épris de sa Catherine. Réapparaît Neipperg, chassé de la cour car soupçonné d'une liaison avec Marie-Louise. Fouché met en garde Catherine contre une provocation des dames de la cour : méprisée par les deux sœurs de Napoléon qui la reçoivent, elle leur rappelle les origines modestes de tous les puissants, nobles et maréchaux de fraîche date. Elle est donc convoquée par l'empereur.

Napoléon apparaît, enfin, à l'acte III : il reçoit la duchesse de Dantzig, qui dénie à l'empereur le droit de se mêler de son ménage, avant de lui rappeler son passé de blanchisseuse et de lui remettre une facture restée impayée par un jeune officier d'artillerie. Napoléon reconnaît alors son aimable voisine avec laquelle il échange quelques souvenirs. Madame de Bülow essaie alors d'introduire Neipperg, que Napoléon est prêt à tuer. Catherine le sauve, encore une fois, mais c'est Lefèvre qui conduira l'exécution. Saisi par le doute, Napoléon fait tester la fidélité de son épouse par Catherine. Innocenté, Neipperg est gracié et Napoléon commande à Lefèvre de ne jamais se séparer d'une telle épouse.

Rares sont les ouvrages lyriques dont l'héroïne sorte vivante, et grandie de surcroît. La fermeté de caractère, la profonde humanité de Caterina, sa gouaille, mais surtout sa rectitude en font un personnage hors du commun. Femme libre (« Son libera ! » chante-t-elle à la fin de l'acte I), féministe avant l'heure — déniant à l'Empereur le droit de se mêler de sa vie conjugale — elle a parfaitement intégré les idéaux de la Révolution, et sait les mettre en pratique. Autant Andrea Chénier avait illustré de manière dramatique une page contemporaine et sombre, autant ce nouvel ouvrage la peint, de façon débonnaire, tragique et drôle sous l'angle du peuple, exaltant les vertus de l'esprit républicain. Faut-il y voir l'une des raisons de sa disparition des scènes lyriques ? Car l'œuvre peut être qualifiée de majeure. À l'égal du meilleur Puccini, l'écriture fait la part belle à la vocalité, avec une orchestration riche et toujours pertinente, avec un réel sens de la couleur.  Giordano n'était-il pas apprécié de Fauré à propos duquel il déclarait en 1906 « le seul compositeur avec lequel j'ai pu être aimable » dans Le Figaro ?

Tout s'articule autour du rôle-titre, écrasant certes, mais fascinant au point d'avoir séduit Geraldine Farrar, pour sa création à New York en 1915, sous la direction de Toscanini, et, plus près de nous, Magda Laszlo et Mirella Freni. Iano Tamar, soprano géorgienne, a relevé le défi : sa prestation, honorable au premier acte, a gagné ensuite en conviction pour conquérir le public montpelliérain. Timbre chaleureux, large tessiture, expression juste, puissance, dynamique étaient au rendez-vous. Caterina pétille d'esprit, tour à tour volontaire, provocatrice, rebelle et séductrice.

Le Lefèvre de Adam Diegel est remarquable. D'emblée son émission puissante, riche et aisée, sa clarté d'émission dans tous les registres, le désignent comme un grand ténor, avec  une conduite exemplaire de la ligne vocale. Neipperg est bien campé par Pablo Karaman, au beau timbre de ténor. Mais sa voix doit encore gagner en ampleur pour convaincre pleinement. Le Napoléon de Franck Ferrari n'est pas assez crédible : l'autorité vocale, la puissance font défaut. L'émission, forcée, paraît détimbrée. Fatigue ? Franco Pomponi a toute l'intelligence et la rouerie de Fouché. Le trio de femmes, qui ouvre le premier acte, et celui des hommes, qui en est le pendant au deuxième, sont fort bien servis.

width="450"Opéra Berlioz / Le Corum.. Photographie © Luc Jennepin.

La version de concert, si elle offre l'opportunité de présenter des ouvrages rares, n'est pas sans contreparties. Le déséquilibre entre la puissance orchestrale et chorale peut être redoutable. A-t-on oublié que la fosse traditionnelle étouffe et harmonise l'orchestre ? Et que plus de soixante choristes chevronnés et engagés, placés en fond de plateau, produisent davantage de décibels que les mêmes en situation, dans une mise en scène ? Inversement, les solistes plantés derrière leurs pupitres amoindrissent sensiblement leurs qualités, particulièrement quand la lecture, tête inclinée vers la partition, s'avère indispensable ? Ce qui fut rarement le cas. Et il faut saluer ainsi le trio d'hommes qui ouvre le second acte : chacun vivait pleinement son rôle, parfaitement mémorisé, et la qualité d'émission atteignait la perfection (Michal Partyka, Florian Sempey et Matteo Mezzaro).

Opéra Berlioz / Le Corum.. Photographie © Luc Jennepin.Opéra Berlioz / Le Corum.. Photographie © Luc Jennepi.

L'Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon, galvanisé par Mario Zambelli, ancien assistant de Gardiner, donne le meilleur de lui-même. Les chœurs de l'Opéra de Montpellier sont jumelés à ceux de la Radio Lettone, et l'ensemble chante avec précision et engagement.

Eusebius
20 juillet 2013


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