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Petite introduction au monde des troubadours (XIIe– XIIIe siècles), à l'aube de la litterature moderne…

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Par Gérard Zuchetto ——

À l'aube du XIIe siècle, en Limousin et dans les autres régions de l'actuelle Occitanie, naît une littérature moderne qui va influencer l'Europe entière. Les troubadours chantent l'amour, joie et jeunesse, dans une savante alchimie des mots et des sons. Grands seigneurs ou simples roturiers, ces poètes-musiciens, vont animer plus de deux cents ans de vie intellectuelle avec savoir et connaissance (saber e coneissensa). Génie, humour, amour, chants et courtoisie embellissent leur art. Avec leurs noms et leurs biographies, dont le contenu repose sur de multiples légendes ( vidas et razos), ce sont avant tout les chansons qu'il faut retenir et qui s'imposent à nous dans un style sûr et inaltérable.

Dans la poésie des troubadours la parole est d'or. Celle des cansos est ouvrée et forgée de mots de valeur. Pendant deux siècles, ces artistes de la parole libre s'inventent une esthétique nouvelle, l' art de trobar. Pour comprendre et ressentir cet univers, délibérément exposé en plana lenga romana, en occitan, il faudra lire entre les lignes et cheminer dans l'enchevêtrement métrique et mélodique des chants. Cet entrebescamen est autant artistique qu'amoureux. Trouver pour aimer, aimer pour trouver, créer, inventer et se dépasser. La domna, la dame, est placée au centre de la création lyrique.

Les cours occitanes, espagnoles, italiennes… les personnages politiques influents, accueillent ces poètes, musiciens et chanteurs, avec un intérêt certain. Quand les grands de ce monde participent au débat poétique, les troubadours se mêlent au débat politique. Dans ce contexte de convivialité et parage, convivencia e paratge, naît et s'épanouit le trobar, aujourd'hui considéré, à juste titre, comme le berceau des littératures actuelles.

Entre verité et mensonge…

Trobadors, ils trouvent mots et musique. Joglars, ils jonglent avec les chansons. Chantadors, ils les chantent.

Dans la langue d'oc, trobar signifie «trouver». Trobaire ou trobador désignent le «trouveur». Tropare, en latin, signifie faire des tropes (syllabes correspondant à une mélodie de l'Alleluia); tropos, en grec, indique plutôt «la manière d'être» .

Le «trouveur» est à la fois créateur, compositeur, jongleur et chanteur de poésie et musique: le trobar. Moine, seigneur ou roturier, professionnel ou amateur, il est trobador par talent ou par métier, connaisseur de belles lettres et inventeur de poésie, chercheur, sculpteur ou peintre des mots. Il défend son art en public, devant les confrères, les initiés et les dames, et il tend à se dépasser et à s'élever. Cercamon, l'un des premiers, emploie le terme en l'associant à une notion de trouble-fête dans les relations amoureuses entre mari, épouse et amant :

Car les chansons des poètes courtois sont de véritables discours qui dérangent parce qu'ils posent aux amants des questions de morale amoureuse en prônant des comportements nouveaux.

A la cour de son protecteur, le trobaire jouit d'un certain statut. Fût-il le serviteur d'un grand roi, le poète ne saurait accepter d'être dérangé de son art par le roi lui-même, ainsi que l'écrit Cerverí de Girona :

Le trobar est un art élaboré, une composition musicale et poétique recherchée qui s'exprime dans le chantar. C'est une maestria qui tient de la subtile alchimie d'enchevêtrer mots et mélodies, entrebescar motz e sos, sur un bon thème, une bonne razo. Cette maestria est ainsi louée par les auteurs eux-mêmes :

Bernart Marti

De far sos novels e fres
so es bela maestria
e qui bels motz lass'e lia
de bel'art s'es entremes.

Faire des mélodies nouvelles et fraîches
c'est une belle maîtrise
et celui qui sait lacer et lier de belles paroles
s'occupe d'un bel art. 

