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« Brundibár », de Hans Krása  : une réussite exceptionnelle

Brundibár, Opéra de Dijon. Photographie © DR.

Opéra de Dijon, La Minoterie, 16 février 2015, par Eusebius —

 

Est-il genre plus difficile que l'opéra pour enfants ? Comment concilier fraîcheur, poésie et exigence professionnelle sans tomber dans le cliché ou dans la pire mièvrerie ? Les réussites sont rares et on les compte sur les doigts de deux mains, particulièrement lorsque tous les chanteurs sont des enfants1.

La Minoterie, nouvelle salle dédiée à la jeunesse et à la création en direction de ce public, accueille son premier opéra, Brundibár. L'histoire est connue, directement héritée du fonds traditionnel : deux pauvres enfants, Aninka et Pepicek, orphelins de père, ont absolument besoin de lait pour leur mère malade. L'argent fait défaut. Sur la place du marché, où le marchand de glace, le boulanger et le laitier offrent leurs produits, un policier explique que l'argent s'acquiert par le travail. Brundibár (« bourdon » en tchèque) joue de l'orgue de Barbarie et reçoit de l'argent de ses auditeurs. Aussi, les enfants chantent-ils deux chansons dont le seul effet est de provoquer la colère de Brundibár qui les chasse. Trois animaux viennent à leur aide, qui vont rassembler les enfants alentour. Tous vont chanter, à la satisfaction des passants, malgré la rage de Brundibár. L'argent récolté permet l'achat du lait. Les enfants et leurs alliés chassent Brundibár.

Ce livret autorise, sinon encourage évidemment une autre lecture : le tyran égoïste et brutal, populaire, peut être chassé par les faibles, ses victimes, lorsqu'ils s'unissent. Krasa, déporté à Terezin, réécrit Brundibár, composé en 1938, pour les jeunes juifs internés avec lui.  Cette version, la plus riche, fait appel à une quinzaine de musiciens. Ce soir, tous sont venus spécialement de République tchèque.

Les ombres chinoises des interprètes se regroupant derrière le rideau blanc du fond de scène, avant que ce dernier ne se lève, augurent bien de la réalisation, inventive et fraîche. Le chef, en pardessus, coiffé d'un chapeau, découvre la partition, tombée du pupitre renversé. Il se déshabille et se prépare alors que chacun gagne sa place. Les musiciens sont répartis des deux côtés de l'espace scénique : cordes côté cour, vents, guitare, piano et percussion côté jardin. Le dispositif, simple et ingénieux, consiste en deux éléments mobiles, façades avec tour à fenêtres, qui se disposent, se superposent ou s'alignent selon les scènes. Des silhouettes de bois peint, parfois articulées, marionnettes à l'occasion, sont les seuls accessoires. Nicoletta Garioni signe ici de remarquables productions, de l'orgue de Barbarie3, aux artisans, aux animaux, aux personnages anonymes. Le graphisme expressionniste, très tchèque, et les couleurs nous plongent dans ce univers onirique à jamais disparu. La mise en scène de Christian Duchange, les éclairages particulièrement judicieux nous plongent avec bonheur dans ce monde perdu de l'enfance.

Défi supplémentaire, les enfants chantent et parlent en tchèque, aucun d'entre eux n'ayant appris la langue avant de participer à la création. Ce choix de la difficulté doit être salué : ce que l'on perd en détail du livret est amplement compensé par la distance musicale de la langue, dont chacun use comme si c'était sa langue maternelle. Présenté par les enfants, le résumé du livret est écrit sur des tableaux, clin d'œil au cinéma muet. Sans jamais faire pléonasme, les ombres chinoises, tel le boulanger dans son fournil, explicitent la narration et les rôles des petits chanteurs. Ceux-ci sont facilement reconnaissables par les costumes savoureux4 de Nathalie Martella, et les marionnettes auxquels ils s'identifient. Ainsi, les animaux (le moineau, le chat et le chien) sont chantés chacun par quatre enfants dans un unisson parfait. De même, le rôle du policier est confié à deux enfants. Ainsi, les voix les plus frêles peuvent se faire entendre. Véritable chorégraphie simple et efficace, la direction d'acteur s'avère très professionnelle et conduit chacun à faire preuve d'une aisance naturelle.

Musicalement comme visuellement, c'est un grand bonheur, toujours renouvelé. Le nocturne confié à la guitare et aux cordes (sérénade) sur laquelle s'achève le premier acte, avec son écriture dépouillée et ses éclairages judicieux est particulièrement réussi. Le second acte, où la résistance s'organise, dans la clandestinité (marionnettes animées par les choristes cachés derrière la première façade), nous ravit. Le finale soulève l'enthousiasme du public, des petits comme des grands.

Chœurs et soli sont un régal pour l'oreille. L'équilibre avec l'accompagnement est subtilement dosé. L'ensemble est toujours vivant, frais et achevé. De vrais professionnels ! Couronnement de plus d'un an de travail d'Étienne Meyer et de ses élèves de la Maîtrise, cette réalisation est donnée six fois à la Minoterie. Si c'est beaucoup de bonheur en perspective pour ce public, souhaitons à cette production exceptionnelle de connaître ensuite le plus large rayonnement. Elle le mérite pleinement.

Eusebius
17 février 2015

1)  tous les élèves participant aux auditions ont été retenus, la distribution des rôles a été effectuée ensuite par l'équipe artistique et la direction de l'Opéra.

2) à partir de la deuxième scène du premier acte, si ce ne sont le marchand de glaces, le laitier, le boulanger

3) singulier, puisqu'il s'agit d'un phonographe à aiguille, avec son pavillon, animé. La version allemande présente Brundibár comme « Leiermann » (joueur de vielle). Peu importe l'instrument.

4) Seule réserve, mineure : le public, qui découvre l'ouvrage, ne peut différencier le monde des adultes, auditeurs de Brundibár au premier acte, de celui des enfants du second.

 

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