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Jean-Marc Warszawski, 20 novembre 2006.

Lucien Durosoir : Musique pour violon & piano

Lucien durosoir, musique pour violon et piano, alpha 105

Lucien Durosoir, Musique pour violon et piano, Geneviève Laurenceau (violon), Lorène de Ratuld (piano), Collection « Ut Pictura Musica », Alpha 105.

Ce disque constitue un premier enregistrement des œuvres pour violon et piano de Lucien Durosoir (1878-1955). C'est une musique virtuose, qui rappelle que Lucien Durosoir a été entre 1900 et 1914 un important violoniste soliste, mais qui dit aussi, qu'il est devenu après le premier conflit mondial, un compositeur maîtrisant parfaitement l'écriture musicale. Il est ce qu'on appelle chez les musiciens « un compositeur qui entend ».

Sa musique est extrêmement expressive, variée et contrastée dans ses effets, tour à tour fougueuse, plaintive, cajoleuse, âpre.

Riche en idées et rebondissements, n'allant pas toujours où on l'attend, on n'aboutissant pas toujours à ce qu'elle annonce, tant pour ce qui concerne l'harmonie qui trompe souvent le caractère tonal annoncé, ou pour les traits qui prennent parfois des tournants inattendus (de l'humour ?)

C'est une musique qui tient en éveil, interpelle, qui soutient l'attention.

Elle est chaleureuse, peut-être le réflexe du virtuose dictant au compositeur, la dramatisation, la multiplication, la diversification, et l'accentuation des effets, pour toucher le public.

Mais peut-être aussi une certaine retenue du sentiment, le renoncement au bavardage inutile afin d'aller à l'essentiel. C'est une musique dense et sans délayage, mais élégante.

La musique est servie par une belle interprétation, claire dans les articulations et dans le rendu sonore, qui tient certainement plus aux qualités des interprètes et des partitions,  qu'au Stradivarius 2202 et Steinway 1982 (c'est agaçant, ce  correctement bande-annonce).

La prise de son est soignée, dans l'acoustique réputée de La Chaux-de-Fonds.

L'édition est agrémentée par un très beau graphisme (apocalyptique) de Félix Valloton inspiré par sa vision de la dévastation de Verdun en 1917, et une excellente présentation de Georgie Durosoir, une grande Dame de la musicologie.

Certes, la musique de Lucien Durosoir est singulière. On ne peut l'identifier à un courant ou à une école. Pourtant, on peut en dire ici ce que Vladimlir Jankélévitch dit de la musique Fauré.

Elle a cette distinction, ce charme,  que l'on sait inimitable, qu'on ne peut imiter sans être grossier, que le barbare ne peut s'approprier sans être ridicule, « cette  mystérieuse propriété à laquelle nous attribuons notre propre  conversion à la paix ». C'est  une musique, toujours pour citer Jankélévitch, qui apaise le tumulte  passionnel, mais qui est elle-même passionnée. Elle peut être austère,  déroutante, chercher à déplaire : elle n'est pas que suavité. Mais, par  son charme secret, elle contribue à effacer la grimace de la haine.

Nous, écrit Jankélévitch, à propos du génocide nazi, qui ne sommes pas morts comme les morts, mais morts comme ses vivants, c'est à dire laids, nauséabonds et cadavériques, cette musique nous délivre du souci, elle délivre l'homme méchant de sa colère, c'est la possibilité du pardon.

Le souci, le drame de Lucien Durosoir, la cassure définitive, est d'avoir  combattu au plus dur du front pendant la Première Guerre mondiale.

La joie, la délivrance que disent ses dernières lettres depuis les tranchées, quelques heures avant l'armistice annoncé,  n'a certainement pas effacé un sentiment d'immense injustice et de l'inutilité  du désastre. Les médailles, les citations, la vénération de l'héroïsme  des poilus, n'étaient pas de nature à réparer l'irréversible affront fait à  ces hommes transformés en chair à canon, par ceux-là mêmes qui s'arrogèrent les tout premiers honneurs de la victoire. Comment aurait-il pu travailler sereinement, comme si rien ne s'était passé, avec ceux, qui, planqués à l'arrière avaient, comme il l'écrivait, continué à travailler leur instrument, et occupé les meilleures places ? Et pour qui ?

Il y a donc peut-être dans cette musique l'urgence dont parle Jankélévitch, celle de se faire paix, celle d'ouvrir la possibilité du pardon, qui dit la douleur, la colère, qui se bat, sans jamais céder à l'appel de la échéance, sans jamais accepter la déshumanisation et l'outrance.

Il est peut être dommage que la présentation du disque semble mettre l'épouvantable expérience en avant du musical. Mais c'est certainement essentiel.

Un choix de lettres que Lucien durosoir a écrites depuis les tranchées a été publié :

MARÉCHAL MAURICE & DUROSOIR LUCIEN, Deux musiciens dans la Grande Guerre (présentation par Luc Dorosoir ; préface par Jean-Pierre Guéno). Tallandier, Paris 2005

Lorène de Ratuld Geneviève Laurenceau.

Les œuvres enregistrées

Jean-Marc Warszawski
20 novembre 2006.


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