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3 novembre 2009 —— Jean-Marc Warszawski.

Les Musiciens francs-maçons au temps de Louis XVI

 

Pinaud Pierre-François, Les Musiciens francs-maçons au temps de Louis XVI (De Paris à Versailles : histoire et dictionnaire biographique). « L'Univers maçonnique », Éditions Véga, Paris 2009 [347 p. ; ISBN 978-2-85829-526-5 ; 20 €].

 

Avec un sujet serré – les musiciens francs-maçons, et une étroite limite temporelle – le règne de Louis XVI, ce livre, contre toute attente, n'est pas un exercice d'érudition marginale sur un épiphénomène.

À partir de cet objet d'étude assez singulier, Pierre-François Pinaud met en mouvement toute la sociabilité musicale du moment, au moins entre Paris et Versailles, ce qui n'est pas rien.

Contrairement à la province, les musiciens de la capitale et du siège royal, semblent s'être massivement ralliés à la franc-maçonnerie, y ont pris un certain pouvoir, et s'y sont organisés, anticipant sur la solidarité syndicale.

S'ils n'en sont pas le centre de la vie musical, les frères musiciens, pas des moindres, en sont-ils, au moins, au centre.

On évoque l'inertie d'une cour versaillaise empâtée dans ses traditions, et d'un Paris dynamique en effervescence, où la vie de salon est au centre de la création musicale. Un décalage avec la province, où les musiciens sont tenus à l'écart de la bonne société.

On s'attache — l'auteur est un historien spécialiste des finances publiques, à mettre en lumière les sources de financement, pour la création, et donc pour les musiciens, ce qui est essentiel, et pourtant rarement traité. En tout cas, cela ne fait pas partie du questionnaire courant des biographies des musiciens.

Toujours à la recherche de la vie réelle qui fut celle des musiciens, on lit encore avec intérêt ce que furent les dynasties de musiciens, leur alliances et relations familiales, et encore, ce que fut la présence des musiciens étrangers en France, et inversement, les musiciens français à l'étranger, tout en relativisant le goût cosmopolite des Lumières au regard de la réalité.

Livre d'histoire et dictionnaire, l'auteur a eu l'heureuse méthode, de séparer les deux, en présentant en quelque sorte, une première partie « rédigée », et une seconde partie documentaire, le dictionnaire, où sont présentés les notices sur les 342 musiciens recensés.

Cette manière de faire n'est pas anodine, elle s'inscrit dans l'effort historiographique de l'École des Annales, et de la célèbre 4e section de l'École Pratique des Hautes Études, menacé par la culture wikipédienne, elle-même portée par un retour en puissance du positivisme formel.

Nous nous retrouvons en Kant, quand ce dernier, dans son « Anthropologie du point de vue pragmatique » écrit qu'il y a

« [...] les géants de l'érudition, qui en sont aussi les cyclopes, car il leur manque un œil : celui de la vraie philosophie qui permet à la raison d'utiliser opportunément cette masse de savoir historique qui pourrait charger cent chameaux. »1

Une suite est annoncée, pour ce qui concerne la période de l'empire. Espérons que là aussi, la franc-maçonnerie des musiciens soit un échantillon représentatif et pertinent de la vie musicale en général.

Jean-Marc Warszawski
3 novembre 2009

_______

1. Kant Emmanuel (1724-1804), Anthropologie du point de vue pragmatique (traduit de l'allemand par Michel Foucault). « Bibliothèque des textes philosophiques », Vrin, Paris 1964, p. 90.

La musique est essentielle en franc-maçonnerie. Elle seule peut suggérer l'inexprimable, rendre intelligible le symbolisme, enrichir la perception du sacré. Elle est la représentation de ce qui est transfiguration ou transcendance. Elle signifie la mesure ou la tempérance qui régissent le comportement de l'initié. Elle exalte les valeurs fondamentales de la fraternité.

Aussi les loges se sont-elles très tôt dotées d'une colonne d'harmonie, un orchestre de frères pour accompagner et compléter le rituel. Composée d'instruments à vent, cette formation s'enrichira plus tard d'un piano qui parfois la remplacera. À chaque instrument — clarinette, hautbois, cor de basset, basson, violoncelle, etc. — son rôle précis lors des différentes cérémonies.

Au temps de Louis XVI, la période étudiée par Pierre-François Pinaud, les musiciens francs-maçons, au nombre de 342, déployaient également leurs talents en ville, dans des salons privés où se produisaient des orchestres soutenus par des mécènes, ducs ou fermiers généraux, eux-mêmes initiés, ou encore dans des sociétés de concert où venaient la Reine et parfois le Roi.

Quelles œuvres jouait-on et qui les jouait ? Côté compositeurs, une grande variété, et pas seulement les frères Mozart, Haydn ou Rameau. Les exécutants étaient des frères professeurs ou maîtres de musique, souvent propriétaires de leur charge. Pierre-François Pinaud dresse la liste précise des uns et des autres, avec les indications biographiques et géographiques nécessaires, ainsi que le nom de leur (s) loge (s) d'appartenance.

Des détails vont surprendre : ainsi, le château de Versailles abritait plusieurs loges actives en matière de musique. Des loges initièrent des castrats comme Josephini ou Crescentini, qui bénéficiaient d'un respect inimaginable ailleurs. Des noms familiers surgissent au fil de l'étude et du dictionnaire qui la complète : Gossec, grand maître de la symphonie concertante, Yost, père de l'École française de clarinette, Saint-George, un Antillais qualifié de Mozart français, Giroust, auteur de la messe du sacre de Louis XVI, Devienne... Tous étaient francs-maçons et ne s'en cachaient pas.


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