Arnaut Daniel:

« Sur cet air gracieux et léger, je fais des paroles et je les rabote et les dole, et elles seront exactes et sûres quand j'y aurai passé la lime… »

Peire Vidal:

« Je sais si aisément ajuster et lacer mots et mélodies, qu'en fait de riche et noble trobar, personne ne m'arrive au talon… »

Cerverí de Girona:

« C'est en dormant que j'ai commencé ce chant, aussi il n'est pas écrit avec des mots neufs ou complexes et je n'ai corrigé ni la mélodie ni les expressions. »

L'invention commence bien avant l'écriture qui fixera, par la main d'un clerc, la canso de manière définitive avec une recherche calligraphique soignée: «Bon est le vers, et aussi le chanteur! et il méritera un bon auditeur! Par Dieu, joli clerc, tu dois me le mettre en écriture!» , s'exclame Arnaut de Titinhac. Le troubadour est si fier de sa composition que sa mise en écriture lui semble indispensable.

Le rythme de création de chansons devait varier d'un auteur à l'autre sans atteindre une production importante. Pour Bernart Marti :

E si fatz vers tota via
en l'an un o dos o tres. 

Je fais sans cesse des vers (chansons)
dans l'année, un, deux ou trois.

Plaire aux dames et les conquérir avec des mots: c'est dans ce but, plus ou moins avoué que le poète s'emploie à inventer les vers de la séduction avec les sous-entendus les plus imagés. Séduire, aimer et « trouver », tout semble écrit pour qui sait lire entre les lignes et comprendre entre les mots. Ainsi chante Bernart Marti pour Na Dezirada :

Qu'aissi vauc entrebescan
los motz e-l so afinan
lengu'entrebescada
es en la baizada. 

Ainsi je vais enchevêtrant
les mots et affinant les mélodies
comme la langue est enlacée
dans le baiser.

Le secret du pouvoir des mots, Raimbaut d'Orange le dévoile aux amoureux : « Aussi j'enseignerai à aimer aux autres bons amoureux ; et s'ils en croient mon enseignement, je leur ferai faire rapidement toutes les conquêtes qu'ils voudront. »

La domna est l'inspiratrice et le cœur battant du trobar, mais si le poète semble jouer l'homme lige et se soumettre à ses désirs, l'artiste recherche la perfection

Non volh voler volatge
que-m volv e-m vir mas volontatz
mas lai on mos vols es volatz…

Je ne veux pas une volonté volage
qui puisse incliner et détourner mes vils désirs
sauf celle vers qui mes désirs se sont envolés

chante Peire Cardenal, qui joue l'amour au jeu de mots.

«Accueillez jongleurs et poètes qui bavardent sur amour et chantent vers et mélodies. Au moins montrez-leur bon visage car même si vous ne leur donnez rien ils feront connaître votre nom au loin… », dit Garin lo Brun, dans son ensenhamen.

Les joglarsont le rôle d'interprètes. Ils apprennent de mémoire paroles et musique mais ils ont recours également aux bouts de parchemin, de breu de pergamin,  et vont dans les cours porter, par leur voix, les poèmes inventés par les troubadours.

Les joglars (du bas latin jocularis, dérivé de jocus : jeu) sont danseurs, bateleurs, montreurs d'animaux, cracheurs de feu… Ceux qui côtoient les trobaires, sont plutôt musiciens, interprètes et mélodistes eux-mêmes. De basse condition dans la société nobiliaire, le joglar a la double ambition de se faire connaître et reconnaître, à la fois par ses confrères poètes et par la noblesse des cours où il chante. Aux XI ème et XII ème siècles, les noms de joglar et trobaire désignent le même chanteur et « trouveur» .

