Ce document pour l'étude est une partie du site Musicologie.org http://www.musicologie.org ===================================== Joseph Haydn La messe de Thérèse La Theresienmesse est la quatrième des six grandes messes que Haydn écrivit à son retour d'Angleterre, à l'automne 1795. Peut-être ne sera-t-il pas inutile de replacer toutes ces oeuvres dans leur succession chronologique : Missa Sancti Bernardi de Offida (Heiligmesse) en si bémol majeur 1796 Missa « in tempore belli » (Paukenmesse) en ut majeur 1796 Missa « in angustiis » (Nelsonmesse) en ré mineur 1798 Missa (Theresienmesse) en si bémol majeur 1799 Missa (Schâpfiingsmesse) en si bémol majeur 1801 Missa (Harmoniemesse) en si bémol majeur 1802 Le surnom de Theresienmesse (messe de Thérèse) donné en Autriche à la messe en si bémol majeur qui nous occupe ici tient à une supposition erronée : on a longtemps cru en effet que Haydn l'avait composée pour l'impératrice Marie-Thérèse (à ne pas confondre avec Maria Theresia, morte depuis long-temps ; Marie-Thérèse était la fille du roi Ferdinand IV de Naples et l'épouse de François II, empereur d'Autriche, à l'intention duquel Haydn écrivit du reste l'hymne « Gott erhalte Franz den Kaiser », plus connu aujourd'hui comme mélodie de l'hymne national allemand). Des recherches récentes ont cependant montré de manière irréfutable que la messe de 1799 a été composée – comme les cinq autres – pour la fête de la princesse Maria Hermenegild, épouse du mécène de Haydn, Nicolas II Esterhazy. De fait, Haydn composa bien une oeuvre pour l'impératrice Marie-Thérèse ; mais il s'agit du grand Te Deum écrit en 1799, ce qui suffit probablement à expliquer que l'on ait également rattaché à l'impératrice la messe composée la même année. Haydn aimait beaucoup sa princesse, qui veilla toujours à éviter les tensions toujours possibles entre son épouxarrogant et impérieux et son Kapellmeister (qui était désormais « Doctor of Oxford » et n'avait pas l'intention de se laisser traiter comme un domestique). Maria Hermenegild contribua à rendre les dernières années de la vie de Haydn aussi agréables que possible. Grâce à elle, Haydn ne manqua jamais de malaga (son vin préféré) en provenance des caves princières et n'eut pas à s'inquiéter du règlement de ses frais médicaux. En échange, pourrait-on dire, il écrivit pour la princesse certaines de ses oeuvres les plus inspirées : les mélomanes doivent donc beaucoup à Maria Hermenegild. En 1799, les effectifs de l'orchestre du prince Nicolas avaient été légère-ment réduits au fil des dernières années, mais Haydn, comme l'aurait fait Bach ou n'importe quel compositeur du XVIII` siècle en pareilles circonstances, fit contre mauvaise fortune bon coeur. La formation dont il disposait restait d'ailleurs substantielle : il instrumenta en effet sa nouvelle messe pour deux clarinettes, deux trompettes, des timbales, des cordes, un orgue, quatre solistes (soprano, alto, ténor, basse) et choeur – des effectifs largement supérieurs à ceux dont Bach avait dû se contenter bien souvent! Il semblerait que les bassons, qui devaient contribuer à l'exécution de la basse continue, n'aient obtenu leur partie « personnelle » qu'à la toute dernière minute – c'est 'ce que semble indiquer leur présence dans le matériel d'exécution original, qui se trouve toujours au château d'Eisenstadt. En 1799, la fête de la princesse tombait le dimanche 8 septembre. La veille au soir, on organisa une cérémonie en son honneur au château d'Eisenstadt. Nous en possédons la description suivante, notée dans son journal intime par un témoin : « À six heures du soir, on a donné de la musique turque sur la place, puis une pièce française. À la fin, une décoration avec le portrait de la princesse. Les Français traversèrent [la scène] tels une armée, avec des caricatures de grenadiers, fifres et tambours ; les acteurs se costumèrent aussi en Hongrois, ils bredouillaient en lisant leurs discours et leurs félicitations[à la princesse]. Le spectacle n'a pris fin que vers onze heures et demie. » Le lendemain, probablement à onze heures du matin, la Messe de Haydn fut donnée pour la première fois dans la « Bergkirche » [l'église de la colline], à quelques pas du château. Après la messe, la grande salle du château abrita un immense banquet. Notre chroniqueur relate : « À 3 heures, nous avons vu la table de la grande salle ; 54 per-sonnes s'y trouvaient. On a porté de nombreux toasts, annoncés à chaque fois par des trompettes et des tambours depuis la galerie, et par un grondement de canons devant le château. Le prince a aussi porté un toast à la santé de Haydn, et tout le monde s'est joint à lui. Le banquet a duré jusqu'à 5 heures, mais l'ambiance n'était pas vraiment joyeuse, malgré quatre-vingts plats arrosés des vins les plus fastueux. » Dans la soirée, il y eut un grand bal. Le Kyrie de la Theresienmesse se divise en trois parties : il commence par une introduction lente et solennelle qui, bien que plus longue, n'est pas sans évoquer les symphonies londoniennes. Elle conduit à une fugue rigoureuse, dont le thème repose manifestement sur le matériau de l'introduction (là encore, nous retrouvons ce procédé dans les symphonies londoniennes, et notamment