LES DOCUMENTS D'ÉTUDE Références / Musicologie.org http://www.musicologe.org =============================== Le Missa Dei Patris de Jan Dismas Zelenka par Thomas Kohlhase (traduction de Jean Paul Ménière) Originaire de Bohême, Jan Dismas Zelenka (1679-1745) a travaillé à la cour électorale de Saxe à Dresde comme contrebassiste et compositeur à partir des années 1710-1711. Avec ses supérieurs hiérarchiques, les maîtres de chapelle Johann David Heinichen (mort en 1729) et Johann Adolf Hasse, il composa pour la chambre aulique (les six Sonates en trio ZWV 181 sont d'une grande importance) et pour l'église catholique de la cour. C'est seulement à partir de la fin des années 1970 que ses quelques 150 oeuvres sacrées et liturgiques ont été rendues accessibles au public. Les Missae ultimae tardives, ses dernières messes, comme il les appela lui-même, écrites dans les années, 1740/1741, passent pour être le sommet et la somme de l'activité du compositeur Zelenka, des oeuvres composées sur l'ordinaire de la messe (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus et Agnus Dei) à la distribution modeste pour quatre voix (soli et tutti), hautbois, cordes et basse continue avec de grandes et larges architectures et une haute ambition du point de vue de la conception et du contenu musical. Zelenka voulait écrire un cycle de six Missae ultimae, seules trois nous sont parvenues : n°1 Mis-sa Dei Patris (Messe de Dieu le Père), n° 2 Missa Dei Filii (Messe de Dieu le Fils) et n° 6 Missa Omnium Sanctorum (Messe de tous les Saints). Au titre de cette sixième messe Missa : Ultimarum Sexta dicta : Missa Omnium Sanctorum, Zelenka ajoute après le mot «Sexta» la remarque et forte Omnium Ultima, ce qui signifie «et peut-être, la dernière de toutes». Vraisemblablement, Zelenka, gravement malade depuis 1739, n'a pu terminer que les trois messes que nous connaissons. Les plus de vingt messes de Zelenka datant des années 1710 à 1740–1741 sont, du point de vue de la forme et de la technique d'écriture, des « messes à numéros » de « style mixte » typiques de l'époque. Elles divisent donc les cinq parties de l'ordinaire de la messe, et particulièrement, naturellement, les Gloria et Credo au texte riche, en plus petites unités textuelles et utilisent des numéros variés du point de vue musical, de distribution et de forme différentes et dans des styles ancien et moderne. Au style sacré ancien appartiennent les mouvements en motet ou en fugue, au style moderne du concerto et de l'opéra avec leurs caractéristiques ritournelles se rattachent les concerts pour chœur en plusieurs parties et les fugues concertantes de même que les sensibles ou virtuoses arias et ensembles de soli. Cependant, Zelenka trouve dans ses messes tardives un tel équilibre de la forme et de la technique d'écriture, une telle profondeur de l'interprétation musicale du texte de la messe que ses Missae ultimae en deviennent des témoignages fascinants d'une volonté artistique tout à fait individuelle et autonome dépassant les caractéristiques de l'époque, trouvant ses sources dans une foi inébranlable et révélant ses contenus et ses symboles mystérieux. Le texte latin de la première des Missae ultimae est par sa dédicace à Dieu le Père un témoignage émouvant de l'attitude profondément religieuse de Zelenka : MISSA ULTIMARUM PRIMA dicta MISSA DEI PA-TRIS ; EIDEM MAGNO DEO CREATORI rerum omnium, ac Patri optimo, maximoque, In summa humilitate, ln demississima veneratione, ln profundissima adoratione, corde contrito et humiliato (quod ille non despicit) consecrata ; ab Infima, subjectissima, indignissima sua creatura Joanne Disma Zelenka, en français : La première des dernières messes dite Messe de Dieu le Père, dédiée au grand Dieu créateur de toutes choses, le meilleur Père et le plus grand, en toute humilité, en très modeste vénération et très profonde adoration, le coeur contrit et humble (qu'il ne dédaigne pas) ; de sa créature infime, très sujette et très indigne Jan Dismas Zelenka. Les différents numéros de la messe sont à l'intérieur des cinq parties de l'ordinaire très large-ment différenciés du point de vue de la tonalité : KYRIE en ut majeur, ut mineur, ut majeur ; GLORIA en ut majeur, mi mineur, ut majeur, sol majeur, ut majeur ; CREDO en mi mineur, ut majeur, la mineur, ut majeur, mi mineur ; SANCTUS ut majeur, mi mineur, ut majeur ; AGNUS DEI en ut mineur, sol majeur, ut majeur. Quelques-uns des vingt numéros de la messe – quatre grands concerts de choeur (avec en parties des épisodes confiés à des soli, n" 4, 10, 13, 15) et sept fugues chorales (nos 1, 3, 9, 12, 14, 17, 20), quatre numéros choraux plus brefs (n°' 5, 7, 11, 19), deux trios (n°' 2, 8) et trois arias (n°' 6, 16, 18) sont réunis par paire ou par groupe, un procédé qui ne veille pas seulement à une rigueur formelle mais qui relie également des éléments musicaux hétérogènes ou souligne des rapports de contenu. La disposition et la suite des tonalités, les liens formels et substantiels des mouvements voisins en paires et en groupes de numéros sont un moyen utilisé par la pensée musicale architectonique de Zelenka grâce auquel il pénètre et interprète le tex-te de la messe. Une communauté substantielle musicale et des tendances à arrondir de manière cyclique les groupes de mouvements et l'oeuvre entière s'y ajoutent faisant de ses messes tardives un cas particulier de l'histoire de la musique. Ainsi la ritournelle instrumentale du Kyrie 1 (n" 1) commençant en fugato sert en même temps d'introduction au bloc choral grave qui suit et de thème à la fugue concertante formant la partie principale du numéro. La fugue plus brève du Kyrie Il est un mouvement plus court, en partie nouveau, sur le même thème et avec les mêmes passages concertants en hoquet dans l'intensification finale. Le Sanctus (n" 15) débute par la même musique grave que le premier adagio du choeur dans le Kyrie n° 1, musique marquée par des accentuations véhémentes et des figures en triolet se déroulant avec force et symbolisant la majesté de Dieu le Père et son Hosanna suivant n° 17 n'est rien autre qu'une parodie partielle du Kyrie n° 3. Après l'utilisation intense des mêmes thèmes et de la même substance motivique dans les numéros du Kyrie et du Sanctus (1 et 3, 15 et 17), une recours au Kyrie dans le Doua nobis pacem final semblait hors de question pour Zelenka, alors que ce recours constituait depuis longtemps la règle dans ce genre de composition. La fugue finale de la messe (n° 20) est plutôt une parodie exacte de la fugue finale du Gloria: Cum Sancto Spiritu (n° 9). Thomas Kohlhase Traduction (abrégé) : Jean Paul Ménière