Gaucelm Faidit se fait joglar après un mauvais coup du sort au jeu et part sur les routes chercher fortune avec ses chansons. Guilhem Magret, le jongleur du Viennois, partage sa vie entre le jeu de dés dans les tavernes et l'art de la poésie dans les cours. Papiol, reste au service du même seigneur et troubadour renommé, Bertran de Born. Raimbaut d'Aurenga revendique ce statut de musicien marginal lettré et s'enorgueillit du nom joglaresc de Linhaure.

Il semble que tout homme, qu'il soit de basse extrace ou de haut lignage, qu'il soit doué ou non pour le chant et les instruments, peut devenir joglar et «chanter», pour peu qu'il sache les «belles lettres », qu'on lui donne des chansons ou qu'on les lui mette en écriture.

Les biographies liées aux troubadours témoignent de divers degrés dans cet art. Celui qui «compose», qu'il soit enseigné par l'intermédiaire d'une école, d'un maître ou en fréquentant une cour en vogue, n'en sera que plus respecté pour l'originalité de son trobar. S'il n'est pas un prince, il recevra présents et chevaux de son protectorat et deviendra peut-être un célèbre troubadour et fréquentera les cours royales à l'exemple de Peire Vidal.

Si, dans la première époque de la poésie courtoise, le problème de corporation ne se pose pas, troubadours et jongleurs partageant le même statut, il n'en va pas de même par la suite où l'on trouve des poètes pour reléguer les joglars en dernière classe. Au XIII ème siècle, Aimeric de Pegulhan et Gausbert de Poicibot, tous deux anciens jongleurs devenus célèbres par la grâce de protecteurs, traitent leurs confrères et concurrents avec condescendance et grossièreté. Guiraut Riquier, avec un peu plus de tact, revendiquera un statut particulier de don doctor de trobar pour les troubadours qui ne doivent surtout pas être assimilés à des jongleurs. Quant au troubadour catalan, Raimon Vidal de Besalú, il écrit dans son ensenhamen de joglar, une argumentation morale qui doit être à la base de joglar. Mais, qui faisait encore la différence entre joglar et trobar à la fin du XIII ème siècle, alors que la poésie courtoise était en pleine décadence et que les doctors de proensa, comme les nommaient Cerverí de Girona, n'intéressaient plus grand monde?

Trobar, c'est également chantar et violar. C'est faire preuve de qualités vocales – savoir filer des sons hauts et bas, bien exprimer une mélodie – et de virtuosité instrumentale à la manière de Perdigon ou de Pons de Capdolh. Mais si l'instrumentiste occupe une place de choix dans le métier de jongleur, l'art suprême c'est chantar. Chantar signifie à la fois trouver  et interpréter, et désigne peut-être la capacité à savoir improviser spontanément en public des couplets rimés sur des thèmes originaux.

Les poèmes sont écrits pour être à la fois entendus et compris, et la voix joue le premier rôle.  E saup ben trobar e cantar…, lit-on dans la très courte vida de Guilhem de Peiteus. L'art de «trouver»  est associé à celui de chanter. C'est une constante dans les biographies, le chant porte la poésie de son auteur. Quand Gui d'Ussel doit abandonner son métier sur ordre du légat du pape : Adoncs lasset lo chantar e-l trobar, il doit se censurer : ne plus chanter ni écrire !

Giraut de Bornelh, maestre dels trobadors, chante le plaisir de trobar e chantar : E m'acompanh ab chantadors / e m'a dat solatz en trobar, «et je vais (je suis) accompagné de chanteurs et ça me donne du plaisir en trobar» .

Peire Vidal représente l'exemple parfait du troubadour accompli, en pleine possession de son métier d'artiste : E cantava melhs qu'ome del mon. E plus leu li avenia trobars que a nul ome del mon e fo aquels que plus rics sons fetz… «Il chantait mieux que personne au monde.Il trouvait plus facilement qu'aucun autre et c'est lui qui composa les plus belles mélodies.»

