Document d'étude site Références en musicologie http://www.musicologie.org ================================== Eugène YSAŸE Six sonates pour violon seul opus 27 Par Marc Vignal Né à Liège en 1858, Eugène Ysaye travailla le violon avec son père dès l'âge de quatre ans, et en 1865, entra au conservatoire de sa ville natale. Il étudia ensuite au conservatoire de Bruxelles avec Wieniawski, puis à Paris pendant trois ans avec Vieuxtemps. En 1879, il devint premier violon de l'Orchestre Bisle à Berlin, puis fit des tournées avant de se réinstaller à Paris (1883-1886). Il fut ensuite pendant douze ans professeur de violon au conservatoire de Bruxelles, où il fonda les Concerts Ysaye, destinés à promouvoir le répertoire belge et français contemporain. Il fit ses débuts à Londres en 1889, et en 1894, effectua la première de ses huit tournées aux Etats- Unis. Son agilité ayant diminué, il se tourna aussi vers la direction d'orchestre, et de 1918 à 1922, fut à la tête de l'Orchestre Symphonique de Cincinnati. En 1922, il retourna à Bruxelles et y rétablit les Concerts Ysaye. Il mourut à Bruxelles en 1931, peu après la création de son opéra Pière li houyeû (Pierre le Mineur), sur un texte en wallon écrit par lui-même (Liège, 1931). Il avait joué en public pour la dernière fois en 1927, à la demande de Casals, à l'occasion du centenaire de la mort de Beethoven. Il transmit au XXe siècle la tradition de Vieuxtemps et de Wieniawski, en particulier leur intense vibrato, et développa une sonorité unique dont Kreisler devait se faire l'émule. Pionnier de l'école moderne du violon, il était révéré comme un maître par des artistes tels que Jacques Thibaud, Georges Enesco ou Joseph Szigeti. A Paris, il se lia d'amitié avec de nombreux compositeurs de l'époque, et reçut en dédicace les Sonates de Lekeu et de Franck, le Poème et le Concert de Chausson, ainsi que le Quatuor, les Nocturnes et Pelléas et Mélisande de Debussy. En 1937 fut fondé le Concours International Eugène Ysaye, devenu plus tard un des volets du Concours Reine-Elisabeth : le premier lauréat en fut David Oistrakh. Une de ses oeuvres les plus célèbres est le Poème élégiaque pour violon et orchestre opus 12 (1893), dédié à Gabriel Fauré. Ernest Chausson prit ce premier exemple de « poème musical concertant » comme modèle pour son Poème pour violon et orchestre opus 25 (1896). Quant aux Six Sonates pour violon seul opus 27, elles furent esquissées en un jour en 1923, et publies en 1924. Ysaye en eut l'idée après avoir entendu le jeune Joseph Szigeti jouer les ouvrages pour violon seul de Bach, et dédia chacune des six Sonates à un grand violoniste de l'époque : Joseph Szigeti (n° 1), Jacques Thibaud (n° 2), Georges Enesco (n° 3), Fritz Kreisler (n° 4), Mathieu Crickboom, second violon du Quatuor Ysaye (n° 5), et Manuel Quiroga (n° 6). Tout le travail de composition fut placé sous le signe de Bach, et Ysaye 'déclara avant même de s'atteler à la tâche : « Le génie de Bach effraie celui qui serait tenté de suivre une voie identique. Il sait qu'il y a là un sommet difficile à atteindre. Comment se dégager d'une influence dominatrice qui fera, fatalement, que si l'on veut écrire pour instrument seul, on écrira à la manière de... » Destinée à Joseph Szigeti, chez qui Ysaye décelait « cette qualité rare, de nos jours, d'être à la fois virtuose et musicien », la Sonate n° 1 en sol mineur retrouve les quatre mouvements de la sonate d'église baroque, à ceci près que le troisième est plutôt vif. Le deuxième est « comme il se doit » un fugato. Le premier contient d'étranges harmonies, et le dernier exige une dextérité considérable. La Sonate n° 2, dédiée à Jacques Thibaud, est sous-titrée Obsession. Il y a de nouveau quatre mouvements. Le premier (Prélude) cite pendant deux mesures le début de la partita en mi majeur de Bach, puis plus loin, le thème du Dies Irae, qui hantera (comme une « obsession ») les trois autres mouvements. Le deuxième, Malinconia (Poco Lento), à deux voix et avec sourdine, se conclut par la citation du Dies Irae. Le troisième (Lento), « lente sarabande nocturne », est sous-titré Danse des ombres, et son sol majeur s'oppose au mi mineur du mouvement précédent. Le thème est suivi de six variations, et réapparaît à la fin. Le finale, sous- titré les Furies, est à la fois un morceau spectaculaire et une subtile étude de sonorités. Fin en la mineur. Dédiée à Georges Enesco, la Sonate n° 3 en ré mineur est la plus connue et la plus courte. Sous-titrée Ballade, elle se déroule sans interruption, en trois parties de plus en plus rapides, d'une sorte de récitatif à une coda passionnée. Inspirée par le souvenir de la « sonorité chaleureuse et sensuelle » de Fritz Kreisler, la Sonate n° 4 en mi mineur est la plus « baroque » d'esprit avec son Allemande, sa Sarabande obsédante sur ostinato de quatre notes soutenant un somptueux tapis harmonique, et son Finale à allure de « caprice viennois ». Intitulée Pastorale, la Sonate n° 5 en sol majeur est en deux mouvements (l'Aurore et Danse rustique). Destinée à Mathieu Crickboom (de caractère grave et pondéré), c'est apparemment la moins ambitieuse, mais on y trouve des innovations (pizzicati de main gauche, effets de percussion) à la « Bartok ». En un seul mouvement (Allegro giusto non troppo vivo), la Sonate n° 6 en mi majeur est une sorte de caprice espagnol avec rythmes de habanera, en hommage à la nationalité du dédicataire. Victime d'un accident qui interrompit sa carrière, Manuel Quiroga ne joua jamais « sa » sonate. Marc VIGNAL