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Jean-Claude Wolff interrogé par Jean-Marc Warszawski, Paris, 23 octobre 2013.

Création d'Exil d'enfance, pour piano : entretien avec Jean-Claude Wolff, compositeur

Jean-Claude WolffJean-Claude Wolff, place de la Nation à Paris, 23 octobre 2013. Photographie © musicologie.org.

Ambiance

À l'âge de 18 ans, Jean-Claude Wolff décide qu'il sera compositeur. Il étudie à l'École normale de musique puis au Conservatoire national supérieur de Paris. Ses maîtres sont Henri Dutilleux, Jean-Pierre Guézec, Ivo Malec.

Il obtient son Prix de composition au Conservatoire en 1974, est pensionnaire de la Villa Médicis de Rome quatre ans plus tard, boursier du gouvernement français de 1983 à 1984, lauréat de plusieurs concours dont celui des Jeunesses musicales internationales de Belgrade, du concours Giovanni Battisa Viotti de Vercelli, du Vienna Moderna Masters de Vienne, a été invité dans plusieurs résidences. Cinq cédés sont consacrés à ses œuvres parmi un catalogue d'environ soixante-cinq numéros.

Le 5 novembre prochain, Gilles Nicolas créera Exil d'enfance — pour piano (en 13 mouvements), Salle Cortot.

Nous nous retrouvons place de la Nation à Paris. Je commande un (premier) verre de Bordeaux — excellent, pour lui ce sera une Blanche dont il ne dit rien (mais il en reprend une).

Jean-Marc Warszawski : Votrre œuvre est annoncée en treize mouvements. Ce chiffre a-t-il une signification particulière pour vous ? Pourquoi pas douze ou quatorze ?

Jean-Claude Wolff : C'est Gilles Nicolas qui a en a eu l'idée. Il a peut-être été plus frappé que moi, car il voyait sur la partition des doubles barres. En réalité ce ne sont que des petites parties allant de quarante secondes à cinq minutes et qui s'enchaînent. On ne peut pas parler de mouvements comme dans les autres pièces du programme avec la Partita de Bach ou la sonate de Beethoven. Ce sont plutôt des épisodes ou des séquences qui ne sont pas séparés par des silences. Il y a une introduction, six séquences relativement développées, avec une certaine virtuosité sonore et digitale, six séquences plus brèves un peu aphoristiques à la Webern et une coda assez développée qui finit triomphante.

JMW : Mais « treize » ? :

JCW : Il y a peut-être quelque chose d'inconscient de ma part qui tourne autour du chiffre douze si parfait et tellement utilisé par les musiciens. J'ai composé onze préludes pour piano, et là ce sont treize parties, même si on ne les entend pas vraiment, elles y sont.... Il y a quand même une raison extra musicale qui n'a rien à voir avec le fétichisme des chiffres et qui est liée à mon jeune fils : sa naissance et les douze mois qui suivent jusqu'à son premier anniversaire, mais cela est totalement anecdotique et n'apporte rien à la compréhension musicale de l'œuvre.

Jean-Claude WolffJean-Claude Wolff, place de la Nation à Paris, 23 octobre 2013. Photographie © musicologie.org.

JMW : Et Exil d'enfance ?

JCW :  Ce thème de l'exil m'attire, j'y ai consacré plusieurs œuvres, Fragment d'exil [2010, pour violoncelle et piano] Exils élégiaques [2011, pour voix de femmes], Murmures d'exil (2011, pour soprano et ondes Martenot], Exils en cordes [1975, pour alto principal,deux guitares, contrebasse]1. L'exil est un thème qui me fascine quelque peu. Au sens de l'arrachement, de la nostalgie, sans vouloir le rapporter à ce qui se passe aujourd'hui ou à l'actualité aussi douloureuse soit-elle, mais l'exil en général, tel qu'il a existé depuis l'Antiquité, et l'exil intérieur, qu'on peut connaître dans son être propre, quand quelque chose semble disparaître ou qu'on ne peut retrouver sa propre nature. C'est aussi un départ vers quelque chose d'autre qui n'est pas nécessairement sombre, qui peut être quelque chose de l'espérance.

Pour l'enfance, cette œuvre commence sur un thème assez simple, deux notes, mi et la, il y a ensuite une sorte d'exil et d'arrachement par rapport à la simplicité du début, vraie ou supposée, un peu comme dans les Scènes d'enfants de Schumann si vous voulez.

JMW : Gilles Nicolas vous a-t-il imposé des contraintes avec sa commande ?