Un poème peut être écrit et composé avec motz e sons subtils, mais ne pas valoir grand chose s'il n'est pas bien chanté. Au contraire, le chanteur-acteur sait faire oublier la médiocrité ou la complexité d'un texte par le talent de son interprétaion, ainsi que l'exprime Raimon Vidal de Besalú (…1200-1252…) dans son traité de poétique et de grammaire, Razos de trobar  : « Les auditeurs qui ne comprennent rien, quand ils écoutent un bon chant, feront semblant de bien le comprendre, alors qu'ils n'y comprendront rien… » Mais dans la société courtoise le public est bien élevé : Quant auziran un malvais trobador, per ensenhamen li lauzaran son chantar… «Quand ils écouteront un mauvais troubadour, par éducation ils loueront son chant…», témoigne Raimon, qui précise aussi dans son livre :

Per so car eu Raimons Vidals, ai vist e conegut que pauc d'omes sabon ni an saubuda la drecha maniera de trobar, volh eu far aquest libre per far coneisser e saber quals dels trobadors an melhs trobat et melhs ensenhat, ad aquels que-l volran aprenre com devon segre la drecha maniera de trobar. […] Totas gens cristianas, juzeuvas e sarazinas, emperador, princeps, rei, duc, comte, vescomte, comtor, valvassor, clergue, borgues, vilans, paucs et grans, meton totz jorns lor entendimen en trobar et en chantar, o qu'en volon trobar o qu'en volon entendre o qu'en volon dire qu'en volon auzir. […] Et tot li mal e-l ben del mon son mes en remembransa per trobadors. Et ja non trobares mot (ben) ni mal dig, poi[s] trobaires l'a mes en rima, que tot jorns [non sia] en remembransa, car trobars et chantars son movemens de totas galhardias.

Parce que moi, Raimon Vidal, j'ai vu et connu que peu d'hommes savent et ont su la droite (vraie) manière de trouver , et moi je veux faire ce livre pour faire connaître et savoir lesquels parmi les troubadours ont mieux  trouvé  et mieux enseigné, et pour ceux qui voudront apprendre comment on doit suivre la bonne façon de trouver . […] Tout le monde, chrétiens, juifs et Sarrasins, empereurs, princes, rois, ducs, comtes, vicomtes, contors, vavasseurs, clercs, bourgeois, vilains, petits et grands, mettent toujours leur entendement en «trouver et «chanter, soit qu'ils veuillent trouver, qu'ils veuillent comprendre, ou s'exprimer ou écouter. […] Et tout le mal et le bien du monde sont mis en notre mémoire par les troubadours. Et vous ne trouverez pas un bon mot ni une belle parole qu'un troubadour n'ait mis en rime, que jamais on ne l'oublie, car «trouver et chanter sont mouvements de toutes gaillardises. [Audace et pétulance!]

Chanter les cansos des troubadours…

Interpréter les troubadours pose à tout chanteur d'aujourd'hui les incontournables questions de re-création et de création: Chanter? Réciter? Dire ? Jouer ? Improviser ? Avec ou sans instruments? Quels instruments jouer et comment ?… sont parmi les interrogations pressantes qui interpellent les passionnés du répertoire troubadouresque. A ces questions s'ajoutent, en dehors du parti-pris artistique, celles de la fiabilité des sources manuscrites et d'une «authenticité» qui reste à inventer.

Au-delà du fait que la démarche artistique de chacun ne saurait être remise en question par quelques conseils, ou ensenhamens, que se soit (chanter les troubadours à voix nue ne nous paraît pas plus «authentique» que de les chanter accompagné d'un rebec, voire de les interpréter avec un piano, tant l'expression mélodique actuelle se trouve piégée par des siècles de culture musicale de l'harmonie), il nous paraît tout de même indispensable de comprendre l'iconographie et les textes médiévaux dans tous leurs aspects visibles et dans le sens des mots, pour essayer de se faire une idée nouvelle de l'œuvre et de son auteur et de porter en avant la personnalité artistique du troubadour.

