Godard, Piano Works, Éliane Reyes (piano). Grand Piano 2015 (2 CD. GP 683 et 684).
Enregistré les les 31 février, 26 et 27 avril et 22 mai 2014 au Recital Studio B, Tihange (Belgique).
Ces deux disques proposent des œuvres pour piano solo de Benjamin Godard (1849-1895) en premier enregistrement mondial, excepté les deux sonates. À l'initiative du Palazetto Bru Zane, Centre de musique romantique française, la recherche sur le compositeur s'est considérablement développée, tandis qu'il y a quelques années encore, son nom était à peine connu des spécialistes et des mélomanes avertis. Benjamin Godard, dégagé de l'influence de Wagner alors dominante dans le milieu musical français, s'identifiait aux générations précédentes : Chopin, Liszt, Mendelssohn, voire Beethoven. Selon Katy Hamilton, auteur du livret de ces disques, c'est une des raisons principales qui expliquent la relégation de sa musique aux oubliettes. En effet, au moment sa mort prématurée à 45 ans, dans les années 1890, Debussy et Ravel publièrent leurs premières pièces, puis n'eurent de cesse d'innover l'harmonie et la conception formelle de la musique, confinant la production de Godard dans les poussières du passé.
La volonté du compositeur de se rattacher musicalement à la première génération romantique est clairement perceptible dans les pièces enregistrées ici, comme les nocturnes, fantaisie, et Rêve vécu, à caractères chopiniens et/ou lisztiens. Dans ces pièces, on rencontre fréquemment l'utilisation de formules virtuoses propres à cette période : arpèges et notes rapides, trilles, trémolos, sauts d'intervalles, accords de septième, de neuvième… Alors que les trois morceaux sont composés dans une veine baroque (ornements, contrepoint, danse…).
Les titres évocateurs (Promenade en mer, Conte de fées, Au matin, ou les sous-titres pour les quatre mouvements de la Sonate fantastique) reflètent la tendance de l'époque : l'année de la naissance de Godard, Liszt a « inventé » le poème symphonique avec Ce qu'on entend sur la montagne, sans parler de Berlioz qui avait déjà introduit les idées fixes dans la Symphonie fantastique en 1830. L'idée d'associer la musique à un paysage, à une scène, ou à une allusion poétique devenait alors courante. Sur le plan plus pragmatique, les éditeurs publiaient, pour leurs besoins commerciaux, des morceaux détachés aux exigences techniques limitées, avec des titres plus ou moins fantaisistes. Ainsi, chaque mouvement de la Sonate fantastique porte un titre pleinement romantique et pouvait être vendu séparément des autres, comme morceau de caractère.
Malgré ce « retour au passé » stylistique, mais conforme au format musical du moment, les œuvres de Godard sont débordantes d'idées, avec parfois des mélanges de styles inattendus. Éliane Reyes met en évidence, avec grand succès, tous ces éléments caractéristiques et originaux. Elle sait créer une texture sonore propre à chaque pièce, une couleur propice à chaque mélodie et à chaque accord, et ce, grâce à une technique éblouissante. Sa virtuosité expressive et son lyrisme, même dans des phrases et séquences banales, font découvrir la beauté de chaque note, parfois si discrète ou cachée que nos oreilles ne sauraient jamais capter dans une autre interprétation moins inspirée. Des partitions denses comme la deuxième sonate1 deviennent très claires sous les doigts d'Éliane Reyes, qui a également un sens inné de construction et sait ainsi dégager ce qui est substantiel parmi les vagues — déferlantes ou calmes — de notes.
Quant à la prise de son, les graves semblent quelque peu étouffés par rapport aux autres registres ; il existe cependant un bel équilibre dans l'ensemble.
Sur la mer, barcarolle pour piano opus 44 (extrait), disque I, plage 9.Stapontin au Paradis
3 juillet 2016
1. À l'écoute de cette partition étrange à trois mouvements, dont le troisième est un scherzo, on attend patiemment le « vrai » finale dans une forme sonate ou un rondo développé, mais au lieu de cela, Godard a ajouté au scherzo une longue coda, renforçant l'impression d'une œuvre inachevée.
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Dimanche 21 Juillet, 2024