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8 septembre 2015, par Eusebius ——

Collectionner la musique : érudits collectionneurs

Collectionner la musique : érudits collectionneursCollectionner la musique : érudits collectionneurs

Massip Catherine, Herlin Denis, De Wispelaere Valérie (éditeurs.), Collectionner la musique : érudits collectionneurs. Brepols, Turnhout 2015 [582 p. ; ISBN 978-2-503-55327-6 ; 100,00 €]

Collectionner la musique a été le thème commun à trois colloques, chacun de plusieurs jours, qui se sont échelonnés à Royaumont, de 2008 à 2013. Les actes ont fait l'objet de trois publications, éditées par Brepols, dont le sérieux, le soin et l'élégance sont connus. Le dernier volume est centré sur les érudits collectionneurs, auxquels la musicologie est particulièrement redevable.

L'introduction de Catherine Massip, documentée comme il se doit, nous met l'eau à la bouche : nous sommes plongés, d'emblée, dans ce monde particulier, discret sinon secret, très différencié, qu'unit la passion de la collection musicale, assortie d'une solide érudition et d'un goût toujours sûr.

Ce dernier volume réunit dix-sept contributions signées de chercheurs dont les travaux font le plus souvent autorité, regroupées sous trois intitulés pratiques, mais relativement artificiels dans la mesure où les lignes de force traversent toutes les communications : partout se construit un savoir, dans un cadre social auquel n'échappent pas les acteurs, dont les portraits jalonnent le parcours du lecteur. Échappent naturellement au champ de recherche les bibliothèques publiques, où aboutissent nombre de joyaux des collections particulières, encore qu'il n'est pas de collectionneur qui ne les fréquente régulièrement, s'il n'en est personnellement l'initiateur ou le responsable.

Ainsi le père Mersenne à la Bibliothèque des Minimes, de la place Royale, où nous conduit Laurent Guillo. Jean Duron prend le relais avec les collections explorées par Sébastien de Brossard. Puis Graham Sadler  nous entraîne à la visite de la bibliothèque de Burney. Moins célèbre que Fétis, dont il fut l'un des collaborateurs, et qui acquit ses collections et compilations, François-Louis Perne est étudié par Henri Vanhulst. De Fétis, il sera encore question avec Marie Cornaz qui traite de ses manuscrits vénitiens de provenance anglaise.

Bien avant de devenir conservateur de la bibliothèque du Liceo Musicale de Bologne, jusqu'en 1881, Gaetano Gasparini était un passionné de musique et un collectionneur avisé. En relation avec les plus illustres musicographes de son temps, il échange et partage ses connaissances. Mario Armellini nous introduit dans son activité et dans la dispersion de son inestimable collection personnelle. De Louis Picquot, premier biographe de Boccherini, nous ne connaissons pas avec certitude la bibliothèque musicale. Y figuraient nombre de manuscrits autographes de l'enfant de Lucques, mais aussi de Brunetti, Cambini, Haydn et Viotti. En outre il copia pour Baillot et pour le Conservatoire de Paris un nombre impressionnant d'ouvrages parfois disparus.

Rudolf Rasch nous révèle la richesse de cette bibliothèque. Victor Schoelcher, à qui nous devons l'abolition de l'esclavage fut un collectionneur passionné, des œuvres de Haendel tout particulièrement. Rosalba Agresta nous rappelle que le fonds Schoelcher, de la BNF, riche d'environ 4500 documents, ne comporte que la partie la plus importante de son legs. Si le biographe de Haendel ne rencontra pas l'écho attendu en France, sa contribution majeure à la connaissance de son œuvre demeure incontournable.