L'interprétation des troubadours peut s'appuyer sur quelques investigations, la «pénétration de l'essence des idées» ainsi que l'évoquait Chostakovitch. La compréhension de la razo du poème, avec ses motz coberts, peut déterminer l'orientation d'une interprétation du sens dramatique du texte. La prise en compte du compas (mélodie et structure métrique du poème) ainsi que des ornementations mélismatiques d'une mélodie, peuvent permettre de guider rythme et respiration de l'expression vocale au plus juste des sonorités des mots. L'analyse de l' entrebescamen du poème (paroles et musique enchevêtrées, répétitions de phonèmes et des rimes) peut guider la souplesse et l'amplitude du chant. Les représentations des poètes (miniatures et textes enluminés) sont autant d'indications de la gestuelle et du mouvement. La connaissance du contexte historique et légendaire du poète, à travers les portraits esquissés dans les vidas et les razos, va contribuer de la façon la plus active à donner un caractère subjectif à notre interprétation et influencer ainsi notre propre «création».

Durant deux siècles, chaque génération a défendu le principe de «trouver» et d'œuvrer des chansons nouvelles avec des «mélodies» nouvelles, c'est à dire originales, et mis en avant la technique de chanter, écrire, inventer : maestria et nouveauté du trobar. Les poètes ont affirmé des courants d'idée et des choix esthétiques. Trobar e chantar sont les maîtres-mots qui devraient définir pour nous l'art et la manière d'interpréter les œuvres. Cet élan de fraîcheur, contenu dans chaque acte d'écrire, devrait éveiller chez nous curiosité et sensibilité. Nous ne pouvons rester impassibles devant ces grands chants qui nous interpellent dans chaque vers. Les interpréter avec la «voix blanche» de celui qui ne s'impliquerait pas dans le texte nous paraît être un non-sens. Le discret Bernart de Ventadorn  recommandait à son jongleur Huguet: Mos cortes messatges, chantatz ma chanso volontiers ! «Mon courtois messager, chantez ma chanson volontiers !» C'est à dire : aisément, avec plaisir, de bon cœur, volontairement, comme il vous plaît ! Le sens de cette demande de Bernart ne peut nous échapper. C'est le caractère volontaire et déterminé d'une interprétation s'appuyant sur le sens du texte, et sur son contexte, qui devrait primer, avec la sonorité des mots, la souplesse de l'expression et la construction mélodique.

Dans Abrils issi'e mais intrava…  Raimon Vidal de Besalú recommande :

Senher eu sui us om aclis
a joglaria de contar
( cantar ?)
e sai romans dir e comtar
e novas motas e salutz
e autres comtes espandutz
vas totas partz azauts e bos
E d'En Guiraut vers e chansos
e d'En Arnaut de Marolh mais
e d'autres vers e d'autres lais…

Seigneur, moi, je suis quelqu'un spécialisé
en joglar, dans le conte (et/ou chant)
et romans ( romans, langue d'oc), je sais dire et conter
de nombreuses nouvelles et des saluts
et autres contes répandus
partout et de toutes les façons sûrement et bien
et de sire Guiraut je sais vers et chansons
et du sire Arnaut de Marolh davantage
et d'autres vers et d'autres lais…

… et plus loin:

Joglaria vol ome gai
e franc e dos e conoissen
e que sapcha far a la gen
segon que cascus es plazer
mas er venon freg en saber
us malvatz fol desconoissen
que-s cujan far ses autrui sen
ab sol lur pec saber doptar

Jonglerie exige un homme gai
franc, doux et connaisseur
et sachant faire plaisir aux autres
suivant le plaisir de chacun
mais maintenant ils restent froids au savoir
et mauvais, idiots et ignorants
ceux qui pensent faire sans les conseils d'autrui
et avec leur seul minable savoir, sans douter.