dans les symphonies n°s 98 et 103). La section médiane, marquée par un contrepoint majestueux, conduit à la dominante. À cet instant, les quatre solistes interviennent sur le « Christe eleison », qui fait un peu figure de thème secondaire d'une forme sonate. La fugue reprend ensuite pour se diriger lentement vers un grand point d'orgue ; une version abrégée de l'introduction lente conclut alors le Kyrie. Haydn a su réaliser ici un mariage extrêmement intéressant et efficace entre style symphonique, forme sonate, fugue et structure tripartite générale (A- B-A), la section médiane se subdivisant elle aussi clairement en trois parties. Le Gloria se compose également de plusieurs sections : 1) Louverture « Gloria in excelsis » présente un accompagnement orchestral fascinant. Onrelèvera tout particulièrement les fanfares qui suivent les phrases « Benedicimus te » et « Adoramus te » et conduisent à une sorte de reprise admirable (« Glorificamus te ») dans laquelle les violons traversent la texture musicale en doubles croches dansantes, tandis que les clarinettes, les trompettes et les tambours ponctuent l'ensemble de touches de couleur. 2) Le Moderato (« Gratias ») est atteint par une modulation vers la dominante d'ut ; le mouvement lui- même commence en ut majeur, avec un célèbre solo d'alto, auquel se joignent une à une les autres voix solistes. À par-tir d'ut majeur, une modulation nous conduit vers ut mineur et vers l'entrée du choeur sur les mots « Qui tollis peccata mundi » ; les trompettes et les timbales interviennent alors, tandis que l'animation de base est assurée par une succession perpétuelle de triolets de croches aux violons. 3) Vivace, « Quoniam tu Bolus sanctus » fait retour à la tonalité fondamentale de si bémol majeur. Son début essentiellement homo-phone conduit à un nouveau passage fugué (« Amen ») avant de revenir à une sorte de reprise du début de cette partie. De longs passages sont réservés aux solistes ; une modulation d'un chromatisme remarquable reconduit au tutti, que Haydn répète (mesures 317 et sui- vantes). Comme la plupart des Credos de Haydn, celui-ci commence forte, dans une mesure à 4/4 carrée et solide – comme si Haydn estimait qu'il convenait que le « Credo de Nicée » fût proclamé sur les toits par tous les croyants. Les cordes, qui interviennent bientôt en doubles croches, resteront la force motrice de toute cette section depuis la troisième mesure jusqu'à la fin. Nous sommes ici en présence d'un remarquable tour de force ; en effet, l'intensité ne cède pas un instant, et les interjections piano elles-mêmes ne font qu'accroître la tension. La section médiane, en si bémol mineur, s'étend d'« Et incarnatus est » jusqu'à « pansus et sepultus est ». L'ensemble est réservé aux voix solistes. Vers la fin, les trompettes dans leur registre grave, accompagnées de doux frémissements de timbales, prêtent un timbre métallique quelquepeu sinistre à la mort et à la mise au tombeau du Christ. La troisième section (Allegro) commence par « Et resurrexit » en sol mineur - un procédé favori de Haydn dans ses dernières messes – et reconduit après bien des détours à la tonalité fondamentale. Sur les mots « judicare », Haydn fait intervenir ses trompettes et ses timbales fortissimo. Plus loin, la mesure passe à t/8 et l'on arrive à une fugue d'une grande densité (« Et vitam venturi ») avec des accents marqués (sforzati) au début de la deuxième mesure du thème. Avec son début Andante contenu, le Sanctus conduit à une section rapide, qui commence sur « Pleni sunt coeli et terra ». Comme tous les Sanctus de Haydn (et les exigences liturgiques de la messe n'y sont pas étrangères), il s'agit de la plus courte des six sections de base. Le Benedictus est en sol majeur : vers la fin de sa vie, Haydn se passionna pour les relations de tierces, comme Beethoven allait le faire quelques an-nées plus tard. On notera que le caractère des Benedictus tardifs de Haydn est très souvent « populaire » et serein –celui de la Nelsonmesse fait toute fois figure d'exception. À maints égards, il s'agit du plus autrichien de tous les mouvements de cette messe, un mouvement que l'on imagine difficilement sous la plume d'un Allemand du Nord. L'organisation tonale du reste de la messe est caractéristique : depuis la sus-dominante majeure (sol majeur), nous nous dirigeons, avec l'Agnus Dei, vers sol mineur, la relative mineure de si bémol majeur, avant de revenir au ton fondamental avec le « Dona nobis pacem ». LAgnus Dei est une sorte d'immense et lente introduction, d'aspect relativement austère, alors qu'avec ses fanfares pour cuivres et timbales, le « Dona nobis pacem » apporte une conclusion martiale et quelque peu agressive à cette oeuvre. Remarquez la superbe juxtaposition des voix solistes et du choeur, et la manière dont, presque imperceptiblement, le matériau est traité en contrepoint (mesures 101 et suivantes), mettant ainsi en relief les sections purement homophones. À la fin, l'alternance de si bémols et de fa aux timbales n'est pas sans évoquer Beethoven (mesures 198/199) et prête aux dernières mesures de la Theresienmesse une splendeur et une force presque symphoniques. H. C. Robbin Landon Traduit par Odile Demange 1997