JCW : Cela ne c'est pas passé ainsi. J'ai fait la rencontre de Gilles en mars dernier. Il jouait une de mes œuvres pour piano seul déjà créée et une autre pour piano et trompette. Nous avons sympathisé, humainement et musicalement, il a souhaité avoir une création en vue de concerts. Je lui ai proposé Exil d'enfance qui était déjà en cours de composition. Cela m'a seulement obligé d'achever la tâche dans les délais.

JMW : Le travail en commun vous a-t-il conduit à des retouches et repentis ?

JCW : Oui, Gille Nicolas a d'excellentes idées, sur beaucoup de choses et deux en particulier. D'abord les sonorités, c'est à dire qu'il peut trouver un accord trop chargé ou qu'il y a trop de pédale. C'est surtout sur la question du « trop », car les compositeurs ont tendance à en mettre trop pour le piano, pour compenser le son du piano qui ne tient pas dans la durée.

JMW : Vous avez la réputation d'être parfois difficile à jouer !

JCW : Là... Il ne s'est pas tellement plaint. Il y a deux passages vraiment difficiles. Un passage avec des accords à la main gauche et des traits extrêmement virtuoses à la main droite, et un autre, de simples secondes, qui posent un problème de doigté pour respecter l'indication legato. Mais cela n'est pas une question très importante. C'est sur la sonorité, sa façon de modifier la pédale... Il a également de bonnes idée à propos du tempo, ou de l'écoulement du temps, là le silence lui semble trop long, qu'il coupe le discours... Finalement, ici et là, il me surprend, parce que je ne le pensais pas comme cela. Finalement c'est le fruit de l'échange entre le compositeur et l'interprète.

Jean-Claude Wolff

JMW : Quelles étaient vos contraintes de départ ?

JCW : C'était « les treize », et d'en assurer à la fois la diversité et l'unité. C'est une œuvre de 25 minutes de piano seul. Cette unité est donnée par quelques éléments dont plusieurs sont à mon avis audibles, comme une ligne mélodique assez nue dans le médium. Elle n'a pas une signification affective particulière, même si je la ressens un petit peu mélancolique, mais en revenant dans le même registre, elle est un facteur d'unité de toute le partition. L'autre facteur d'unité est de passer du tonal au modal et à l'atonal sans heurt, et sans dogmatisme, en faisant en sorte que cela semble naturel. Pas pour en faire une synthèse qui serait certainement vaine, mais pour les besoins expressifs.

JMW : Cela est nouveau dans votre technique....

JCW : Depuis quelques années. Cela ne date pas de cette œuvre. Je continue à employer les clusters, des masses, des oppositions de masse, mais par rapport à ce que vous connaissez qui date déjà de plusieurs années, il y a plus de place donnée à la mélodie et au sentiment harmonique. Dans le cluster, vous avez un sentiment de masse, de registre, mais pas vraiment un sentiment harmonique et encore moins un sentiment d'enchainement harmonique. Ici, particulièrement dans la troisième séquence, ce sont des accords, qui n'ont pas vraiment les fonctions qu'on appelle tonales, mais on peut quand même parler de fonctions, qui n'existaient pas dans les clusters. J'ai élargi ma palette harmonique, par rapport à ce que vous avez pu entendre il y a dix ans, sans nostalgie pour un langage qui n' est plus entièrement le mien.

JMW : Pour faire écho à une récente polémique, à quoi sert-il de composer aujourd'hui des musiques du XIXe siècle ?

JCW : Je ne m'interdis rien J'essaie en toute honnêteté de sentir la meilleure expression que je peux donner et les moyens, la meilleure syntaxe pour y parvenir. Je ne cherche jamais à être original. Les polarisations ne sont qu'un aspect de la tonalité et les clusters et l'atonal ne sont pas seulement l'expression du laid, de l'angoisse ou du désespoir.

JMW : Comment voyez-vous l'avenir pour les compositeurs ?

JCW : Je vais vous dire que cela dépend des moments. Si cela est du point de vue social à court terme, je ne le vois pas très bon. Le nombre de commandes diminue, les subventions diminuent, les organisateurs deviennent assez frileux, c'est le plus grave. Ils veulent des compositeurs qui ne fassent pas peur au public. Ils peuvent alors avoir des choix qui vont toujours dans le même sens. Je suis assez pessimiste. S'il s'agit des compositeurs et de la musique, je n'ai pas de raison d'être particulièrement pessimiste, s'il y a des choses que je ne comprends pas très bien, il y a toujours des gens qui ont envie d'écrire, des tas de directions, des tas de querelles, c'est plutôt bien.

Notes

1. Signalons Errances, pour flûte, saxophone, violon et violoncelle (1991).

plume Jean-Claude Wolff
interrogé par Jean-Marc Warszawski
Paris, 23 octobre 2013

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