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Beaune, Festival, Basilique, 3 juillet 2015, par l'Ouvreuse du Cirque d'été ——

Armide fuit la canicule

Christophe Rousset ovationné par les auditeurs et les interprètes © DR.

« L'opéra des dames »1, c'était donc pour nous… La Comtesse et moi nous sommes donné rendez-vous à Beaune, séjour de rêve pour les amateurs de grands crûs et de bonne musique2. Comme à l'accoutumée — c'est la 33e édition — on s'y presse, on s'y bouscule, amateurs de baroque, Parisiens, Belges, Suisses, Anglais, Italiens… La canicule a conduit à déplacer le concert de la fournaise de la Cour des Hospices à la Basilique, havre de fraîcheur. Cependant, à l'inconfort visuel, malgré les écrans latéraux, s'ajoute l'acoustique dont la réverbération estompe les plans et les reliefs3 et nuit parfois à la compréhension du texte, si bien articulé soit-il.

Comme pour Roland et Amadis, le sujet fut choisi par le roi. Quinault, orfèvre en matière de livrets, signe ici le plus réussi d'entre eux, repris par Gluck, pour le chef d'œuvre homonyme qui éclipsa longtemps celui de Lully. L'intrigue est connue, empruntée à la Jérusalem délivrée du Tasse. Comme dans Roland, c'est le conflit, cornélien, entre le devoir — lié à la gloire — et l'amour qui constitue le ressort dramatique ( « La sévère Raison et le Devoir barbare sur les héros n'ont que trop de pouvoir ». V-1). La tragédie en musique est un spectacle complet. « Heureux Lorrains », me confie la Comtesse, qui a eu la chance de voir cette même Armide à Nancy il y a peu4. En effet, quelque réserve qu'elle émette sur la mise en scène, le décor, les costumes, les éclairages, la chorégraphie, tout concourt à donner à cette tragédie son sens dramatique, essentiel. Si géniale qu'elle soit, servie par les meilleurs interprètes, la musique, privée de ces aides, suffit-elle à tenir en haleine un public amateur, certes, mais qui, pour une large part, découvre le chef-d'œuvre ? L'action semble s'éterniser pour quelques auditeurs qui renoncent aux derniers actes, les plus beaux… Lecerf de la Viéville écrit à propos du dernier : « Rien n'a jamais été aussi parfait. Il est tout seul un opéra » (Comparaison de la musique italienne et de la musique française, 1704-1706, II, p. 15). Dommage pour eux.

Opéra des dames ? Opéra de dames ? Le personnage d'Armide domine de bout en bout, entouré d'une belle brochette de cantatrices. Les hommes apparaissent comme des faire-valoir, même si le père d'Armide, Hidraot, et Renaud, remarquablement chantés, savent nous émouvoir.

Armide, c'est Marie-Adeline Henry, surprenante, mi-ange, mi-démon, d'une sincérité peu commune. Une très grande pointure, avec des ressources exceptionnelles, des graves somptueux, une large tessiture et une qualité d'émission impressionnante. L'émotion vraie de l'héroïne ne saurait laisser insensible, avec la plus large palette expressive. Le dernier acte, où Armide découvre le départ de Renaud : « Renaud ! Ciel ! Ô mortelle peine », puis « Le perfide Renaud me fuit » est d'une force singulière. À ses côtés, Judith van Wanroij et Marie-Claude Chappuis, toutes deux remarquables, la première se montrant particulièrement exemplaire dans l'articulation, la seconde dans sa projection. Hasnaa Bennani fait montre de belles couleurs et d'un art consommé, malgré la brièveté de son intervention (la naïade).

Côté hommes, hormis l'émission contenue de Patrick Kabongo, que l'on a connu en meilleure forme, aucune faiblesse. Andrew Schroeder est un Hidraot exemplaire, Julian Prégardien (le fils…) honore son nom en donnant une vie réelle à un Renaud qui en a bien besoin. La stature de Julien Véronèse a impressionné la Comtesse. Son Ubalde est bien campé, tout comme le chevalier danois de Fernando Guimarães.

La Fontaine (Épître à M. de Niert, 1677) écrit à propos de Lully :

Ses concerts d'instrumens ont le bruit du tonnerre
Et ses concerts de voix ressemblent aux éclats
Qu'en un jour de combat font les cris des soldats.

Christophe Rousset, et ses Talens lyriques rendent à ce chef-d'œuvre une vie et une émotion rares. La dynamique est parfaite, les couleurs — bien qu'estompées par l'acoustique — chatoyantes, l'attention constante portée au chant nous ravit. A quand un enregistrement qui, n'en doutons pas, fera date ?

Une musique qui parle directement à chacun, toujours intelligible, efficace, sensuelle et puissante, servie par des interprètes engagés, familiers de l'ouvrage, que demander de plus ?

 L'Ouvreuse du Cirque d'été
4 juillet 2015
© musicologie.org

1. C'est Lecerf de la Viéville qui rapporte que la tragédie lyrique fut surnommée « l'opéra des dames », ce qui lui convient parfaitement.

2. Toujours impertinente, la Comtesse m'a soufflé : « Beaune affectionne les baroques antiques » ; puis, ensuite (pour le public averti) : « Renaud ! Montélimar mit Delacroix au pinacle »…

3. Les bois, particulièrement les flûtes, en retrait, perdent leur articulation et leurs couleurs, masquées par les cordes et par une réverbération qui pénalise chacun.

4. 110 euros la place de première catégorie… la Comtesse m'a dit avoir déboursé 62 euros pour son fauteuil d'orchestre à Nancy, il y a une semaine, pour un spectacle complet. Elle en a les moyens, il est vrai.


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