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Les XIV Sequenze de Luciano Berio : le laboratoire du compositeur

Les XIV Sequenze de Luciano Berio : le laboratoire du compositeur

Orlando Stéphane et Wuidar Laurence (éditeurs), Les XIV Sequenze de Luciano Berio : le laboratoire du compositeur. Éditions Delatour France, Sampzon 2015 [262 p. ; ISBN 978-2-7521-0256-0 ; 29,90 €]

24 avril 2016, Par eusebius ——

Quel auditeur, à la première audition d'une Sequenza de Berio — pour quelque interprète qu'elle ait été écrite — n'a été sous le choc d'une écriture si singulière, exploitant toutes les ressources de l'instrument (ou de la voix) avec une virtuosité confondante ? Singulièrement, l'abondante bibliographie relative à Berio ne comportait aucun ouvrage synthétisant la recherche relative au riche corpus des Sequenze. Leur composition va s'étaler sur plus de 40 ans, durant lesquels ses œuvres nouvelles, extrêmement nombreuses, vont en être la source et l'écho. Nombre d'entre elles sont réécrites une ou deux fois durant cette longue période.

Du 22 au 24 mars 2011, la Société belge d'analyse musicale, en hommage au génial créateur, a organisé leur audition intégrale. Simultanément, d'éminents spécialistes ont échangé. L'ouvrage reprend sept des plus importantes communications, introduites par Rossana Dalmonte, professeur à l'Université de Bologne. Ses entretiens avec le compositeur1, qu'elle publia six ans après sa disparition, constituent une référence incontournable. Les contributeurs sont tous belges, ou étroitement associés à Liège et Bruxelles, et portent peu ou prou la marque d'André Souris, d'Henri Pousseur et de Célestin Deliège, auxquels la musique de la seconde moitié du siècle passé doit tant.

« Avec le titre de Sequenza, je voulais surtout mettre l'accent sur le fait qu'il s'agissait en premier lieu d'une suite, d'une séquence de champs harmoniques […] dont surgissent, avec un maximum de caractérisation, les autres fonctions musicales » (1, p. 75), déclarait Berio. Les analyses, d'approches différentes, ont naturellement en commun de se fonder sur la recherche et la définition des éléments constitutifs.  La notion de geste — dans tous les sens du terme — est également inséparable du projet de Berio. L'interprète doit choisir entre les lectures possibles de l'œuvre qu'il veut s'approprier et servir.

Ivan Cayron s'intéresse aux Sequenze IV (piano) et X  (trompette), en référence au jazz et à la musique traditionnelle. Claude Ledoux, motivé par le souffle, traite des Sequenze V (trombone) et III (voix). Les I (flûte), IX (clarinette) et XI (guitare) sont étudiées par Jean-Marie Rens, la sixième (pour alto) par Irène Deliège. Jean-Pierre Deleuze, familier de l'archet, traite de celles pour violon (VIII) et pour violoncelle (XIV). Les anches doubles (VII, pour hautbois, et XII, pour basson) sont analysées par Jean-Luc Fafchamps. Restaient les II (harpe) et III (voix) que Pascal Decroupet aborde sous le titre « Et si le bruit n'était pas une simple anecdote ? »

Au cœur de l'ouvrage, Irène Deliège2 introduit l'analyse de la Sequenza VI pour alto, par une synthèse éclairante de son « grand œuvre » sur l'organisation mentale de l'écoute. Deux chercheurs (dont Claude Ledoux) ont rédigé une analyse auditive de référence pour la comparaison des schémas d'écoute produits par deux groupes très différenciés (étudiants en classe d'analyse, d'une part, étudiants dépourvus de connaissances musicales théoriques et pratiques, d'autre part). La démarche est riche d'enseignements, tant sur l'œuvre que sur sa perception. À signaler que le problème de la forme y est central.

La mise en perspective à laquelle procède Pascal Decroupet (Sequenze II et III) aurait pu introduire la série : quelle interprétation « historiquement et esthétiquement informée » ? L'interaction entre l'instrument, le créateur et l'interprète est une donnée fondamentale. C'est la dimension théâtrale qui réunit celles pour trombone (V) et pour accordéon (XIII). Ce sont les constantes que constituent les « champs harmoniques », les métamorphoses qu'ils subissent ou génèrent, et les formes parfois insaisissables que Jean-Marie Rens s'efforce de dégager à travers les no I (flûte), 9 (clarinette) et 11 (guitare). La communication de Jean-Pierre Deleuze se signale par sa référence à la chaconne (de la 2e partita, BWV 1004) de Bach, bienvenue puisque la Sequenza VIII constitue un hommage au grand devancier. Celle pour violoncelle, en référence à des traditions géographiques diversifiées, ouvre une autre dimension. La plus fouillée est certainement la VIIa (pour hautbois) dont Jean-Luc Fafchamps nous offre une analyse exemplaire, où la polyphonie « latente et implicite » devient aussi limpide que celle d'une écriture contrapuntique du XVIIe siècle. La Sequenza pour basson (XII) procède de la même démarche.

La variété des approches analytiques, si elle interdit de prime abord des rapprochements, des comparaisons simples, confirme les lignes forces de la pensée de Berio, le double jeu du créateur et de l'interprète, l'héritage et la nouveauté radicale. La générosité chaleureuse du compositeur, le jaillissement maîtrisé à l'extrême de sa pensée créatrice, d'une profondeur exceptionnelle, nous paraissent relever plus que jamais de l'évidence. L'ouvrage n'échappe pas toujours au jargon, dont les universitaires supposent que leurs lecteurs sont aussi familiers qu'eux à une terminologie spécialisée et parfois absconse3.  Si l'édition est soignée, particulièrement pour les citations musicales, on déplore des fautes de français et des coquilles, à croire que les auteurs et éditeur ont négligé cette dimension. D'autre part, les bibliographies figurent à la fin de chaque communication, et l'absence d'index est à déplorer. Ces réserves énoncées (le mieux n'est-il pas l'ennemi du bien ?), la lecture de cet ouvrage s'impose à quiconque s'intéresse à l'évolution de la musique durant ces cinquante dernières années.

Eusebius
24 avril 2016

1. Berio (Luciano), Entretiens avec Rossana Dalmonte, Ph. Albera éd., Contrechamps, Genève, 2010.

2. Épouse et collaboratrice du regretté Célestin Deliège, elle a consacré l'essentiel de sa vie à la recherche sur la psychologie de l'audition. Son apport à la connaissance de la perception musicale est essentiel.

2. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément. Chant I de l'Art poétique de Boileau

 

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