Allons à la source! Pour reprendre l'image de Giraut de Bornelh qui pouvait «composer» (aussi!) pour les porteuses d'eau. Se désaltérer et se rafraîchir, jouir et se délecter des mots et des sons, nous semble finalement la meilleure des façons de chanter le répertoire des troubadours.

Quelques indications…

Dès les premiers chants courtois nous sont posées les questions d'interprétation des troubadours: comment chanter, dire ou réciter les poèmes lyriques? Quelquefois les auteurs eux-mêmes ou les chroniqueurs de l'époque nous donnent des élements de réflexion: Orderic Vital, historiographe, contemporain de Guilhem rapporte que ce dernier  … rythmicis versibus cum facetis modulationibus.

Pour le jeune seigneur d'Aumelas et d'Orange, Raimbaut  dont nous connaissons quarante poèmes dont un seul est pourvu d'une mélodie. C'est dans les mots qu'il faut chercher sa musique tant la palette sonore de la langue de ses poèmes est engageante. L'emploi de phonèmes sifflant, roulant, craquant, chuintant, créent souvent une atmosphère musicale rien qu'à leur lecture à voix haute. Ces sons étranges évoquent les cris d'animaux, le bruissement des feuillages, le vent, l'envol des oiseaux… Les chansons de Raimbaut d'Aurenga peuvent inspirer une interprétation basée sur une expression vocale des plus colorées et l'emploi de tous les artifices de bouche qui devaient constituer au Moyen Age l'apanage des jongleurs : la scansion des mots, l'accentuation du rythme des vers, la recherche d'effets de prononciation, la pulsation, le martèlement de groupes de mots…

L'œuvre de Raimbaut d'Aurenga est difficile à comprendre, et maintes formules enigmatiques renvoient l'interprète devant sa propre expérience:

Mos vers an qu'aissi l'enverse
que no-l tenon bosc ni tertre
lai on om non sen conglapi
ni a fregz poder que-i trenque
a midons lo chant e-l siscle
clar qu'el cor li-n intro-l giscle
cel que sap gen chantar ab joi
que no-s tanh a chantador croi.

Chez Raimbaut de Vaqueiras, dont nous connaissons trente-trois poèmes, dont sept sont d'attribution probable, et la  carta. Sept chansons sont notées avec les mélodies. La musique de Raimbaut est imprégnée d'un enthousiasme joglaresc. Et  Calenda maia semble bien se prêter à l'interprétation expressive et rythmée : c'est une estampie. Ce genre instrumental destiné à la danse, serait d'origine celtique, ( estampida provient de l'allemand stampfen (ét. stampjan) « frapper le sol avec le pied pour marquer le rythme » ).

Le troubadour de Toulouse, Peire Raimon de Tolosa, attentif à la diffusion de ses chansons donne ici un conseil sur l'interprétation de l'une d'elles, à la demande du public :

Et ab ma chanso
enans qu'alhor an
m'en vau lai de cors
on jois e pretz renha
e volh que l'aprenha
cobletas violan
e pois en chantan
de qual guiza om la-i deman.

Et avec ma chanson
avant que j'aille ailleurs
je m'en vais sur-le-champ là-bas
où joie et mérite règnent
et je veux qu'il [le roi Alfons d'Aragon] l'apprenne
en jouant les petits couplets avec sa vièle
et puis en chantant
de quelque manière qu'on la lui demande. 

Ailleurs, le poète s'intéresse à la manière dont sa chanson sera interprétée. Son vers maintenant terminé, il recommande au jongleur de le rendre plus subtil et de l'affiner : Lo vers s'a oimais fenida, qu'En Gintartz d'Anton l'afina !

Les troubadours aux sources manuscrites

Les sources manuscrites et leur classification

Bibliographie pour la découverte de la musique des troubadours

© Gérard Zuchetto
(Editions de Paris « terre des troubadours »
et « le livre d'or des troubadours » 1996 et 1998)


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Jeudi 15 Février, 2024