La deuxième partie, « Érudition et société », s'ouvre sur la bibliothèque musicale de Boyer de la Boissière, connue par le catalogue de sa vente (1763). Son analyse par Laurence Decobert nous renseigne sur les goûts du temps et sur les ouvrages acquis dans diverses collections.  Le Dijonnais Jean Bouhier, contemporain de Rameau, hérita une riche bibliothèque de son père : environ 25.000 ouvrages dans tous les domaines du savoir, dont la musique, particulièrement entre 1690 et 1740. Son importante correspondance avec d'illustres contemporains permet à Jean Favier d'en dégager les principaux axes, au nombre desquels la chronique et l'expérience musicales. La bibliothèque de l'Arsenal s'est constituée autour de la collection du marquis de Paulmy (1722-1787). Le catalogue fait la part belle aux ouvrages lyriques du xviiie siècle et ses annotations sont riches d'enseignements. L'analyse que font Valérie De Wispelaere et Thomas Vernet de ses motivations, de sa relation au livre, en relation avec la « science mondaine » les conduit à le définir comme un « connaisseur équitable ».

Les érudits collectionneurs nous étaient déjà familiers. La troisième partie brosse une galerie de portraits d'une grande variété. Gaspare Salvaggi (1763-1856) n'était connu que comme auteur d'un traité d'harmonie et de quelques romances. Dinko Fabris nous fait découvrir sa collection qui débordait largement la musique napolitaine, principalement conservée à la British Library. Sa correspondance avec ce que l'Europe compte de chercheurs et de collectionneurs éclaire d'un jour singulier cette activité inlassable. Il revenait à Jean-Jacques Edeldinger de décrire celle de J.J. Bonaventure Laurens (1801-1880) qui fit don de sa bibliothèque musicale — entre 8000 et 10000 pièces — à la bibliothèque Inguimbertine de Carpentras. Les pièces maîtresses font l'objet d'une étude détaillée.

Les instruments anciens furent la passion commune de Tolbecque et de Bricqueville, personnalités fort différentes. Florence Gétreau et Alban Framboisier en affinent la connaissance, celle de leur démarche et de ses limites (la reconstitution d'instruments anciens à partir de l'iconographie). Cependant cette curiosité et cette avidité de connaissances allaient ouvrir la voie aux recherches dont on mesure maintenant l'importance.

L'histoire singulière de Tokugawa Yorisada (1892-1954) méritait d'être contée par Toshiko Sekine. Propagateur, sinon introducteur, de la musique occidentale au Japon, il constitua la première bibliothèque musicale de son pays dès 1918. Elle conserve, entre autres, une large part de la collection de W.H.Cummings. Un tremblement de terre, la Seconde Guerre mondiale, des changements de propriétaire entraînèrent de multiples déplacements et des pertes. La numérisation des documents, fréquemment interrompue, se poursuit.

Il revenait à Herbert Scheider d'enrichir ce panorama de son expérience personnelle. Ainsi suivons-nous sa démarche, les choix guidés par ses recherches, ses trouvailles aussi. Comme au cours d'une conversation, il nous détaille ses richesses. Quel collectionneur ne se reconnaîtrait pas dans ses réflexions et ses interrogations ?

Enfin, une riche interview de Patrick Florentin par Valérie De Wispelaere nous permet de comprendre comment l'audition d'un livre-disque (Rameau raconté aux enfants) peut conduire à la recherche documentaire, à la collection, au point de constituer un extraordinaire fonds Rameau, confié à la bibliothèque François-Lang de Royaumont.

Outre un index des trois volumes, la table détaillée des 113 illustrations, la plupart des contributions est accompagnée de riches annexes (inventaires, catalogues, collection…) qui font de cet ouvrage une source d'informations pertinentes pour le chercheur comme pour le collectionneur.

Mais, à la différence de nombre d'actes de savants séminaires et colloques, qui n'intéressent que le public restreint des spécialistes, ce beau et fort volume, d'une consultation aisée, remarquablement illustré, entraîne le lecteur, érudit ou simplement curieux, dans un univers fascinant, à la source de notre savoir et de notre réflexion.

Eusebius
8 septembre 2015
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